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Dictionnaire amoureux d'Albert Camus

« Dictionnaire amoureux d'Albert Camus » de Mohammed Aïssaoui, Plon, 2023

 J'ai longtemps pensé que j'étais le seul au monde à connaître Albert Camus, à le comprendre, et qu'il n'écrivait que pour moi. Camus, c'est mon père, mon frère, mon professeur, mon ami. Il me console des chagrins de l'existence. Avec lui, je ne me sens jamais seul. Je le comprends mieux que quiconque. Nul n'avait vécu ce que lui et moi avions vécu : la pauvreté, le vertigineux écart social entre notre milieu d'origine et celui auquel nous avons accédé, la mère analphabète qui ne lira jamais les livres que nous avons écrits, la honte, la condescendance. Mais également...
Souvenirs d'enfance, Tome 3 : Le Temps des secrets

« Le temps des secrets » de Marcel Pagnol, 1960

Après la terrible affaire du Château, si glorieusement terminée par la victoire de Bouzigue, la joie s’installa dans la petite Bastide-Neuve, et les grandes vacances commencèrent. Cependant, la première journée ne fut pas celle que j’avais vécue par avance avec tant de frémissante joie : Lili ne vint pas m’appeler à l’aube, comme il me l’avait promis, et je dormis profondément jusqu’à huit heures. Ce fut le tendre crissement d’un rabot qui me réveilla. Je descendis en hâte aux informations. Je trouvai mon père sur la terrasse : il redressait l’équerre d’une...
Le château de ma mère

« Le château de ma mère » de Marcel Pagnol, 1958

Lili savait tout; le temps qu'il ferait, les sources cachées, les ravins où l'on trouve des champignons, des salades sauvages, des pins-amandiers, des prunelles, des arbousiers; il connaissait, au fond d'un hallier, quelques pieds de vigne qui avaient échappé au phylloxéra, et qui mûrissaient dans la solitude des grappes aigrelettes, mais délicieuses. Avec un roseau il faisait une flûte à trois trous. Il prenait une branche bien sèche de clématite, il en coupait un morceau entre les nœuds, et grâce aux mille canaux invisibles qui suivaient le fil du bois, on pouvait la fumer...
La gloire de mon père

« La gloire de mon père » de Marcel Pagnol, 1957

Les bartavelles Oui, c’était bien un vallon, qui se creusait à mesure que je m’approchais. Peut-être était-ce celui du matin ?  Les deux mains en avant, j’écartais les térébinthes, et les genêts, qui étaient aussi grands que moi… J’étais encore à cinquante pas du bord de la barre, lorsqu’une détonation retentit, puis, deux secondes plus tard, une autre ! Le son venait d’en bas : je m’élançai, bouleversé de joie, lorsqu’un vol de très gros oiseaux, jaillissant du vallon, piqua droit sur moi… Mais le chef de la troupe chavira soudain, ferma ses ailes et,...
Terrasses: ou Notre long baiser si longtemps retardé

«Terrasses » de Laurent Gaudé, Actes Sud, 2024

J’ouvre les yeux. Je me dis que cette journée est belle puisque nous allons nous voir ce soir. Je souris à l’idée de ce rendez-vous et sens, dès le matin, cette boule dans le ventre qui dit que je t’aime peut-être plus que je ne le pensais. Une longue attente s’étale devant moi jusqu’à te voir. Aurons-nous le temps de nous aimer ? Je me pré‑ pare. Je veux que tu tombes à la renverse en me voyant et tu tomberas. Je m’habille. Je ne mets pas de soutien-gorge. Puis je change d’avis. J’en mets un en me promettant de l’enlever, plus tard, dans la journée, lorsqu’il...
L'invention de la famille

« L'invention de la famille » de Sonia David, Grasset, 2024

Le nombre de gens que je crois reconnaître, le nombre de portes dans lesquelles je me cogne, mon attention si défaillante. La maladresse, ça fait marrer les uns, ça énerve beaucoup les autres, mais ma spontanéité a gagné cette partie-là : il est entré dans le bistrot, je lui ai fait signe, il s’est approché, « Bonjour madame », ses premiers mots plutôt perplexes, genre « C’est qui cette folle ? ». J’ai enchaîné : « Ah, pardon ! je vous ai pris pour mon cousin Ivan », à quoi, toujours indécis, il a rétorqué « C’est bien moi, Ivan ». Le malentendu levé, «...
Nous nous verrons en août: Roman

