Feux de la rampe

"Le Rouge et le Noir" de Stendhal, un texte universel et inspirant

A partir de septembre 2016 se jouera au Palace l’adaptation du célèbre roman de Stendhal, Le Rouge et le Noir, sous la forme d’un « opéra rock ». Mais qu'est-ce que Le Rouge et le Noir? Pourquoi le roman de Stendhal n'en finit-il pas de fasciner et d'inspirer cinéastes et metteurs en scène? En quoi son message est-il universel ? Revenons sur ce monument de la littérature et sur le personnage emblématique de Julien Sorel, incarnation de l'ambition et de l'idéal refoulé. 

Gros plan sur l'affiche du film de Claude Autant-Lara avec Gérard Philippe et Danielle Darrieux tiré du roman de Stendhal Gros plan sur l'affiche du film de Claude Autant-Lara avec Gérard Philippe et Danielle Darrieux tiré du roman de Stendhal

La mode des comédies musicales ne semble pas prête de passer… Après Notre-Dame de Paris ou Les Misérables, c’est au tour d’un autre grand roman du patrimoine littéraire français d’être mis sur scène en musique… A partir de septembre 2016 se jouera au Palace l’adaptation du célèbre roman de Stendhal, Le Rouge et le Noir, sous la forme d’un « opéra rock ». Un sérieux défi ! Mais qu'est-ce que Le Rouge et le Noir? Pourquoi le roman de Stendhal n'en finit-il pas de fasciner et d'inspirer cinésates et metteurs en scène? En quoi son message est-il universel?

Le Rouge et le Noir fait partie de ces grands romans du XIXème siècle qui traversent les époques sans jamais prendre une ride. Il continue d’être lu et étudié, de nous parler et de nous faire parler. Stendhal retrace le parcours de Julien Sorel dans la France de la Restauration. Mu par son désir d’ascension sociale, il cherchera par tous les moyens à se faire une place dans la société. Cette problématique continue de résonner dans notre société moderne, où la course à la célébrité, à la richesse, à la reconnaissance sociale semble être la règle.

Du fait divers à la fresque romanesque

De nos jours, de nombreux romanciers s’inspirent de faits divers comme points de départ pour l’écriture d’un roman. Le roman d’Alexandre Seurat, la Maladroite, a marqué la rentrée littéraire 2015, pour son traitement intelligent et distancié d’une affaire de maltraitance d’enfant. Mais ce procédé n’est pas propre à notre époque moderne. En effet, de nombreux auteurs du XIXème ont fait de même, profitant de l’essor de la presse et répondant aux besoins des écrivains de se tourner vers la peinture du réel.

Ainsi, pour l’écriture du Rouge et le Noir, Stendhal s’inspire de l’affaire Berthet, un fait divers ayant eu lieu en 1827 dans un petit village d’Isère. Antoine Berthet, jeune homme de 24 ans et fils d’artisans, est remarqué très tôt par un curé pour sa grande intelligence. Il le fait entrer au séminaire. Cependant, le jeune homme à la santé fragile ne peut supporter la dure vie des séminaristes. Il est alors engagé comme précepteur chez les Michoud et devient rapidement l’amant de la femme. Il change ensuite de famille et entre au service des Cordon, une famille noble. Il séduit cette fois-ci la fille de son nouvel employeur. Mais la relation est découverte et Antoine Berthet est renvoyé. Furieux, ayant échoué dans son rêve d’ascension sociale, il rencontre son ancienne maîtresse Mme Michoud dans une église et lui tire dessus. Suite à un procès, il est exécuté en 1828.

Force est de constater que l’intrigue du roman de Stendhal suit de très proche de ce fait divers. Julien Sorel appartient à une famille de charpentiers mais passe son temps à lire et à étudier. Il est engagé comme précepteur d’abord chez les De Rênal, des bourgeois très influents vivant dans la ville de Verrières. C’est là qu’il fait la rencontre décisive de Mme de Rênal, avec qui il vivra une histoire d’amour interdite. Après un passage au séminaire de Besançon, il grimpe d’un échelon dans l’échelle sociale en étant engagé auprès des De la Mole, une grande famille noble de Paris. Il y rencontre la belle Mathilde avec laquelle il entretient une relation passionnée et tumultueuse. Mathilde est prête à renier sa famille pour lui : ils se marient en secret, elle attend un enfant. Mais alors que Julien semble être arrivé à son but ultime (marié à un de plus beaux partis de Paris, il est parvenu à se hisser en haut de la hiérarchie sociale), il revient à Verrières et tire sur son ancienne maîtresse, Mme de Rênal, au sein d’une église. Geste fou qui le conduit directement en prison. Et à l’échafaud.

