Rentrée littéraire

Rencontre avec François Roux

Avec « Le bonheur national brut » (Albin Michel), François Roux dresse le portrait d’une génération et d’une époque : la France des années 80 à aujourd’hui. Primé par le jury de Cultura, François Roux savoure son bonheur d’écrivain placé sous les feux de la rentrée. Il répond à nos questions et revient sur la genèse de son livre, qui sait si bien mêler histoire personnelle et histoire contemporaine.

[image:1,g,l]Un roman primé par Cultura et adoubé par la presse...Cela vous dit quoi : "Un coup de chance", "Une reconnaissance", "Une fierté" "Une promesse"... Un peu de tout ça, rien de tout ça ?

François Roux : Je prends tout ce qui m'arrive depuis le 6 janvier (date à laquelle ma future éditrice Lina Pinto me téléphonait pour m’annoncer qu’Albin Michel m’avait retenu dans sa sélection de rentrée) comme un merveilleux coup du destin. J’essaie d’en goûter chaque étape avec le maximum de bonheur. Ma sélection par les équipes de Cultura, en particulier, a été un moment important. J’ai vraiment été très fier d’être retenu. Une petite gloire personnelle.

Ce "bonheur national brut" nous parle d'une époque, la France des années 80 à aujourd'hui, alors que votre narrateur se dit "hors champ des événements de la vie". Il y a résonance entre l'Histoire contemporaine et l'histoire individuelle. Pouvez-vous présenter votre livre aux lecteurs de Viabooks et leur expliquer votre propos?

François Roux : Mon roman décrit le parcours de quatre hommes, qui sont amis depuis l’enfance, sur une période d’à peu près trente ans. Ils ont à peine 18 ans quand démarre l’histoire, le 10 mai 1981, le jour de l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République. Ils en ont près de cinquante quand elle se conclut, le 6 mai 2012, le jour de l’arrivée au pouvoir d’un autre François. Ce que le roman s’attache à décrire, c’est ce qui s’est passé pour eux entre ces deux dates très symboliques, comment ces quatre hommes ont réussi à se constituer en tant qu’adultes et ce qu’ils ont dû abandonner de leurs rêves adolescents.

Le Bonheur national brut est construit sur une succession de trente deux chapitres, eux-mêmes répartis sur deux époques. De 1981 à 1984 puis de 2009 à 2012. Chaque chapitre correspond à une journée bien précise. Ce roman, dans son ensemble, ce sont donc trente deux journées particulières dans la vie de ces quatre hommes.

Au-delà de la description de ces destinées, j’avais également envie que Le Bonheur national brut soit le témoignage des bouleversements majeurs qu’a connus notre société depuis une trentaine d’années. Il y a beaucoup d’événements et de personnages connus qui jalonnent le livre. L’arrivée de la Gauche au pouvoir et les premiers désenchantements économiques et sociaux des années 80 font écho à la crise financière des années 2008 et à l’instauration d’un nouvel ordre mondial. Les vies de mes quatre personnages croisent la marche du monde. C’est l’Histoire avec un grand H qui s’invite dans les petites histoires des gens.

Il y a de la nostalgie dans votre récit. Une quête du narrateur vers l'acceptation de lui-même par delà la fin de ses illusions. Des années Mitterrand aux années Hollande, de Touche pas à mon pote au mariage pour tous, votre livre parle aussi de la manière dont le monde s'est décloisonné, accéléré... Finalement, n'est-ce pas un peu le livre des 50 ans (âge de votre héros) ?

François Roux :  Le 10 mai 1981 et l’élection de François Mitterrand ont été des moments d’euphorie incroyable – et aussi de rejet, bien sûr –, mais ce fut également le début d’une ère qui, de mon point de vue, se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Rapidement, une crise sociale s’est mise à ronger les structures de la société, à laquelle s’est bientôt greffée une crise morale. Je suis convaincu que la crise, à la fois économique et intellectuelle, à laquelle nous assistons aujourd’hui prend ses racines dans ces années 80. Rapidement aussi sont apparus des hommes comme Bernard Tapie, symptôme d’une époque nouvelle, d’un paysage médiatique et politique en plein renouveau. En 1981, le discours de Tapie sur l’argent, sur sa volonté de gagner énormément d’argent, que je cite d’ailleurs dans mon livre, ce pourrait être la profession de foi de n’importe quel trader de la City ou de Wall Street aujourd’hui. Ce qui est intéressant également, c’est d’observer que les discours des hommes politiques ont finalement très peu évolué dans certains domaines et en particulier sur le terrain économique. Dès la fin de l’année 1981, Jacques Delors, le ministre de l’économie et des finances de François Mitterrand, appelait à la raison. Il voulait calmer les mesures sociales du gouvernement Mauroy et prônait déjà l’austérité qui allait véritablement éclater en 1983 et plus encore à partir de juillet 1984 avec le gouvernement Fabius. J’ai retrouvé des discours datant de 1981 que n’importe quel homme politique, de droite comme de gauche, pourrait prononcer aujourd’hui. Déjà, à l’époque, Jacques Delors conseillait d’acheter français, de consommer français, de muscler l’outil de production industrielle et insistait sur la nécessité de réduire les déficits publics.

