Chronique d'Agnès Séverin

« Journal d’une Ukrainienne » de Maryna Kumeda : de la guerre à la vie de réfugiée en France

Témoignage sur le courage et la solidarité entre Ukrainiens, et la « vague de solidarité des Français », le Journal d’une Ukrainienne de Maryna Kumeda ( Editions de l'Aube) est un document précieux. Cependant, Agnès Séverin constate que derrière le tableau grave et édifiant dressé par l'autrice, sa critique sans fin de l’administration qui lui a accordé la nationalité française n’a pas sa place. Dommage.

Portrait de l'auteure, éditions de l'Aube Portrait de l'auteure, éditions de l'Aube

Derrière la guerre et l’horreur qui défile au quotidien sur les écrans, jusqu’à l’effacement, il y a les réalités humaines. Elles ne peuvent s’appréhender qu’à l’échelle individuelle. Témoignage sur le courage et la solidarité entre Ukrainiens, et la « vague de solidarité des Français », le Journal d’une Ukrainienne de Maryna Kumeda est un document précieux. Cependant, derrière ce tableau grave sa critique sans fin de l’administration qui lui a accordé la nationalité française n’a pas sa place. Dommage.

Maryna Kumeda, comme nombre d’Ukrainiens installés ou réfugiés en France, a vécu la période soviétique. Ces « (…) six premières années douces et soviétiques » sont marquées par le souvenir du « beurre chocolaté ». Un petit luxe venu du Gastronom de la rue Kharkovskaia et dont la gâtait sa grand-mère. Autre vestige de l’époque soviétique, mais pas seulement, les souvenirs littéraires sont prégnants également.

Nostalgies soviétiques

« Quand j’étais petite, nous passions des soirées en famille à nous enregistrer sur des cassettes : on récitait les poèmes de Essénine, Tsetaïeva, Akhmatova et d’autres poètes russes, on chantait des chansons soviétiques et ukrainiennes. (…) Bref, je grandissais dans une famille de lecteurs d’antan. Mais dans les années 1990, mes parents ne lisaient plus. Leur vie était consacrée à la survie : trop d’heures de travail, les extras pour gagner encore quelque chose, le jardin, l’angoisse du lendemain, la fatigue. Une course effrénée ».

Venue faire ses études à Lyon après voir participé à la Révolution Orange, elle trouve dans l’engagement associatif sa vocation. Son témoignage du mouvement de mobilisation pour venir en aide, autant que faire se peut, aux Ukrainiens attaqués par la Russie illustre la résilience, le courage et la solidarité d’un peuple fidèle ainsi à ses origines Tatares et cosaques. Elle évoque « une résistance tranquille et une confiance en la prochaine victoire (…) avec courage, humour, poésie, amour et haine, au projet surréaliste d’éradication d’une certaine idée de liberté ».

Un désir de liberté porté par une histoire déchirée

Olivier Weber avait mis en lumière ce trait de caractère de la nation ukrainienne en lui consacrant l’essai éponyme l’an dernier – Naissance d’une nation. Réflexions sur la question ukrainienne - au retour de son premier voyage depuis le déclenchement du conflit. L’ancien ambassadeur itinérant et reporter de guerre signe la préface de ce Journal d’une Ukrainienne. Son récit de voyage émaillé de rencontres fortes et de rappels historiques montrait combien l’agression russe fouette le sentiment et la cohésion nationaux ukrainiens.

« On ne repousse pas à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui, car demain peut ne pas avoir lieu. »

Maryna Kumeda ne dit pas autre chose, qui évoque « une transformation irréversible [qui] se fait en chacun de nous ». L’émergence de l’idée nationale a fait partie de ses sujets d’étude. Elle évoque aussi cette joie de vivre, cette force chevillée au corps qui se marque également dans la convivialité traditionnelle.

« Le tintement du cristal, les éclats de rire, l’enchaînement des toasts, les chansons en fin de soirée. On aimait faire la fête et on la faisait bien ! (…) »

Les souvenirs de jeunesse font écho à la force de caractère d’aujourd’hui.

« On ne repousse pas à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui, car demain peut ne pas avoir lieu. »

Cette ardeur rappelle les lignes d’Andréï Kourkov dans son excellent Journal d’une invasion :

« Les Ukrainiens sont très rarement déprimés. Ils sont programmés pour vaincre, être heureux, survivre aux circonstances les plus difficiles, pour aimer la vie. »

Un esprit de résistance et de solidarité

Derrière la résistance face à la barbarie russe, il y a la construction d’un destin commun, porté par une histoire déchirée, un désir de liberté et d’Europe mêlés. La jeune salariée du monde associatif, attachée à tisser des liens entre la France et l’Ukraine, notamment via l’association Lyon-Ukraine, met également en avant le mouvement de solidarité qui a mobilisé nombre de Français, à la suite de l’invasion de l’Ukraine début 2022.

Bémol à ce texte témoignage : il est dommage que ce message d’espoir et de courage soit terni par une attaque en règle des lenteurs de l’administration française, qui a accordé à l’autrice la nationalité de notre pays. Ce trop long passage détonne avec la force de son témoignage. Il apparaît déplacé et mal venu au regard de l’horreur et les qualités d’âme qui forment la matière de son récit. Heureusement la France est comme on l’imagine « contestataire jusqu’au bout des ongles ». Nous sommes donc rassurés !

> Journal d’une Ukrainienne, de Maryna Kumeda. Editions de l’Aube, 159 pages, 18 € >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

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