Sur le papier, Stendhal semble donc simplement reprendre la trame d’un fait divers à sensation… Mais celui-ci n’est qu’un point de départ, un tremplin, pour la mise en place d’une fresque historique et romanesque. Stendhal part du particulier, de l'anecdotique, pour soutenir un discours et une réflexion sur la société et sur l'homme. C'est à ce processus de généralisation, à cette prise de hauteur, que l'on reconnaît les grands romans, ceux qui sont capables de traverser les époques. 

Une peinture au vitriol de la France de la Restauration

Stendhal se joue des catégories littéraires, en premier lieu de celle du roman dit « historique ». Le sous-titre du roman est « Chroniques de 1830 », ce qui semble a priori le rattacher à cette catégorie de romans, très en vogue au XIXème. Avec cette date, 1830, on pense immédiatement à la Révolution de Juillet et aux Trois Glorieuses. Les 27, 28, 29 juillet 1830, le peuple de Paris se soulève contre Charles X, ce roi issu de la branche des Bourbons qui rétablit peu à peu en France la rigueur de la monarchie, tournant le dos aux acquis de 1789. C’est le temps des barricades. Mais alors qu’Hugo fait danser Gavroche sous le feu des balles, Stendhal ne laisse pas entrer cette actualité dans son roman. Lui a pour projet de faire revivre les hommes de la Restauration. C’est dans cette société que le parcours de son héros prend sens.  

Stendhal aborde l’histoire non par les faits ou les évènements, mais par la peinture des mœurs et des caractères. Au fil des pages, le lecteur rencontre différents personnages qui représentent tous un « type ». Il y a M. de Rênal, le maire ayant fait fortune grâce à une fabrique de clous : intéressé et cupide, il mesure son importance sociale par la hauteur des murs qui entourent sa propriété… Il y a M. Valenod, un autre habitant de Verrières, que le narrateur décrit comme « un de ces êtres grossiers, effrontés et bruyants qu’en province on appelait de beaux hommes ». Jaloux, envieux, il n’a qu’un but : parvenir. Il sera l’ennemi juré de Julien, voyant en lui un dangereux rival.  Le lecteur a aussi l’occasion de rencontrer des représentants du clergé: si certaines figures sont positives (l’Abbé Pirard, l'Abbé Chélan), d’autres font littéralement froid dans le dos, comme le terrible Abbé de Frilair.

Mis côte à côte, tous ces personnages donnent une image très négative de cette France de la Restauration. Ils concourent à décrire une société hypocrite et vile qui repose sur de fausses valeurs. A partir de là, le désir d’ascension sociale est problématique. Comment s’intégrer dans une société viciée ? D’ailleurs, faut-il seulement le souhaiter ?

Un roman d’initiation problématique

Le bildungsroman  ou  « roman d’apprentissage » naît au XVIIème siècle et connaît un grand succès au XIXème. Il s’agit de raconter la formation d’une jeune personne et son intégration dans une société. La trame de ces romans repose à l’origine sur une idée de progrès : le personnage grandit, se forme, apprend. Le Rouge et le Noir reprend cette tradition tout en la modifiant profondément.

Au début du roman, Julien est jeune, faible, à peine sorti de l’enfance. La première vision qu’en a le lecteur se déroule à la scierie de son père : il est assis sur une poutre, plongé dans sa lecture, et se fait violemment réprimander par son père, un charpentier bourru et mauvais. Julien est décrit sous les traits d'un enfant : il a « les larmes aux yeux », « les joues pourpres et les yeux baissées », « des traits délicats »... Quand il se présente au domicile des Rênal pour commencer sa mission de précepteur, il n’ose même pas frapper, immobilisé par la peur.

A partir de là, toute l’énergie de Julien ira dans le sens de se construire une autre image sociale : celle d’un homme sûr de lui, intelligent, méritant. Il n’aura de cesse d’étudier la société pour mieux l’intégrer. Comme son idole Napoléon, il rêve de grandeur. Mais les temps ont changé, la carrière militaire n’est plus la voie royale pour se hisser dans la société. Il faudra trouver d’autres pistes et adapter sa conduite aux codes et aux normes de son époque. La voie religieuse semble être un bon tremplin : Julien tentera une carrière ecclésiastique, faisant un passage remarqué au séminaire de Besançon. Mais une autre voie l’attire : la voie mondaine. Il aura à cœur de se rapprocher des familles influentes : le De Rênal tout d’abord, représentant de la haute bourgeoisie. Puis les De la Mole, un des familles nobles les plus influentes de Paris. Il y séduira deux femmes : Mme de Rênal, épouse du maire et déjà mère de deux enfants, puis Mathilde de la Mole, la fille du marquis.  

