Rencontre croisée

Nancy Lee et Richard Lange: deux écrivains parlent de la mort

Nancy Lee, la canadienne de Vancouver et Richard Lange, l’américain de Los Angeles sont deux écrivains qui abordent la mort dans leurs livres respectifs : « Dead girls » et « Dead boys », deux recueils de nouvelles dont les personnages sont touchés de près ou de loin par la perte. En cette période où Halloween bat son plein dans les pays anglo-saxons, Viabooks  les a réunis : une rencontre bien « vivante », où la mort est abordée dans ses rapports avec la violence et les non-dits de la vie.

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Pourquoi avoir choisi d’inclure le mot « Dead » (mort) aux titres de vos livres?

-Nancy Lee : J'ai donné le titre « Dead girls » à mon livre, parce que c'était le titre d'une de mes nouvelles. Il se trouve que j'explorais à l’époque cet horrible fait divers qui concernait un groupe de jeunes filles à Vancouver droguées et prostituées, qui avaient été tuées les unes après les autres. À l'époque où j'ai écrit le livre, nous ne connaissions pas encore l'identité du meurtrier. Et ce qui était frappant, c'était la manière dont la ville devant ces meurtres, non seulement essayait de cacher leur histoire, mais de plus, semblait ne pas y porter intérêt. Car ces jeunes filles n'étaient pas jugées d'un intérêt suffisant. La mort rôdait, elle frappait des femmes jugées marginales, et cela était presque vécu comme rassurant par la population qui pensait que cela ne les concernait pas.

-Richard Lange : En réalité le titre de « Dead boys » m’est venu, parce que je trouve que le mot « dead » sonne bien. Il est très musical, il claque comme un diminutif. Et puis «Dead boys » est le nom d'un groupe punk rock que j'aime bien ! Mais pour moi, il s’agit d’une référence à la mort à l'intérieur de chaque individu, pas à la mort physique. 

Pouvez-vous en dire plus sur ces morts suggérées, symboliques ou réelles qui rôdent dans vos nouvelles respectives. Comment s’articulent-elles dans la structure de vos récits respectifs?

 -Nancy Lee : J’ai essayé dans chacune des nouvelles de chercher à comprendre ce que le déni des meurtres signifiait de notre société, en menant une réflexion sur  la double mort que ces femmes subissaient : physique et sociale. J'ai donc essayé d’évoquer la mort sous ses différents aspects. La mort pour chacune de ces jeunes femmes. La mort comme une ombre qui plane dans une ville. La mort occultée par ceux qui veulent l’oublier…

-Richard Lange : Mes nouvelles racontent des histoires qui concernent des hommes qui sont morts à eux-mêmes, je veux dire par là qu'ils ont perdu le rêve de leur vie, qu’ils sont désabusés. Cette mort intérieure m'intéressait d'autant plus que l'histoire se passait à Los Angeles, qui est la ville des de tous les fantasmes. Plus que jamais dans cette ville quand on arrête de croire à ses rêves, on sort de « l' écran ».

 

Vous abordez l’un et l’autre la question de la violence. Nancy, comme une ombre diffuse et cachée, et vous Richard,  d’une manière plus frontale et explicite. La mort est-elle nécessairement liée à l'idée de la violence ?

-Nancy Lee : La violence est inhérente à la mort elle-même. Précisément, plus cette violence est sourde, plus elle en devient obsédante, cachée dans l'intimité des maisons, dans l'intimité de la vie de tous les habitants de Vancouver.  

-Richard  Lange: Les héros des de mes nouvelles se reprochent tous quelque chose. Ils savent qu'ils ont échoué, qu'ils ont fait des bêtises. Alors,  ils sont violents pour exprimer leur colère. Ils sont un peu stupides, car ils savent qu'ils ont atteint une sorte de point de non-retour. La frontière entre les bons choix et les mauvais choix est très faible. C'est ce que je voulais montrer : la vie et la mort sont très proches, tout comme la réussite et l'échec. Parfois, il suffit de très peu de choses pour que tout bascule.

