Décembre Difficile

Résumé

La poésie de Jean-Paul KLÉE a été remarquée par les meilleurs critiques de France. Le site Poezibao estime que c’est l’une des plus originales de notre temps. Tout y circule à fleur de feuillet, même l’érotisme, le désarroi social et la crise mondiale. Enfin une poésie pour les âmes d’aujourd’hui.

Né à Strasbourg en 1943, Jean-Paul KLÉE enseigna à l’École Normale de Beauvais. Militant contre la centrale de Fessenheim et les lycées Pailleron, il connut la prison durant dix-sept jours au Centre Pénitentiaire de Fresnes en 1989. Son père, le philosophe Raymond Klée, fut assassiné en 1944 par les Nazis. Dans les tiroirs de Jean-Paul KLÉE attendent près de treize mille pages de prose et de poésie.

*


En couverture : Roger DALE, peinture de la collection du Struthof (1994) du catalogue de l’exposition Struthof, 100 vues de liberté édité par la Ve Biennale Mitteleuropa, BF édition, 1995. Roger DALE, peintre paysagiste né le 13 septembre 1950 à Liverpool, vit et travaille actuellement à Strasbourg, en Alsace, où il est également professeur à la Haute École des Arts du Rhin depuis le début des années 1980.

Extraits & Citations (3)

L’Odyssée avait des lampions qui bleuïssaient le carnet où tout ceci s’écrivit & la lüeur pülsativait tout le restant j’écris !… Oh quelle sera l’Écrevisse si lentement s’avv ancera & le flüo vari[a ble fée son ciné… Ici c’est l’un des plus vieux cinémas qu’il y a dans le monde c’est ici que vient souventes fois Sido Gall qui joliment chanta les années 1980 oh belles années qui préparèrent nos moissons !…
l’hyver blanchir tout (même si merdika üniversalis aura le dernier mot) – Rabougris les arau carias ne nous sauveront pas de ce sol déjà contaminé par le DÉSESPOIR COMMUN – Ah c’est univoquement ASSEZ (on aura des SUICIDÉS par milli ons) dizain[es de millions !… Froideur & düreté, tout sentiment disparaîtra oh lâcheté dü cœur hümain ça n’a pas de finissement & nos désœuvrés n’aboutiront jamais à ce que l’hümanité s’insta lle vraiment bien ici & là ?… Sommes-nous pas nous tous monstrü eux vachement canardeurs...
 « diable » qui changera rien j’y croyais pas non plus – Décidément c’est le tréfonds de l’HOMME (ce trésor inconnü) qu’il faut explorer, oui, c’est de cet OCÉAN intérieur qu’il faudra ültimement tirer TOUT !…

Les avis sur ce livre (2)

Les avis

Le 4 juillet, 2017 - 18:10
La lettre du Phénix, blog
 
 
SJean-Paul Klée publie son onzième recueil de poésie, Décembre difficile. Un livre-cri sur les temps insoutenables à venir et un premier jalon mémorable pour la jeune maison d’édition parisienne Belladone, fondée par Aurore Guillemette, et pour son directeur de la collection poésie « L’Olifant », Grégory Huck.
 
 
 « Est-ce que la poésie va continuer d’exister ? » s’inquiète le poète né dans le fracas des bombes de la dernière guerre. Comme au chevet désormais des peuples en danger, il multiplie les mises en garde contre les mines à retardement posées depuis les quatre dernières décennies sur cette planète surexploitée : « Nous vivons une époque pré-révolutionnaire, en dépit d’un apaisement apparent suscité par cette élection… La poésie a le droit et le devoir de parler de cet état de choses inimaginable qui aurait mis au défi Dante lui-même…. Une poésie qui ne parlerait pas de l’extinction imminente de l’espèce resterait vaine, esthétisante ou décorative… Il y a quinze millions de pauvres en France et ça ne fait bouger personne. Mon dernier recueil est résolument engagé, quitte à ce que le poétique soit écrasé…»
 