« Nous nous verrons en août » de Gabriel Garcia Marquez, Grasset, 2024

Elle revint dans l’île le vendredi 16 août par le bac de trois heures de l’après-midi. Elle portait un jean, une chemise écossaise à carreaux, des chaussures simples à talon plat, sans bas, une ombrelle en satin, son sac à main et, pour tout bagage, une mallette de plage. Sur le quai, dans la file des taxis, elle alla tout droit vers un vieux modèle rongé par le salpêtre de mer. Le chauffeur l’accueillit avec un salut amical et la conduisit en avançant cahin-caha à travers le village indigent avec ses bicoques de torchis, ses toits de palmes de sabal et ses rues de...
Le nom sur le mur

« Le nom sur le mur » d'Hervé Le Tellier, Gallimard, 2024

LA MAISON NATALE Je cherchais une « maison natale ». J’avais expliqué à l’agent immobilier : pas une villa de vacances, pas une ruine « à rénover », pas une « maison d’architecte », pas un « bien atypique », ces bergeries ou magnaneries transformées en habitations où l’on se cogne dans les chambranles de portes à hauteur de brebis. Non, je voulais une maison où j’aurais pu m’inventer des racines, et aussi une maison dans un village vivant, où l’on fait ses courses à l’épicerie et boit l’apéro au café, dans...
Entre guerres

« Entre guerres » de François Lecointre, Gallimard, 2024

VOCATION J’ai appris une morale du comportement et je souhaite que d’autres ne l’oublient pas. J’ai appris, transmis par des générations aux statuts et fortunes si divers, aux origines si multiples et contrastées, que chacun doit se prouver à lui-même qu’il existe, et par ses mérites se donner le droit d’exister, se le conférer comme un titre de chevalerie. Contrairement à ce que dit la commune renommée, il n’y a de noble que les anoblis. Jean-François Deniau Mémoires de sept vies C’est au bon matin d’un début de printemps, frais et clair. Mon frère...
Impossibles adieux

« Impossibles adieux » de Han Kang, Grasset, 2023

Cristal La neige tombe, éparse. Le champ où je me trouve s’étend sur une colline hérissée de milliers d’arbres noirs sans cimes ni branches, de troncs nus. Ils sont de taille légèrement variée, comme des personnes d’âges différents. Ils ne sont guère plus épais qu’une traverse de voie ferrée mais courbés, tordus, l’ensemble évoquant une frise composée de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants maigres qui se tiendraient sous la neige, épaules voûtées. Suis-je dans un cimetière ? me demandé-je. Tous ces arbres sont-ils des pierres...
Les eaux du Danube (2024)

« Les eaux du Danube » de Jean Mattern, Sabine Wespieser (2024)

1. J’ai passé ma vie à éviter les sensations fortes. Question d’éducation. Pas d’alcool, pas de sauts en parachute, pas de voitures de course. Pas d’aventures non plus. Même le sexe m’ennuie parfois. Tout m’ennuie d’ailleurs, je crois. J’attends que ça passe. Je ne sais pas pour autant ce que « ça » signifie. À la pharmacie, la plupart du temps, je fais semblant d’aimer mon travail. Les journées ne sont jamais les mêmes, c’est vrai. Les clients font preuve d’une étonnante capacité à poser des questions différentes, à vouloir de nouvelles solutions à...
Idiss

« Idiss » de Robert Badinter, Fayard, 2018

Le shtetel Tu dois savoir, me dit la voix secrète, qu’après le départ de son mari à l’armée du tsar, Idiss est restée seule avec ses deux fils. Elle a dû vivre chez ses beaux-parents. » Une jeune femme mariée ne pouvait pas demeurer seule dans un shtetel. Qu’auraient murmuré les voisins toujours médisants ? Mais la belle-famille était pauvre et trois bouches de plus à nourrir étaient une lourde charge. Ce n’est pas qu’ils fussent égoïstes ou avares. Mais pauvres, ils l’étaient, comme Job dans la Bible. Idiss aidait sa belle-mère et...
Le Banquet des Empouses

« Le Banquet des Empouses » d'Olga Tokarczuk, Noir sur Blanc, 2024

La Pension pour Messieurs a vue est obstruée par les volutes de vapeur échappées de la locomotive et qui serpentent à présent sur le quai. Il faut regarder à travers elles pour tout voir, se laisser aveugler par la brume grise, le temps que le regard se fasse acéré et omni‑ voyant du passé, du présent et du futur. Nous apercevons alors les dalles du quai, autant de carrés entre lesquels subsistent de petites plantes frêles, un espace qui veut à tout prix préserver l’ordre et la symétrie. Peu après, une chaussure gauche y apparaît. Marron, d’un cuir qui a connu des temps...
Du même bois

