Prix Renaudot 2020

«Histoire du fils» de Marie-Hélène Lafon: A la recherche du père perdu

Toujours ancrée dans les terres d'Auvergne qui lui sont chères, Marie-Hélène Lafon livre avec Histoire du fils (Buchet-Chastel) un roman sensible et puissant sur le délicat sujet de la filiation et de la quête des origines. Ce treizième roman de l'auteur vient de recevoir le Prix Renaudot 2020. Une récompense plus qu'attendue.

Comme le révèle Marie-Hélène Lafon elle-même, son processus d'écriture est une histoire de corps à corps avec les mots. Son écriture charnelle, toujours sensible, donne pleinement vie aux personnages et confère tout son relief et sa substance au récit, tiré ici d'un fait réel qu'on lui a rapporté.

Une fresque familiale

L'histoire se situe entre Paris et le Cantal paysan du XXème siècle,  et déroule sur cent années durant (de 1908 à 2008), le destin de deux familles qui ne se connaissent pas et que rien ne relie, si ce n'est la naissance en 1924 d'André, fruit des amours de Paul, jeune et fougueux bachelier, et de Gabrielle, une infirmière de dix ans son aînée. Gabrielle sait que leur relation est vouée à mourir, et elle décide que Paul n'apprendra jamais sa paternité. Elle choisit de confier son fils à sa soeur Hélène, qui élèvera son neveu à Figeac avec ses filles, comme son propre enfant. André trouve ainsi son équilibre, entre les joies d'une famille aimante, sa mère parisienne qu'il ne voit que deux mois par an, et un père dont il ignore tout, sauf l'absence. Toute sa vie durant, il oscille entre le désir de percer le secret de ses origines, et la crainte de lever le voile sur une zone d'ombre de lui-même dont il ignore tout. Il chemine ainsi, allant de rêve en révélation, frôlant parfois la vérité mais rebroussant chemin au dernier moment. C'est finalement son propre fils Antoine qui achèvera cette tâche de réappropriation du passé, cent ans après le drame qui ouvre ce récit. La boucle est bouclée.

Un puzzle généalogique

Tout secret de famille ne saurait être l'affaire d'un seul homme, et c'est chacun des membres, chaque protagoniste de cette histoire qui a sa place et son rôle à jouer. Ils tissent les liens du présent et forgent  l'avenir, ressassent aussi des douleurs vives et silencieuses qui se transmettent aux générations suivantes, les chargeant malgré eux d'un poids écrasant. 

A travers le récit de douze journées étalées sur un siècle, sans ordre chronologique, l'auteur dispose les éléments qui composent cette fresque généalogique aux destins croisés. L'histoire se reconstitue au fil du récit, comme les pièces d'un puzzle, qui, une fois à leur place, offrent un tableau d'ensemble cohérent, dans lequel chaque évènement, drame ou petit bonheur, fait enfin sens.

Un père qui manque et qui s'ignore

Paul, le père biologique d'André, par son absence devient un personnage central du roman. C'est lui qui concentre les interrogations et les mystères du passé qui assaillent André. Cet homme est un inconnu pour son fils, qui ne découvrira son identité que tardivement, au hasard d'une confidence maternelle. En filigrane de la vie d'André, et malgré les liens du coeur qu'il a tissés avec son oncle et sa tante, transpire le manque, manque d'un point d'origine, et de réponses à des questions qu'il n'ose poser. Qui est ce père? Connaît-il seulement l'existence de son fils ? Car en en effet, si l'enfant n'a jamais connu son père, il sait au moins qu'il en a un... André l'a bien compris, «A père inconnu, fils inconnu»Comment alors raccrocher les wagons de l'existence?  Comment reconstituer sa filiation, et se préparer soi-même à transmettre son histoire aux générations futures?  Tout au long du récit émergent avec pudeur et finesse ces questions qui jalonnent la construction de tout homme et de son identité.

Une histoire d'hommes, aux mains d'une femme?

Histoire du fils, histoire d'un homme... Et du père, sans doute, mais aussi de la mère. Et si un personnage interpelle, en effet, c'est Gabrielle, la mère d'André, à tel point qu'on se demande si elle n'est pas le point névralgique du roman. Car dans ce récit à première vue centré sur la recherche d'un père, c'est bien elle, l'origine de cette absence... Et elle-même, en abandonnant l'éducation de son fils à sa soeur, reste très en marge de sa propre maternité. Qui est-elle vraiment? Quelles sont les raisons de ses choix, qui ont déterminé en partie l'existence de son fils?     

L'auteur choisit de laisser en suspens ces questions. Une façon pudique de protéger son personnage? De suggérer subtilement que notre histoire personnelle ne nous appartient jamais totalement, et que certains choix demeurent obscurs et inexplicables? Dans tous les cas, une ellipse qui témoigne de la bienveillance que Marie-Hélène Lafon voue à chacun des protagonistes, respectant leurs failles et leurs secrets.

Et si son récit prenant, tout d'un souffle, doit beaucoup à son écriture acérée et dense, les personnages, modèlés avec force et subtilité, ont suffisamment de profondeur pour garder une part insondable et mystérieuse. Sans doute un secret de grand écrivain.

Extrait

« André a dix ans pour toujours sous les platanes de la rue Bergandine. (...) Il a déjà éprouvé une fois ou deux cette sensation vertigineuse de remettre ses pas dans des traces anciennes, mais jamais avec autant de netteté. Hélène, Léon et le trio des cousines sont là, dans la pénombre de la maison restée fraîche. Les cousines sont venues seules, en filles, comme elles disent joliment ; Gabrielle ne faisait pas l'unanimité dans la parentèle élargie. André se dit qu'il faut sans doute être du sang pour comprendre et accepter cette dévotion sourde et indéfectible qu'Hélène et les siens ont toujours nourrie à l'endroit de la Parisienne, qui apparaissait, disparaissait, n'élevait pas son fils, faisait mystère de tout, et riait pointu avec ses trois nièces sous la tonnelle de glycine au fond du jardin les soirs d'été. André rumine. Le sang n'est rien. Léon est son père choisi, élu ; on dit qu'ils ont, les deux, la même voix et de semblables intonations au point qu'au téléphone le cousines s'y trompent parfois et les confondent.»

>Marie-Hélène Lafon, Histoire du fils, Buchet-Chastel, 176 p. 15 €

En savoir plus

>Visionner une vidéo dans laquelle Marie-Hélène Lafon parle de son livre ( Réalisation Mollat)

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