Bien sûr les choses changent - et parfois en mieux. J’ai cependant l’impression que depuis 1981, il y a une continuité dans une espèce de débâcle. Une différence fondamentale qui existe cependant entre cette époque et la nôtre, je crois, c’est l’image du politique, qui s’est considérablement détériorée. En 1980, on croyait encore que l’action politique pouvait changer ou même sauver le monde, aujourd’hui on sait que ce n’est pas la seule volonté des états qui peut faire bouger les choses. Au pire, on est défaitiste et on ne croit plus en rien et surtout pas à la vertu de la politique. On mieux on croit à d’autres moyens comme des actions citoyennes indépendantes. Le politique, et donc l’État, ont complètement perdu de leur lustre et de leur puissance d’adhésion.

En réalité, je ne suis pas tant nostalgique qu’un peu perdu, aveuglé, dans le monde d’aujourd’hui.

Dans « Le ravissement de Lol V. Stein », Marguerite Duras décrit le caractère de l’un de ses personnages comme frappé « d’un pessimisme gai. » Je me sens moi-même assez proche de cette définition.

Depuis quand écrivez-vous ?

François Roux : J’écris depuis plus de trente ans : des scénarios de fiction pour le cinéma, de court et de long métrage, des pièces de théâtre et maintenant des romans.

Quelle différence faites-vous entre un auteur et un écrivain ?

François Roux : Le mot « auteur » me paraît peut-être vouloir renvoyer à une dimension plus sérieuse, plus intellectuelle de l’écriture. Le terme « écrivain » me semble plus simple, plus direct. D’ailleurs quand on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds : je fais des films et j’écris 

Que pensez-vous du numérique ? Une opportunité ? Une anecdote ? Un danger ?

François Roux : Les choses évoluent. On ne peut pas aller contre le vaste mouvement des techniques et de la technologie. Je n’ai rien contre les liseuses électroniques. Je comprends qu’elles puissent parfois faciliter la lecture de certains. Je n’en n’utilise moi-même jamais. J’aime feuilleter les livres, ouvrir au hasard une page d’un ouvrage que j’ai déjà lu et m’y replonger quelques secondes ; j’aime les bibliothèques, les arrangements et les associations qu’elles autorisent mais à l’inverse j’aime aussi les livres posés en vrac sur une table où à même le sol. J’aime l’objet livre.

Quand vous écrivez, vous êtes plutôt stylo feutré ou ordinateur connecté ?

François Roux : J’écris d’abord dans un carnet. Je prends des notes ou je rédige des passages entiers que je vais ensuite retravailler sur mon ordinateur. Je passe de l’un à l’autre constamment.

Pouvez-vous nous citer quelques auteurs/livres qui vont ont marqué ?

François Roux : Vraiment au hasard :

Céline, Voyage au bout de la nuit

Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein

Barbey d’Aurevilly, Les Diaboliques

Lawrence Durell, Le Quatuor d’Alexandrie

Charles R. Maturin, Melmoth

Jean Giono, Un roi sans divertissement

Flaubert, Madame Bovary

Alexandre Dumas, Les 3 mousquetaires

Donna Tartt, Le maître des Illusions

Laura Kasischke, À moi pour toujours

Jean Échenoz, Les grandes blondes

Jonathan Franzen, Freedom

Etc, etc…

Quel est votre prochain projet d’écriture ?

François Roux : Un livre sur la destruction d’un couple, avec un traitement particulier de la chronologie des événements.

Pouvez-vous nous en parler ?

François Roux : Moi même je n’en sais pas beaucoup plus.

Propos recueillis par Olivia Phélip

 

>>François Roux, Le bonheur national brut, Albin Michel
François Roux fait partie des six  auteurs qui ont remporté le Concours Cultura, dont voici le palmarès intégral : Un jeune homme prometteur de Gautier Battistella - Grasset; Constellation d’Adrien Bosc - Stock; Le cercle des femmes de Sophie Brocas - Julliard, Le clan suspendu d’Etienne Guereau - Denoël, La fractale des raviolis Pierre Raufast - Alma; Le bonheur national brut de François Roux - Albin Michel. 

>>Pour plus d'informations sur cet évènement, lire l'interview de Jean-Luc Treutenaere, Directeur des relations extérieures de Cultura, ainsi que l'interview de Gautier Battistella, autre lauréat.

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