-Nancy Lee : Je suis tout à fait d’accord. D'ailleurs, je me souviens que j’ai eu une camarade de classe dont j’ai su plus tard qu'elle était devenue prostituée. Et cela m'avait bouleversée parce que je m'étais dit : elle était comme nous, et comment cela se fait-il qu’elle ait quitté la voie tracée ? Il y a dû y avoir un jour dans la vie de cette fille un ou deux faux pas et cela a suffit pour qu'elle bascule dans cette autre vie. C’est aussi pourquoi quand j'ai su que la plupart des victimes à Vancouver étaient aussi des prostituées, j'ai pensé aussi que contrairement à ce que certains pouvaient imaginer, elles n'étaient pas loin de nous : elles étaient juste des jeunes filles qui avaient dû faire quelques mauvais choix dans leur vie...

Nancy, vous traitez davantage de l'intimité. Vos histoires prennent place à l’intérieur des maisons, vous vous plongez dans le détail de la vie quotidienne. À l'inverse Richard, vous mettez en scène la plupart de vos personnages dans la rue, dans des histoires où ils sont en mouvement et  interagissent ensemble.…

-Nancy Lee: C'est peut-être la différence entre le féminin et le masculin ! Il est vrai que je me suis intéressé à étudier l'intérieur de la vie des différents personnages comme une métaphore de ce qui se passait à l'intérieur et qui était caché. C’était aussi pour montrer comment les gens se calfeutraient par peur de cette mort « dehors ».

-Richard Lange : J'ai surtout voulu montrer une certaine image de l'Amérique et de Los Angeles. Pour moi, la vie est en mouvement : on rencontre les gens, on se parle. Mes anti-héros ont peut-être tout raté, mais ils bougent quand même, ils essaient  d'être dans la vie…

Quel message vouliez-vous donner l’un et l’autre dans vos nouvelles « à fleur de mort »?

-Nancy Lee : Pour moi, il était important de parler de notre devoir de conscience vis-à-vis de ce qui nous entoure. Je voulais emmener le lecteur dans une sorte de voyage émotionnel, lui faire prendre conscience des interrelations entre les membres d’une communauté, de l’impossibilité d’en écarter certains sous prétexte qu’ils sont « différents » ou pas recommandables… Ainsi, je voulais faire sentir que les frontières entre eux l'horreur et le quotidien pouvaient être très ténues, tout comme celles entre l’étrangeté et l'ordinaire.

-Richard  Lange: Je n'avais pas vraiment de message. Peut-être l'idée qu’il est important de développer une meilleure compréhension des autres, d’accepter nos vies telles qu'elles sont, accepter la médiocrité, comme une part de nous-mêmes. J'espère avoir fait en sorte que le lecteur se sente empathique avec mes personnages et qu'ils incorporent un peu de leur noirceur pour devenir plus tolérants.

Quels sont vos prochains livres ?

-Nancy Lee : Je travaille sur un livre à propos du serial killer de Vancouver qui a été entre temps arrêté. Ce n'est pas tant son histoire personnelle qui m’intéresse, mais une réflexion pour comprendre comment une société peut créer et fabriquer un tel monstre sans que quiconque s'en rende compte.

-Richard Lange : Je viens de terminer un roman qui se passe à Los Angeles dans le désert et dont le récit se  situe dans le milieu des combats de chiens. A peine sorti aux Etats Unis, le livre a déclenché la polémique pour cause de violence. Certaines personnes sont choquées parce que j’y décris l’agonie d’un chien. Bizarrement ces lecteurs qui trouvent normal de regarder des séries tout le monde se tue sans discontinuer ne supportent pas qu’on évoque l’idée de la mort d’un animal…c’est assez ironique de penser que la valeur d’un chien est plus grande que celle d’un humain ?

Le mot de la fin : votre définition du mot "mort"?

-Nancy Lee : Peut-être l'absence de reconnaissance, c'est la pire des morts.

-Richard  Lange: La fin de l'envie de vivre.

En savoir plus

Nancy Lee, Dead girls, Buchet Chastel 

Richard Lange, Dead Boys, Albin Michel

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