Le matin encore lui était venu un poème sur ce qu’il appelle pudiquement le marasme bancaire : « Peut-on seulement imaginer ces milliards de transactions passées à la nanoseconde ? C’est comme une mérule en train de dévorer les fondations d’une maison : elle jette ses filaments depuis la cave jusqu’à la charpente… Il faudrait un poète immense comme le Hugo de La Légende des siècles ou un Shakespeare pour décrire ça – à défaut de l’empêcher… Il n’y a pas eu de grand texte poétique français sur la Grande Guerre ou Auschwitz comme si la sidération rendait mutique… Je rêve d’un poète qui puisse saisir l’esprit collectif et tendre ce miroir à sa société…»
 
 
Notre mère la poésie
 
Dans les premiers jours de mars 1963, un grand jeune homme roux d’à peine vingt ans monte les escaliers de l’imprimerie Istra (alors sise au 15, rue des Juifs), vers les bureaux d’Antoine Fischer (1910-1972), le mythique fondateur des Saisons d’Alsace : il lui amène son premier article sur le Sturmhof alors voué à la démolition. Jean-Paul Klée vient d’entrer dans l’histoire littéraire – deux ans avant, il avait déjà publié son premier texte dans L’Almanach du Messager boiteux :
 
« J’habitais alors rue des Sœurs, j’avais juste deux rues à traverser, ce 13 mars. Antoine Fischer était un remarquable chroniqueur d’opéra et le frère de Monseigneur Eugène Fischer, un ami de mon père. Il lisait mes textes sur le champ et me les prenait. Je le revois encore, avec sa moustache grisonnante et ses grosses lunettes. Il était d’une modestie et d’une discrétion admirables…»
 
A la librairie Gangloff, il avait découvert un superbe exemplaire de la revue Le Point (faite à Mulhouse) : « J’ai compris que la poésie, au XXe siècle, ce n’est plus Victor Hugo mais des choses simples, sincères, autobiographiques et accessibles. J’étais encore dans l’écriture d’un journal et je suis entré en poésie grâce à cette revue. »
 
En 1970, il publie L’Eté l’éternité (Chambelland), son premier recueil de poésie préfacé par Claude Vigée : « J’avais donné une quarantaine de poèmes et j’avais reçu bien plus… ».
 
En 1972, la revue Poésie Un consacre un numéro consacré à la jeune poésie d’Alsace, tiré à vingt mille exemplaires. Cette année-là, Jean-Paul Klée voit sa Crucifixion alsacienne reprise dans une double page du Monde que Jean Egen consacrait à la poésie alsacienne – ainsi que dans La Nouvelle Revue socialiste.
 
De surcroît, Le Panorama de la poésie depuis 1945 (Bordas) de Serge Brindeau lui fait une place de choix, ainsi que l’anthologie de Georges Holderith – un « envahissement de renommée » et la reconnaissance d’une poésie de combat – déjà… Son combat s’appelle alors Fessenheim puis les inflammables collèges Pailleron – et, toujours, l’insoutenable qui laisse sans voix…
 
 
Le livre d’une absence
 
Son père, Raymond Lucien Klée (1907-1944), ami de Simone Weil (1909-1943), est reçu second en 1931 à l’agrégation de philosophie, devant Claude Levi-Strauss (1908-2009). Il travaille à une thèse sur Husserl – de quoi nourrir avec Jean-Paul Sartre (1905-1980) des discussions passionnées à la Maison de France à Berlin où ils vivent une année (1933) : « Il a peu écrit : il s’occupait surtout des autres et publiait une revue d’aide aux candidats à l’agrégation qu’il imprimait à son domicile, rue Lemoine, à Paris. Il s’intéressait à la sociologie, estimant qu’il faudrait une psychopathologie de la vie politique. C’est devenu une tendance des sciences sociales… ».
 
