C'est la rentrée!

Olivier Magnan : la vraie histoire des instits

Le journaliste Olivier Magnan a rouvert son plumier pour nous conter l’histoire des instituteurs. Avec « La vraie histoire des instits » (Chronique Éditions), il a composé un livre qui se lit et se regarde, autant pour remonter le temps, que pour faire surgir nos propres souvenirs d’enfance. Séquence nostalgie.

1. Racontez-nous comment vous est venue l'idée d'écrire un livre sur les instits ?

Olivier Magnan : À force de ne parler de cette profession « primaire » (au sens que ce mot possède à l’école, « primordiale ») qu’à travers ses naufrages (déficits d’apprentissage, manque d’autorité, agressions et assassinats…), on en était venu à ne plus évoquer ce métier sous l’angle de la vocation et d’une certaine abnégation. J’ai voulu plonger dans l’histoire de cette institution-clé au sein de toutes les sociétés – en l’occurrence française – et de tous les âges. Depuis Charlemagne qui n’a jamais « inventé l’école » jusqu’aux errements de ministères du XXIe siècle qui ne savent plus valoriser cette profession, c’est toute la France qui se profile, depuis ses « hussards noirs » des premières écoles normales, véritables substituts républicains aux séminaires des religieux dépossédés de l’enseignement, jusqu’aux tâtonnantes politiques actuelles incapables de redonner une « vision » à ceux qui ne se nomment plus instits mais profs. Et puis je suis marié à une institutrice inspirée, qui a reçu les palmes académiques, et a su devenir, à force de travail, une psychologue clinicienne écoutée ! J’étais à… bonne école.

2. Pourquoi avoir choisi ce titre ; « La vraie histoire des instits »? Qu’entendez-vous par ce « vraie » ? Que nul n’avait jusqu’alors rendu hommage aux « instits »?

Olivier Magnan : Je n’ai pas cette prétention ! Les travaux remarquables des historiens de l’éducation comme Mona Ozouf et son mari, et d’autres, ont campé bien plus scientifiquement que je ne l’ai fait cette fantastique « histoire » d’un métier fondamental. Plus prosaïquement, « la vraie histoire de… » est l’énoncé générique de cette belle collection des éditions Chronique qui nous a donné « La vraie histoire des femmes », « La vraie histoire des infirmières », et bientôt d’autres « vraies histoires » auxquelles, je l’espère, je collaborerai. Mais l’adjectif marque bien la volonté de l’éditeur, Jean-Christophe Delpierre, et de la directrice de collection, Mathilde Heuveline, de susciter des contenus de qualité en rapport avec la recherche iconographique associée dans ce que l’on nomme « beau livre » dans l’édition.

3. En parlant des instits et non pas de l’école primaire, vous avez choisi la carte de la personnalisation, en mélangeant l’histoire, l’émotion intimiste, la documentation et l’information. Comment avez-vous réparti le curseur entre ces différentes postures d’écriture ?

Olivier Magnan : Il nous fallait partir à la rencontre des femmes (en majorité désormais) et des hommes auxquels nous confions chaque jour nos mouflets chéris. Ce n’est pas tant l’institution qui créait l’angle que les êtres qui la font vivre. D’où ce chapitre sur l’appropriation du personnage de l’instit par la littérature, le cinéma, la bande dessinée. Rarement profession aura donné autant de représentations du 7e au 9e art, au-delà de la littérature. Si bien que le curseur en question s’est toujours porté vers le personnage du maître et de la maîtresse confronté aux réalités de l’institution et de ses évolutions. Investis tout à la fois d’une mission « politique » (la revanche contre la Prusse du temps de Jules Ferry, l’instillation des valeurs de la République pendant tout le XXe siècle et le rétablissement de l’autorité après Mai-68), et d’une mission pédagogique, celle de l’enseignement des savoirs fondamentaux. Aujourd’hui, les jeunes instits – désormais professeurs des écoles – que le gouvernement de Lionel Jospin a arrachés aux écoles normales pour les livrer à l’université sont ballottés par les gouvernements successifs au gré d’une fausse laïcité – rappelons-nous que le discours de Latran de l’ex-président Sarkozy plaçait le prêtre au-dessus de l’instituteur ! – qui laisse entrer les religions dans l’école. Donc le curseur est à fond du côté des « instits » (abréviation bienvenue qui nous permet de mêler « teurs » et « trices » !) à travers lesquels nous plongeons notre regard sur l’institution. Du reste, c’est à deux jeunes « professeures des écoles » que nous avons demandé d’ouvrir le livre.