Pourtant, malgré tous ses efforts, Julien reste marginal. Il suscite autant d’admiration que de haine. On se méfie de lui, de son esprit, de son intelligence. On se moque de sa sensibilité, de son exaltation. Julien ne parvient jamais à trouver sa place. Mais est-ce réellement un échec ? Ne pas trouver sa place dans une société marquée par la médiocrité, la bassesse et le vice, peut au contraire se lire comme un signe de grandeur et de valeur. La course à la réussite sociale était donc un leurre. Le véritable apprentissage, Julien le fera en prison. En effet, voilà un des paradoxes clés du roman : le héros apprend la vérité sur lui-même une fois coupé du monde et isolé de cette société qu’il a tant cherché à comprendre et à intégrer. La véritable initiation est donc solitaire et prend une valeur éthique et non sociale.

Un roman d’amour ?

La question de l’amour est complexe dans ce roman. D’un côté, Julien se sert des femmes pour servir son ascension sociale, comme le fait Rastignac, le héros de La Comédie Humaine de Balzac. Pour lui, la conquête des femmes s’envisage de la même façon que la conquête militaire. Ainsi en est-il des quelques pages savoureuses où le héros met en place un réel plan de bataille pour parvenir à prendre la main de Mme de Rênal ! Soldat galant et déchu, condamné à de petites manœuvres sans grandeur, Julien côtoie le ridicule et frôle la bêtise.

Mais derrière ces petites ruses et ces fausses démarches, il y a de vrais sentiments. Les deux grandes héroïnes du roman, Mme de Rênal et Mathilde, cristallisent des émotions, et même plus, des passions. La première est la femme « parfaite » : angélique, douce, maternelle. Elle est la première passion de Julien, celle qui lui fait découvrir l’amour. La seconde est la jeune femme passionnée, violente, révoltée. Mathilde s’ennuie dans une société trop cloisonnée, trop réglée, trop lisse. L’arrivée de Julien lui apparaît comme un moyen de s’évader, de vivre des sentiments intenses. Certains ont pu voir un elle la sœur symbolique de Julien, son double féminin.

Mais malgré le côté fascinant du caractère de Mathilde, c’est bien Mme de Rênal que choisit Julien. C’est en prison, seul, qu’il se rend compte de la profondeur de ses sentiments pour elle. Alors qu’il refuse toutes les visites de Mathilde (qu’il a pourtant épousée !), il ne veut voir qu’elle. Avant de mourir, il accède à la vérité sur lui-même et découvre le véritable amour, libéré des contraintes sociales.

Le défi de la comédie musicale

Le Rouge et le Noir est donc un roman dense, complexe, qui utilise à loisir l’ironie. Stendhal se joue des codes et des classifications pour faire une œuvre unique. La puissance du roman tient particulièrement dans la peinture de ses personnages, dont l'image reste ancrée dans l’esprit du lecteur longtemps après avoir tourné la dernière page… Pour Nietzsche, Stendhal est « le dernier des grands psychologues français ». En effet, le romancier a à cœur d’explorer l’âme de ses personnages principaux et a pour cela recours au discours indirect libre : grâce à lui, le lecteur est happé dans les méandres des pensées de Julien, de Mathilde et des autres. 

L’équipe de « Le Rouge et le Noir, l’opéra rock » (adaptation, Alexandre Bonstein / compositeurs : William Rousseau, Zazie…) s’est donc lancé un défi relevé... C'est le finaliste de The Voice 2015, Côme, qui incarnera le rôle de Julien Sorel.  La comédie musicale tentera de se démarquer par une orchestration moderne s'inspirant des modèles anglo-saxons (projection, images 3D, effets sonores...).Les paroles du refrain de la chanson "La Gloire à mes genoux" évoquent l'ambition dévorante de Julien ("je veux la gloire à mes genoux, je veux le monde ou rien du tout, pas les menus plaisirs, pas les petits désirs, les privilèges"). En espérant que le reste du spectacle enrichisse le portrait du plus célèbre des anti-héros ! Et nous incite à relire le texte de Stendhal.

En savoir plus

>Ecouter un extrait de l'opéra-rock adapté du Rouge et noir qui se jouera en Septembre 2016 à Paris au Palace:

>Lire un long extrait du Rouge et Noir:
 

>Visionner un extrait du film de Claude Autant-Lara adapté du livre de Stendhal avec Gérard Philippe
>Visionner un extrait du film de Jean-Daniel Verhaeghe  adapté du livre de Stendhal en 1972:

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