Mort au Struthof le 18 avril 1944 (arrêté au lycée de Versailles où il enseignait, il y a été déporté pour « propagande gaulliste »), Raymond Lucien Klée n’a pas eu le temps d’accomplir son œuvre. Son fils entend lui rendre son destin volé – en 1976, il adresse dans Elan une lettre à celui qui aurait dû alors entrer dans sa soixante-dixième année.
 
Entretemps, le comte Odon de Montesquiou-Fezensac (1906-1964), issu d’une famille du Gers et parent du comte Robert de Montesquiou (1855-1921), fait un tour de piste dans sa vie : « Le comte de Montesquiou a inspiré à Marcel Proust le personnage du baron Charlus. L’un de ses descendants devient le compagnon de ma mère. L’été, je me retrouvais comme en réclusion au château de Courtanvaux, près de Bessé-sur-Braye (Sarthe), en Vendômois,  la terre des rois de France et des courtisans… Il y avait des bibliothèques grillagées à tous les étages, c’était un coin de France pourri de littérature : Ronsard, Musset et Proust y avaient leur gentilhommière. »
 
En 1957, le jeune Jean-Paul s’entraîne pendant des semaines à faire un baisemain à la princesse Marthe Bibesco (1886-1973), alors annoncée en visite chez son cousin le comte : « J’ai baisé la main qui avait serré celle de Marcel Proust. Entre la Belle Epoque et la dernière guerre, la princesse avait fait chavirer toutes les têtes couronnées d’Europe et ébloui par son esprit. Ses œuvres poétiques étaient supérieures à celles de sa parente Anna de Noailles…»
 
Il apprend à lire et à écrire dans Le Figaro, que le comte achetait tous les jours au numéro : « Tous les lundis, il y avait une chronique signée Guermantes (c’était le pseudonyme de Gérard Baüer), Instants et visages, d’une grâce incomparable. Elle m’a déterminé, autant que la lecture de Flaubert, dans ma recherche stylistique. Toute l’Académie Goncourt, d’André Billy à Roland Dorgelès, y chroniquait alors : j’ai grandi avec eux ! ».
 
La parole élue et le livre inachevé…
 
Professeur de lettres à Saverne (1971-1979), il crée en 1973 sa propre structure éditoriale, publiant à mille exemplaires des recueils d’élèves ou d’amis comme Conrad Winter (1931-2007) : « Il y avait de véritables effusions poétiques : on ne quittait plus la poésie ! Les élèves les vendaient dans la rue, l’aventure a duré jusqu’en 1977… »
Cette année-là paraît le dernier cahier de la collection, Le sacrifice de Jean-Lumière contre Fessenheim-Hiroshima, un « sketch-cri » mis en scène par la Compagnie du Lys de Louis Perrin : la centrale nucléaire de Fessenheim venait d’être achevée et Jean-Paul Klée s’impose comme la voix dominante des poètes alsaciens de langue exclusivement française.
Le successeur d’Antoine Fischer à Saisons d’Alsace, Auguste Baechler (1928-2006), envisage de lui confier la responsabilité d’une collection de monographies consacrées aux grands auteurs d’origine alsacienne (comme Claude Vigée, Alfred Kern ou Marcel Schneider) – mais survient le premier choc pétrolier …
 
En quarante années d’amour de la poésie, Jean-Paul Klée a donné une quinzaine de livres dont onze recueils-jalons finement ciselés, toujours nés d’une extrême nécessité œuvrant d’elle-même – de Poëmes de la noirceur de l’occident (bf 1998) à… Oh dites-moi Si l’Ici-Bas sombrera ?… (Arfuyen, 2002) et le récent Décembre difficile.
Aujourd’hui, il confesse avoir une quarantaine de volumes inédits dans ses tiroirs : « Il m’en vient tous les jours sans interruption. Je ne passe pas une journée blanche sans poésie, ce qui fait environ 800 feuilles par an… »
 
