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Mes avis (1)

Le 31 mai, 2018 - 07:43
la dictature argentine, j’ignorais tout, ou presque. Bien sûr, comme beaucoup d’entre nous, j’avais eu connaissance, de loin, de cette abomination, du Proceso, de la « Plaza de Mayo ». Bien sûr, je me souviens des images de ces mères, de ces grands-mères à la recherche des cinq cents bébés volés et distribués, tels des marchandises, dans les familles des militaires proches du pouvoir, des trente mille disparus dont elles brandissaient désespérément les photos, demandant Justice. Le roman de Frédéric Couderc, « Aucune pierre ne brise la nuit », paru aux Editions Héloïse d’Ormesson, est une plongée apnéique dans les bas-fonds les plus sordides de cette période-là. Tout commence autour d’un tableau exposé au Musée du Havre, oeuvre d’un peintre français vivant en Argentine, Ferdinand Constant, devant lequel Gabriel et Ariane se retrouvent. Un tableau, une rencontre, deux personnages qu’à priori rien ne lie. Lui est un argentin exilé, il porte les cicatrices d’un passé douloureux. Elle est française, mariée à un diplomate, mère d’une jeune fille Clara. Leur trait d’union sera l’Argentine, pays dans lequel Ariane et son époux ont vécu au plus sombre des années noires, de l’autre côté de la barrière, celui des privilégiés. Il y a eux. Et il y a l’ombre de Véro, fiancée à Gabriel vingt ans plus tôt, et victime innocente (comme tant d’autres) d’une arrestation arbitraire, d’une détention inhumaine à l’ESMA, et d’une exécution atroce. Véro torturée, assassinée. Véro qui était enceinte. Qui portait l’enfant de Gabriel. Cet enfant qui lui a été arraché, comme tant d’autres . « Il n’y a plus ni loi, ni espérance. Au fond de son abîme, elle cherche un nom à ces monstres, ces nazis. Ils sont cruels, sanguinaires, inhumains, mais elle ne trouve pas comment les qualifier, il n’y a pas de mot » . Alors qu’Ariane apprend, par un concours de circonstances que sa fille est un bébé volé, Gabriel part à la recherche de son enfant. Tous deux, unis par un amour puissant, par une évidence que seul le cœur reconnaît, se lancent dans une quête de leurs vérités. Celles-là mêmes qui vous laissent pantois, tant elles vous surprennent, tant le fil conducteur de l’intrigue est savamment mené. Le roman s’ouvre sur un tableau (on apprendra plus sur son auteur, au fil des pages). Moi, lectrice, j’apparente l’écriture de Frédéric Couderc à une œuvre picturale. Une œuvre au couteau. Pour donner ce relief indispensable à la puissance née d’une ignoble réalité. Un tableau, oui, dont les personnages, tout en nuances, oscillent entre scrupules, peur, colère, envie de vengeance, pardon. Un tableau avec , à l’arrière-plan, l’horreur. Comme elle est indicible, alors il la suggère. A la perfection. Avec cette retenue qui en fait toute la grandeur. Avec émotion. Avec cette question lancinante sur l’identité qu’il faut construire quand on n’est pas qui on croyait être. Il peint ces femmes qui se battent au nom de la Vérité. Envers et contre tout. « La vérité n’est pas toujours un soulagement, elle peut te mener à une impasse redoutable » Aucune pierre ne brise la nuit est une lecture aussi marquante que nécessaire. J’ai beaucoup beaucoup appris. Des horreurs dont je ne soupçonnais pas l’existence. Des ignominies enterrées. Ce lien vomitoire entre l’OAS et le Proceso. L'Algérie comme terre d'apprentissage. C’est le cœur retourné que j’ai refermé ce splendide plaidoyer pour la Liberté, cette belle histoire d’Amour , que je vous recommande plus que vivement, par ces temps ambiants. « Certaines rencontres ont l’air programmées, comme si la roue du destin nous téléguidait, mais c’est une illusion Oui, des cascades de coïncidences peuvent profondément changer une vie, peut-être même qu’elles obéissent à leur propre logique, mais inutile de les interpréter. On doit juste se débrouiller avec ça, à l’instinct. »

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