Lauréate du Renaudot de l'édition de Poche

«Vivre avec nos morts» : Delphine Horvilleur questionne le sens du deuil

Delphine Horvilleur, l'une des trois femmes rabbin de France, interroge la question du deuil et du sens de la finitude dans son dernier livre, Vivre avec nos morts. Petit traité de consolation (Grasset). Un ouvrage sensible et brillant, à l'image de son autrice, qui s'adresse à tous, sans distinction religieuse. Un texte de vie, qui parle du lien entre tous les vivants et leurs fantômes. Magnifique et essentiel. Il vient de recevoir le prix Renaudot 2022 pour son édition de poche.

Portrait de Delphine Horvilleur © Editions Grasset Portrait de Delphine Horvilleur © Editions Grasset

«Tant de fois je me suis tenue avec des mourants et avec leurs familles. Tant de fois j’ai pris la parole à des enterrements, puis entendu les hommages de fils et de filles endeuillés, de parents dévastés, de conjoints détruits, d’amis anéantis… » C'est ainsi que s'adresse à nous Delphine Horvilleur, l’une des trois femmes rabbins de France (Judaïsme en Mouvement) et directrice de la rédaction de la revue Tenou'a dans son dernier livre Vivre avec nos morts. Petit traité de consolation (Grasset). Comment aborder la mort ?Comment accompagner les endeuillés? Et finalement quel sens donner à la vie?  

Le dialogue des vivants et des morts

Delphine Horvilleur raconte le dialogue avec les familles qui l’ont sollicitée pour des funérailles et la conversation que leurs membres continuent d'entretenir avec ceux qui sont partis. Ces dialogues et conversations interviennent en vis à vis avec les récits de la tradition qui font écho aux différents parcours de vie des défunts et permettent de jeter un regard neuf sur leur existence. Faire dialoguer les vivants et les morts, tisser des liens entre eux, rappeler que ce qui a disparu permet d'ouvrir une brèche compose le tissu du livre, son linceul éclairé en quelque sorte. Eclairé par le souvenir, le lien inaltérable : «On emporte ses morts partout avec soi, et s’ils restaient au cimetière, cela se saurait.» Et de poursuivre : «En hébreu, le mot “cimetière” se dit “maison de la vie” ou “maison des vivants” parce qu’il y a une conscience particulière que c’est dans ce lieu que se joue le récit de la vie de ceux qui nous quittent. Et qu’il existe pour ceux qui restent une possibilité très particulière de raconter cette vie et de penser les traces que laissent les autres.» 

Ouvrir les chemins pour ceux qui restent

Ceux qui restent... Le deuil est un chemin, c'est ce que nous comprenons au travers de ce que nous transmet Delphine Horvilleur. Un message qui prend une tonalité particulière en cette année de pandémie, qui annonce chaque jour le nombre de ses morts, comme une performance. Toujours plus. Toujours plus loin. Et pendant ce temps, nous devons continuer à vivre. Vivre avec nos morts est le fruit d'une expérience et d'un chemin spirituel. Delphine Horvilleur partage ses méditations textuelles comme une contribution essentielle pour ouvrir nos coeurs à défaut de  nos âmes à la question de l'autre, de la finitude de la vie. Ce texte ne se veut pas religieux. Il vient interroger et ouvrir des voies. Il n'impose rien. Il ouvre un chemin pour ceux qui restent. Au nom de tous ceux qui sont partis. Car le décès de chaque personne vient nourrir le ballet des morts et des fantômes. Nous vivons tous avec de multiples fantômes: «Ceux de nos histoires personnelles, familiales ou collectives, ceux des nations qui nous ont vu naître, des cultures qui nous abritent, des histoires qu’on nous a racontées ou tues, et parfois des langues que nous parlons.»

Transmuer la mort en leçon de vie

Delphine Horvilleur l'écrit : être rabbin, c’est vivre avec la mort , « celle des autres, celle des vôtres». Mais c’est surtout transmuer cette mort en leçon de vie pour ceux qui restent : «Savoir raconter ce qui fut mille fois dit, mais donner à celui qui entend l’histoire pour la première fois des clefs inédites pour appréhender la sienne. Telle est ma fonction. Je me tiens aux côtés d’hommes et de femmes qui, aux moments charnières de leurs vies, ont besoin de récits.»

Les 3 niveaux du texte : le récit, la réflexion et la confession

A travers onze chapitres, Delphine Horvilleur superpose trois dimensions, comme trois fils étroitement tressés  : le récit, la réflexion et la confession. Le récit d’une vie interrompue (célèbre ou anonyme), la manière de donner sens à cette mort à travers telle ou telle exégèse et l’évocation d’une blessure intime ou la remémoration d’un épisode autobiographique dont elle a réveillé le souvenir enseveli. La mémoire individuelle rejoint toujours à un moment celle plus ample du collectif. 

Le conteur ouvre la porte, le texte montre la route... et les fantômes sont à nos côtés

Delphine Horvilleur écrit dans un va et vient entre ses récits d'expérience et les récits sacrés qui ouvrent un passage entre les vivants et les morts. « Le rôle d’un conteur est de se tenir à la porte pour s’assurer qu’elle reste ouverte » et de permettre à chacun de faire la paix avec ses fantômes…
C'est ce qui est fort dans ce livre. Il ne se situe pas dans l'abstraction. C'est probablement  la raison pour laquelle le titre parle de nos morts et non de la mort. Delphine Horvilleur parle aux vivants qui parlent à leurs morts.

La chaîne de la vie

C'est une chaîne à laquelle nous particpons tous. « Je crois qu’il y a tout autour de nous des fantômes, il y en a toujours eu.(...) La question, est de savoir quel dialogue on va engager avec eux. Un fantôme, ce n’est pas forcément mauvais, qu’on y croie ou pas, c’est une allégorie : comment vous vivez avec les résidus dans vos vies, avec ce que vous n’avez pas pu faire, dire, réaliser. Il faut apprendre à vivre avec, mais on ne peut le faire que si on accepte de discuter avec eux..»
Grâce à ce livre, les lecteurs feront peut-être la paix avec leurs fantômes et au moins trouveront la force de continuer à vivre, avec ou malgré eux. 

> Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts, Petit traité de consolation, Grasset, 234 pages, 19,50 euros. >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

En savoir plus

Delphine Horvilleur était l'invitée de Léa Salamé sur France Inter pour parler de son livre, Vivre avec nos morts. 

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