Mais il devient un poète de plus en plus écouté qui déplace les auditeurs : « Sans rien demander, je suis amené à multiplier les lectures poétiques, comme récemment à Bruxelles, Montmeyan, Woippy, Goussainville ou l’Ecole normale supérieure de Lyon où enseigne Cédric Villani. La poésie, c’est un rythme, un ton, une intonation, un accent, je n’écris que pour retrouver ça. Quand Cézanne peignait des pommes, le sujet n’existait plus : c’était juste du Cézanne… Pour la poésie, ce qui importe, c’est la manière dont c’est cadencé, peu importe le sujet : c’est un plaisir de déclamer en laissant descendre les mots, dans des lectures claires et courantes où le texte peut se déployer… Des audio-livres sont en projet… »
Dans son vaste appartement de Neudorf s’empilent des cartons d’archives – un témoignage irremplaçable sur un demi-siècle de vie littéraire qui s’impatiente de prendre volume. Face au vertige de tout ce qui se meurt d’avoir cru se perpétuer, le poète ne désarme pas : « L’autre jour, j’ai vu un moineau blessé : il ne peut plus s’envoler, un chat le guette. Alors, venu d’où ne sait où, une nuée d’autres moineaux s’abat sur le chat et le met en déroute… »
 
Tout, dans l’univers, se répond : la danse de l’abeille à la douleur muette de la pierre, la guerre à la fête – et la poésie à la foi, tant que le monde s’éveillera et se couchera dans la parole élue…
Le 4 juillet, 2017 - 18:10
La lettre du Phénix, blog
 
 
SJean-Paul Klée publie son onzième recueil de poésie, Décembre difficile. Un livre-cri sur les temps insoutenables à venir et un premier jalon mémorable pour la jeune maison d’édition parisienne Belladone, fondée par Aurore Guillemette, et pour son directeur de la collection poésie « L’Olifant », Grégory Huck.
 
 
 « Est-ce que la poésie va continuer d’exister ? » s’inquiète le poète né dans le fracas des bombes de la dernière guerre. Comme au chevet désormais des peuples en danger, il multiplie les mises en garde contre les mines à retardement posées depuis les quatre dernières décennies sur cette planète surexploitée : « Nous vivons une époque pré-révolutionnaire, en dépit d’un apaisement apparent suscité par cette élection… La poésie a le droit et le devoir de parler de cet état de choses inimaginable qui aurait mis au défi Dante lui-même…. Une poésie qui ne parlerait pas de l’extinction imminente de l’espèce resterait vaine, esthétisante ou décorative… Il y a quinze millions de pauvres en France et ça ne fait bouger personne. Mon dernier recueil est résolument engagé, quitte à ce que le poétique soit écrasé…»
 
Le matin encore lui était venu un poème sur ce qu’il appelle pudiquement le marasme bancaire : « Peut-on seulement imaginer ces milliards de transactions passées à la nanoseconde ? C’est comme une mérule en train de dévorer les fondations d’une maison : elle jette ses filaments depuis la cave jusqu’à la charpente… Il faudrait un poète immense comme le Hugo de La Légende des siècles ou un Shakespeare pour décrire ça – à défaut de l’empêcher… Il n’y a pas eu de grand texte poétique français sur la Grande Guerre ou Auschwitz comme si la sidération rendait mutique… Je rêve d’un poète qui puisse saisir l’esprit collectif et tendre ce miroir à sa société…»
 
 
Notre mère la poésie
 
Dans les premiers jours de mars 1963, un grand jeune homme roux d’à peine vingt ans monte les escaliers de l’imprimerie Istra (alors sise au 15, rue des Juifs), vers les bureaux d’Antoine Fischer (1910-1972), le mythique fondateur des Saisons d’Alsace : il lui amène son premier article sur le Sturmhof alors voué à la démolition. Jean-Paul Klée vient d’entrer dans l’histoire littéraire – deux ans avant, il avait déjà publié son premier texte dans L’Almanach du Messager boiteux :
 
