«Les enfants sont rois»

Il est comment... le dernier Delphine de Vigan ?

La sortie d'un nouveau livre de Delphine de Vigan est toujours un événement. Avec Les enfants sont rois (Gallimard), l'auteure qui aime jouer avec les miroirs de notre époque nous plonge dans le destin d'enfants influenceurs dont la vie est mise en scène sur une chaîne YouTube par leurs propres parents. L'auteure de Rien ne s'oppose à la nuit, nous plonge dans la vie de ces rois à l'enfance déchue, dont les bonheurs sont à jamais perdus dans les arcanes des Toiles mondiales. Un livre grinçant  et percutant.

Portrait de Delphine de Vigan. Capture d'écran vidéo. Portrait de Delphine de Vigan. Capture d'écran vidéo.

Le nouveau roman de Delphine de Vigan est... percutant ! (En plus ça rime)

Le dernier livre de Delphine de Vigan, Les Enfants sont rois lance un vrai uppercut sur les enfants starisés à outrance avec la complicité de leur famille. Réseaux sociaux et concours divers ont vu l'émergence d'une nouvelle forme de pays aux merveilles au sein desquels les Alice deviennent des objets consommables et jetables. Delphine de Vigan qui sait saisir les affres de l'air du temps a su parfaitement s'emparer de ce phénomène des  enfants influenceurs. Dans le livre, Kimmy et Sammy qui sont respectivement âgés de six et huit ans au début du roman, sont les héros d’une chaîne YouTube gérée par leurs parents depuis qu’ils sont tout petits. Le business "en famille" est juteux et cette téléréalité fascine les "followers" qui vivent une vie familiale par procuration, elle-même mise en scène de manière artificielle. 

Une vie entre écrans et crème glacée

Dans une temporalité contemporaine, le roman s’ouvre  par une enquête menée par une femme, Clara Roussel, sur l’enlèvement d’une de ces «enfants stars». Son investigation va la plonger dans un univers impitoyable de petites filles aux ongles manucurés, aux sourires sucrés et aux crèmes glacées. Et de mamans qui se donnent des airs d'éternelles créatures de série télévisée américaine comme Mélanie Claux, la mère de Kimmy et Sammy.
«La première fois que Mélanie Claux et Clara Roussel se rencontrèrent, Mélanie s’étonna de l’autorité qui émanait d’une femme aussi petite et Clara remarqua les ongles de Mélanie, leur vernis rose à paillettes qui luisait dans l’obscurité. “On dirait une enfant”, pensa la première, “Elle ressemble à une poupée”, songea la seconde. Même dans les drames les plus terribles, les apparences ont leur mot à dire. » écrit Delphine de Vigan.
Confrontation de deux mondes. Plongée dans le grand barnum numérique. L’idée de l'enquête policière permet à Delphine de Vigan de poser un regard, on pourrait presque dire " une caméra" sur la situation de ces enfants, avec une approche distanciée qui replace les choses dans le réel. 

Mais où et qui sont les parents ?

Comment cela est-il possible ? Comment "vendre" sa vie, son bonheur intime aux inconnus qui vous regardent ? Les parents de ces enfants ne se rendent pas compte de l'engrenage dans lequel la dure vie de l'audience les contraint d'entrer. Delphine de Vigan qui avait écrit dans Rien ne s'oppose à la nuit un magnifique portrait de mère défaillante  pose ici un regard à la fois sans jugement et sans complaisance :  comment  Mélanie, la mère, peut-elle "utiliser" ses enfants ? Comment peut-elle se laisser fasciner par ce spectacle qui lui vole sa vie ? Derrière les enfants de la net-réalité, se trouvent toujours les parents. Complices et inconscients. 

Et après ?

Le récit nous transporte ensuite dans le futur, où nous retrouvons les protagonistes en 2031. Avoir été objet de fantasme virtuel, avoir eu une enfance détournée de sa "gratuité" a un coût. Delphine de Vigan en imagine les traces et les blessures. La lecture de ce livre nous place devant un spectacle extrême et nous laisse songeurs. Elle nous interroge sur la manière dont nous, parents ou futurs parents, pourrions utiliser nos enfants malgré nous. Pas nécessairement dans les réseaux sociaux, mais par une légère appropriation de leurs exploits ou de leurs vies. Plus rien d'ordinaire aujourd'hui ne peut échapper à la tentation de devenir extra-ordinaire. Il ne s'agit plus du quart d'heure de célébrité warholien, mais plutôt d'un meilleur des mondes qui pousserait chacun à exister dans un espace numérique tentaculaire aux apparences faussement innocentes. Les enfants rois de la société de consommation seraient-ils devenus les enfants d'un royaume déchu, objets d'une société de la destruction ? Percutant, et cinglant.  

>Delphine de Vigan, Les enfants sont rois, Gallimard, 352 pages, 20 euros

En savoir plus

Visionner une lecture par Delphine de Vigan elle-même d'extraits de son livre à la Maison de la Poésie, avec La Grande Sophie. Rencontre animée par Marie-Madeleine Rigopoulos.

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