« Du même bois » de Marion Fayolle, Gallimard, 2024

La ferme La bâtisse est tout en longueur, une habitation d’un côté, une de l’autre, et au milieu une étable. Le côté gauche pour les jeunes, ceux qui reprennent la ferme, le droit pour les vieux. On travaille, on s’épuise, et un jour, on glisse vers l’autre bout. C’est plus pratique, il y a une chambre au rez-de-chaussée, les escaliers sont moins raides, les pièces semblent disposées pour vieillir. Et puis, quand l’un meurt, le mari souvent, les enfants sont à l’autre bout, ça rassure, ça évite la solitude, ils regardent en passant s’il y a de la lumière, si les...
Le murmure

« Le murmure » de Christian Bobin, Gallimard, 2024

La montagne s’incline une seconde. Aucune de ses pierres ne sourit. Si tu cherches une récompense pour ce que tu fais, laver la vaisselle ou jouer Chopin, alors, plutôt, ne fais rien : tu as par avance échoué dans l’absolu chef-d’œuvre de la vaisselle, ou du poumon des anges. Chopin est une inhalation pour les anges asthmatiques, ces hypersensibles saupoudrés sur terre dès leur naissance jusqu’à leur mort – car les anges naissent et meurent comme Bouddha, comme les tortues et comme nous. Mais je m’égare. Si tu cherches les félicitations, reste au lit : au moins...
Je suis fait de leur absence

« Je suis fait de leur absence » de Tim Dup, Editions Stock, 2024

J’adore cette maison. Elle raconte ma famille comme personne ; d’où nous venons, nos enfances, nos miracles, nos aberrations. Roseville-sur-Mer. C’est là que tout s’est joué et que tout se joue encore. Cet automne, par un curieux jeudi d’octobre, nous avons récupéré la maison avec Victoria. Un chalet en bois, incongru dans ce paysage d’aquarelle normande. À l’intérieur, nous avons éclairci les murs, agencé différemment les pièces, repensé la décoration, l’ameublement, comme une dénégation de la mise en vente, histoire de nous offrir un semblant de...
De plomb et d'or (2024)

« De plomb et d'or » de François Jonquet, Sabine Wespieser

Il y a cette tribu en Amazonie, qui pense le nombre d’habitants sur terre restreint. Quand un enfant naît, il n’a d’existence que lorsque dans la communauté quelqu’un meurt. Tout oreilles, tout ouïe je bois ses paroles et d’autant plus qu’il va bientôt s’interrompre, je le vois à sa façon de téter sa pipe tirer par petits coup enfumer complètement tout, j’ai échafaudé toutes sortes de théories pour interpréter cette espèce de tic qui annonce la fin, elles sont contradictoires (soulagement ou angoisse du retour face à lui-même ou imprégner de son odeur, sa...
La vie heureuse

« La vie heureuse » de David Foenkinos, Gallimard

1 Éric Kherson appréhendait toujours de prendre l’avion. Il dormait en général assez mal la veille du voyage, se laissant dériver vers les pires scénarios possibles, imaginant tout ce qu’il laisserait derrière lui après sa mort violente dans un crash. Mais le désir d’ailleurs demeurait plus fort que la peur, dans ce combat incessant entre nos pulsions et nos frayeurs. 2 En tant que nouvelle directrice de cabinet du secrétaire d’État au Commerce extérieur, Amélie Mortiers était chargée de composer une équipe. Dès sa prise de fonctions, en mai 2017, elle avait pensé à...
Pêcheur de perles

« Pêcheur de perles » d'Alain Finkielkraut, Gallimard

Un dimanche matin, au petit déjeuner, celle qui allait devenir ma femme m’annonça que c’était fini, qu’elle me quittait et que sa décision était irrévocable. La veille, nous nous étions disputés ou, plus exactement, accrochés à propos du film Le Choix de Sophie. Elle avait dit son enthousiasme pour la performance de Meryl Streep. Je lui avais rétorqué qu’en effet celle-ci jouait très bien, que son incarnation de la femme forcée par un officier SS de choisir lequel de ses deux enfants allait survivre était magnifique, mais qu’au lieu de demander à une grande actrice...
Compléments à la théorie sexuelle et sur l amour

« Compléments à la théorie sexuelle et sur l'amour » de Pascal Quignard, Seuil

Les deux offenses Je me trouvais aux USA. C’était pendant le deuxième trimestre de 2006. Je travaillais dans la bibliothèque de l’université de Sewanee quand la loi américaine contre les images indécentes fut discutée. Chaque jour nous regardâmes à la télévision les programmes du soir. Nous écoutâmes attentivement les arguments qui étaient avancés par les différents interlocuteurs. La gauche américaine se rebella autant qu’elle put. Elle n’obtint rien. Même le petit-fils d’Edgar Poe, George Poe, qui me recevait dans sa maison sur le bord du beau lac de Sewanee, ne...

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