« J’habitais alors rue des Sœurs, j’avais juste deux rues à traverser, ce 13 mars. Antoine Fischer était un remarquable chroniqueur d’opéra et le frère de Monseigneur Eugène Fischer, un ami de mon père. Il lisait mes textes sur le champ et me les prenait. Je le revois encore, avec sa moustache grisonnante et ses grosses lunettes. Il était d’une modestie et d’une discrétion admirables…»
 
A la librairie Gangloff, il avait découvert un superbe exemplaire de la revue Le Point (faite à Mulhouse) : « J’ai compris que la poésie, au XXe siècle, ce n’est plus Victor Hugo mais des choses simples, sincères, autobiographiques et accessibles. J’étais encore dans l’écriture d’un journal et je suis entré en poésie grâce à cette revue. »
 
En 1970, il publie L’Eté l’éternité (Chambelland), son premier recueil de poésie préfacé par Claude Vigée : « J’avais donné une quarantaine de poèmes et j’avais reçu bien plus… ».
 
En 1972, la revue Poésie Un consacre un numéro consacré à la jeune poésie d’Alsace, tiré à vingt mille exemplaires. Cette année-là, Jean-Paul Klée voit sa Crucifixion alsacienne reprise dans une double page du Monde que Jean Egen consacrait à la poésie alsacienne – ainsi que dans La Nouvelle Revue socialiste.
 
De surcroît, Le Panorama de la poésie depuis 1945 (Bordas) de Serge Brindeau lui fait une place de choix, ainsi que l’anthologie de Georges Holderith – un « envahissement de renommée » et la reconnaissance d’une poésie de combat – déjà… Son combat s’appelle alors Fessenheim puis les inflammables collèges Pailleron – et, toujours, l’insoutenable qui laisse sans voix…
 
 
Le livre d’une absence
 
Son père, Raymond Lucien Klée (1907-1944), ami de Simone Weil (1909-1943), est reçu second en 1931 à l’agrégation de philosophie, devant Claude Levi-Strauss (1908-2009). Il travaille à une thèse sur Husserl – de quoi nourrir avec Jean-Paul Sartre (1905-1980) des discussions passionnées à la Maison de France à Berlin où ils vivent une année (1933) : « Il a peu écrit : il s’occupait surtout des autres et publiait une revue d’aide aux candidats à l’agrégation qu’il imprimait à son domicile, rue Lemoine, à Paris. Il s’intéressait à la sociologie, estimant qu’il faudrait une psychopathologie de la vie politique. C’est devenu une tendance des sciences sociales… ».
 
Mort au Struthof le 18 avril 1944 (arrêté au lycée de Versailles où il enseignait, il y a été déporté pour « propagande gaulliste »), Raymond Lucien Klée n’a pas eu le temps d’accomplir son œuvre. Son fils entend lui rendre son destin volé – en 1976, il adresse dans Elan une lettre à celui qui aurait dû alors entrer dans sa soixante-dixième année.
 
Entretemps, le comte Odon de Montesquiou-Fezensac (1906-1964), issu d’une famille du Gers et parent du comte Robert de Montesquiou (1855-1921), fait un tour de piste dans sa vie : « Le comte de Montesquiou a inspiré à Marcel Proust le personnage du baron Charlus. L’un de ses descendants devient le compagnon de ma mère. L’été, je me retrouvais comme en réclusion au château de Courtanvaux, près de Bessé-sur-Braye (Sarthe), en Vendômois,  la terre des rois de France et des courtisans… Il y avait des bibliothèques grillagées à tous les étages, c’était un coin de France pourri de littérature : Ronsard, Musset et Proust y avaient leur gentilhommière. »
 
En 1957, le jeune Jean-Paul s’entraîne pendant des semaines à faire un baisemain à la princesse Marthe Bibesco (1886-1973), alors annoncée en visite chez son cousin le comte : « J’ai baisé la main qui avait serré celle de Marcel Proust. Entre la Belle Epoque et la dernière guerre, la princesse avait fait chavirer toutes les têtes couronnées d’Europe et ébloui par son esprit. Ses œuvres poétiques étaient supérieures à celles de sa parente Anna de Noailles…»
 