4. Pouvez-vous nous rappeler qui a « inventé » le métier d'instituteur ?

Olivier Magnan : Les Romains et les Grecs ! L’institutor existait déjà, au sens de précepteur chargé d’« instituer » les enfants. Le mot a été adopté par la Révolution française dès avant Ferry, repris par un régime de IIIe République encore conservateur avec Adolphe Thiers, avant que la brillante équipe Ferry-Buisson et bien d’autres, dont les noms sonnent encore aux frontons de nos écoles primaires, ne l’ancre pour plus d’un siècle dans le langage courant. L’instituteur moderne est né avec l’organisation de l’école dite « simultanée », choisie définitivement par le ministre François Guizot avant Jules Ferry (tous les élèves reçoivent ensemble un programme, contrairement à l’école dite « mutualisée », modèle qui a bien failli l’emporter, où le maître « surveillait » une vaste salle dans laquelle les aînés apprenaient aux plus jeunes). On a fait disparaître le vocable « instituteurs » officiellement, en 1989, pour placer les maîtres de primaire au même rang que les professeurs de collèges et de lycées. Officiellement. En réalité, mais ce n’est que mon avis, une autre volonté sous-jacente préside à cette « disparition » du mot : on a voulu « banaliser » un métier qui n’est plus vraiment en charge d’« instituer » nos enfants dans l’esprit de la laïcité républicaine…

5. Vous montrez que les instits ont été au cœur de nombreux combats sociétaux. Pouvez-vous nous en évoquer quelques-uns ?

Olivier Magnan : Vaste question qui renvoie à tout un chapitre ! Je viens d’évoquer la laïcité. Elle était le combat institué par Ferry et compagnie au nom d’une conception généreuse née d’une crise sociétale énorme : la séparation de l’Église et de l’État en 1905. Les hussards noirs chers à Péguy puis des générations entières d’instituteurs ont incarné cette volonté d’un enseignement non pas anticlérical, pas du tout, mais garant du respect de toutes les libertés de croyance dans une synthèse républicaine. C’était le fruit d’une pensée maçonnique lumineuse – Ferry et certains de ses compagnons étaient francs-maçons – qui sera, au cours de la Seconde guerre mondiale et après, diabolisée au nom d’instincts criminels antimaçonniques qui perdurent jusqu’à notre époque. Bien sûr, ce combat d’instituteurs se mua pour certains en anticléricalisme militant qui n’était pas l’esprit du bannissement de la religion chrétienne des écoles. La mixité des enseignants, longtemps freinée puis imposée par les saignées d’instituteurs qui avaient donné leur vie au cours de la Grande guerre, constitua un autre de ces combats des instits dans un métier longtemps réservé aux seuls maîtres qui favorisait les garçons au détriment des filles. Puis l’enseignement mixte prévalut, mais une autre forme de combat pour la mixité consista à favoriser le mélange des genres dans les classes : les plus de cinquante ans se souviennent de cette ligne ou de ce muret qui séparait « filles » et « garçons ». Enfin il est incontestable que les écoles normales dominées sous la IIIe République et au-delà par le lobby de la Ligue de l’enseignement de Jean Macé formèrent des cohortes d’instits dont les bulletins de vote, des communistes à la SFIO, étaient plutôt réservés aux partis de gauche. Mais comme je l’écris, l’instituteur a été « reformaté » au gré des théories pédagogiques parfois contradictoires qui émaillent désormais sa formation universitaire. On a cassé le moule.