Il apprend à lire et à écrire dans Le Figaro, que le comte achetait tous les jours au numéro : « Tous les lundis, il y avait une chronique signée Guermantes (c’était le pseudonyme de Gérard Baüer), Instants et visages, d’une grâce incomparable. Elle m’a déterminé, autant que la lecture de Flaubert, dans ma recherche stylistique. Toute l’Académie Goncourt, d’André Billy à Roland Dorgelès, y chroniquait alors : j’ai grandi avec eux ! ».
 
La parole élue et le livre inachevé…
 
Professeur de lettres à Saverne (1971-1979), il crée en 1973 sa propre structure éditoriale, publiant à mille exemplaires des recueils d’élèves ou d’amis comme Conrad Winter (1931-2007) : « Il y avait de véritables effusions poétiques : on ne quittait plus la poésie ! Les élèves les vendaient dans la rue, l’aventure a duré jusqu’en 1977… »
Cette année-là paraît le dernier cahier de la collection, Le sacrifice de Jean-Lumière contre Fessenheim-Hiroshima, un « sketch-cri » mis en scène par la Compagnie du Lys de Louis Perrin : la centrale nucléaire de Fessenheim venait d’être achevée et Jean-Paul Klée s’impose comme la voix dominante des poètes alsaciens de langue exclusivement française.
Le successeur d’Antoine Fischer à Saisons d’Alsace, Auguste Baechler (1928-2006), envisage de lui confier la responsabilité d’une collection de monographies consacrées aux grands auteurs d’origine alsacienne (comme Claude Vigée, Alfred Kern ou Marcel Schneider) – mais survient le premier choc pétrolier …
 
En quarante années d’amour de la poésie, Jean-Paul Klée a donné une quinzaine de livres dont onze recueils-jalons finement ciselés, toujours nés d’une extrême nécessité œuvrant d’elle-même – de Poëmes de la noirceur de l’occident (bf 1998) à… Oh dites-moi Si l’Ici-Bas sombrera ?… (Arfuyen, 2002) et le récent Décembre difficile.
Aujourd’hui, il confesse avoir une quarantaine de volumes inédits dans ses tiroirs : « Il m’en vient tous les jours sans interruption. Je ne passe pas une journée blanche sans poésie, ce qui fait environ 800 feuilles par an… »
 
Mais il devient un poète de plus en plus écouté qui déplace les auditeurs : « Sans rien demander, je suis amené à multiplier les lectures poétiques, comme récemment à Bruxelles, Montmeyan, Woippy, Goussainville ou l’Ecole normale supérieure de Lyon où enseigne Cédric Villani. La poésie, c’est un rythme, un ton, une intonation, un accent, je n’écris que pour retrouver ça. Quand Cézanne peignait des pommes, le sujet n’existait plus : c’était juste du Cézanne… Pour la poésie, ce qui importe, c’est la manière dont c’est cadencé, peu importe le sujet : c’est un plaisir de déclamer en laissant descendre les mots, dans des lectures claires et courantes où le texte peut se déployer… Des audio-livres sont en projet… »
Dans son vaste appartement de Neudorf s’empilent des cartons d’archives – un témoignage irremplaçable sur un demi-siècle de vie littéraire qui s’impatiente de prendre volume. Face au vertige de tout ce qui se meurt d’avoir cru se perpétuer, le poète ne désarme pas : « L’autre jour, j’ai vu un moineau blessé : il ne peut plus s’envoler, un chat le guette. Alors, venu d’où ne sait où, une nuée d’autres moineaux s’abat sur le chat et le met en déroute… »
 
Tout, dans l’univers, se répond : la danse de l’abeille à la douleur muette de la pierre, la guerre à la fête – et la poésie à la foi, tant que le monde s’éveillera et se couchera dans la parole élue…

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