6. On ressent à la lecture de votre livre que les instituteurs avaient une fonction fondamentale dans l’éducation de la population française, mais qu’au fur et à mesure que les cursus d’éducation se sont allongés, les études secondaires puis universitaires ont pris le pas sur le prestige initial de « la petite école ». Pensez-vous qu’il serait important de revaloriser les actuels « professeurs des écoles »?

Olivier Magnan : Oui ! Cette formation initiale de nos enfants est à ce point importante que le corps des « professeurs des écoles » devrait bénéficier d’un investissement budgétaire et académique prioritaire. Or l’on constate aujourd’hui que face à l’augmentation « naturelle » des effectifs – 38 000 au premier degré (on en avait attendu 35 500) en 2014 –, la politique de réduction suicidaire de la précédente majorité sous Sarkozy, que les ministres éphémères de l’EN du gouvernement Valls tentent de rattraper, a conduit aux aberrations que l’actualité nous révèle : absences, postes non pourvus, recrutement de vacataires non formés, jusqu’à cette dernière réforme calamiteuse du temps de travail qui n’aide pas les instits car mal préparée. Même si le salaire de départ a été revalorisé en catastrophe, les jeunes professeurs des écoles qui sortent des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation – Espe – ne bénéficient souvent plus des stages prévus par leur statut et sont jetés dans les classes enfantines sans autre bagage que l’enseignement théorique où une floraison de disciplines mouvantes occulte souvent l’apprentissage des savoirs fondamentaux, lecture, écriture, calcul. Au lieu de changer leur appellation, il est urgent de retrouver de jeunes pédagogues eux-mêmes capables d’instruire efficacement des enfants parfois démunis, handicapés ou émigrés.

7. Votre livre n’est-il pas aussi le miroir des souvenirs d’écoliers de chacun ? Avez-vous vous-même été marqué par un ou une instit dans votre scolarité ? Si oui, de quelle manière ?

Olivier Magnan : Qui ne l’a pas été ? Mauvais ou bons souvenirs, rares sommes-nous à ne pouvoir nommer tel ou telle instit qui a marqué notre enfance. Sans le dire, j’ai du reste cité mes propres instits au fil de la plume, sous prétexte de donner des noms ! Qu’est devenue Mlle Cherpin, du CE1 d’Andrézieux, dans la Loire, avec ses lunettes stylées années 1960, dont j’étais le « chouchou », le petit « Agnan » (à une lettre près) de Goscinny ! Auprès de laquelle du reste j’ai connu mes premières injustices, comme celle de connaître l’exil dans le couloir parce que le copain d’à côté m’avait bourré les côtes de coups de poing ! Quel âge a-t-elle, quelle retraite vit-elle, combien a-t-elle de petits-enfants si elle est encore de ce monde ? Il est vrai que les photos du livre et l’évocation de ces primes années poussent les lecteurs adultes à évoquer leurs classes d’autrefois.

8. Cette vraie histoire des instits est un livre dont la lecture est destinée à être partagée, discutée en famille. C’est un peu le livre trans-générationnel par excellence, support d’échanges de souvenirs. Avez-vous reçu des témoignages de lecteurs depuis la sortie du livre ?

Olivier Magnan : Hélas non, mais rien d’étonnant à la chose : il est depuis trop peu de temps en rayons pour susciter de tels retours. L’éditeur les attend avec intérêt.

9. Comment votre livre a-t-il été perçu par les professeurs des écoles d’aujourd’hui ? Et par les représentants de l’Éducation nationale ?

Olivier Magnan : Pour la même raison, hélas, je ne le sais pas. J’espère avoir l’occasion de vous le dire dans les mois à venir. Et si les lecteurs de Viabooks réagissaient à sa lecture... ?

>>Olivier Magnan, La vraie histoire des instits, Chronique Editions

Propos recueillis par Olivia Phélip

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