«Nous ne sommes pas nous-mêmes»

Matthew Thomas raconte 60 ans de la vie d’une femme

Matthew Thomas a mis dix ans à écrire son premier livre : «Nous ne sommes pas nous-mêmes » (Belfond). Un récit qui raconte soixante ans de la vie d'une femme dans l'Amérique des années 1941 à 2001 et qui bouleverse autant qu'il instruit. Matthew Thomas confie à Viabooks les ressorts de cette grande histoire du «soi».

Soixante ans de la vie d’une femme, Eileen Leary, héroïne sublime et ordinaire, dont on suit la trajectoire depuis ses jeunes années d’espérance, jusqu’aux renoncements du temps qui l’emporte avec ses souvenirs. Soixante ans qui se racontent en 785 pages dans « Nous ne sommes pas nous-mêmes » (Belfond), un récit socio-intime sur fond de middle-class américaine dans la banlieue de New York des années 1941 à 2011.  

 

Les cycles d’une vie en 785 pages

Comment écrire les cycles d’une vie ? Comment pénétrer le secret d’une âme ? Matthew Thomas, dont il s’agit du premier livre a mis dix ans à accoucher de ce texte, tant il a eu besoin de gommer toute facilité et toute légèreté. L’écriture est fluide et précise. Presque descriptive. Matthew Thomas a le pouvoir de rendre réelles les maisons qu’il évoque, les attitudes et les ressentis. Lire ce texte donne presque l’impression de faire partie d'une famille. « Nous ne sommes pas nous-mêmes » est plus addictif qu’une série télévisée : on se passionne, on sourit, on a presque la larme à l’œil. Rien d’étonnant à ce que ce livre ait remporté un succès considérable dès sa sortie et que son adaptation au cinéma soit en cours.

Epouser le destin d’une femme

 

Nous épousons le destin d’Eileen,  jeune infirmière née dans le Queens, au sein d’une famille irlandaise qui  rêvera toujours d’une vie « plus grande » que la sienne, même lorsqu’elle épousera Ed, un professeur d’université qui se contentera de vivre sa vie sans la rêver. Nous assistons aux transformations profondes de la classe moyenne américaine qui va croire dans les années 50-60 que le bonheur est dans la consommation. Pourquoi avoir choisi une héroïne plutôt qu’un héros  masculin? «Parce que je voulais montrer combien ces années ont été charnières pour les femmes ; ce sont elles qui en ont accompagné les plus grandes transformations  de la société et elles aussi qui en on incarné les complexités». La complexité de leurs rapports avec les hommes notamment : « Eileen veut être le moteur d’une ambition. Son mari se contente de sa vie telle qu’elle est. Tous deux sont souvent à contrepied ».Une anecdote incarne parfaitement ce malentendu : au moment de leur mariage, Eileen offre à son futur mari une très belle montre Jaeger Lecoultre, qu’elle a réussie à obtenir après beaucoup d’efforts. Cette montre est le symbole de l’amour qu’elle lui porte, mais aussi de la vie qu’elle voudrait mener. Ed trouve qu’il n’en a pas besoin et qu’il serait préférable de la rendre afin d’utiliser cet argent à quelque chose de plus utile. Finalement cette montre ne sera pas rendue. Et Ed ne la portera jamais. Tout est inscrit  dans cette scène : le décalage des aspirations, l’incompréhension mutuelle…et le temps qui compte différemment pour chacun.

 

Rêves et frustrations

 

Au cœur de ce destin de femme, il y a une frustration ; celle peut-être de ne pouvoir être soi-même ? Celle d’être une femme ? On est loin du féminisme. Trop loin ? « Le féminisme dans les générations de l’après guerre s’est développé petit à petit et très lentement dans les milieux de la middle-class. Il y a eu des progrès mais les jeux de rôle étaient très ancrés». Eileen est une femme « ordinaire ». Beaucoup de femmes de sa génération lui ressemblent. Peut-être est-ce pourquoi le personnage d’Eileen nous touche autant ? Matthew Thomas ne cherche pas à la magnifier. Il souhaite avant tout à lui donner vie. Habilement, l’auteur qui veille à ce qu’on ne sache jamais exactement de quelle voix parle le livre, brosse aussi le portrait d’une génération et la fin progressive du rêve américain de la classe moyenne blanche de la côte Est. Au fil du récit, le couple aura un enfant, affrontera le vieillissement. Ed sera atteint de la maladie d’Alzheimer, emportant avec lui les derniers souvenirs d’une jeunesse enfuie. Eileen restera auprès de lui avec dévouement et même tendresse. Les quartiers se transformeront et la société subira une profonde mutation. Le père de Matthew Thomas est mort de la même maladie qu’Ed. 

 

L'écrivain et son histoire

 

L’écrivain a-t-il puisé beaucoup dans son histoire personnelle pour raconter « cette histoire-là » ?: « Comme la plupart des écrivains j’ai trouvé les racines de mes émotions dans ma propre vie. Ce premier roman pourrait sembler, par certains côtés, autobiographique. Mais au fil de l’écriture, il s’est tellement transformé, que je peux dire que le livre s’est nourri de mon passé, mais qu’il n’a rien à voir avec lui finalement ». Qu’en a pensé sa mère ? « Elle a trouvé le livre très bien ? ‘sans aucun rapport avec toute personne existante’ ! » Qu’est ce que « devenir écrivain » ? Avoir construit un récit en se désincarnant de soi ?

 

Hommage à Balzac et au réalisme social de La Comédie humaine

Pour Matthew Thomas l’écriture existe dans le réalisme inspiré. « J’ai une immense admiration pour Balzac et sa Comédie humaine. Je voulais éviter les grands effets, prêter la plus grande attention au moindre détail. » Au point d’avoir pris dix ans pour écrire ce premier livre ? « J’écris toujours à la main d’abord. J’ai besoin de ce contact presque physique avec les mots, comme un corps à corps. J’aime la force du temps. C’est elle qui donne le poids et la mesure des choses. Donc oui, j’ai besoin de temps. » Faut-il rassurer les fans impatients de celui qui, Outre-Atlantique, est devenu une star : aura-t-il besoin de dix ans encore pour le prochain livre ? Quel sera son thème ? « Il s’agira d’un drame familial. Et je pense qu’il me faudra trois ans pour le terminer. Pas dix ans en tous cas ! ». Rendez-vous dans trois ans. Matthew Thomas possède une simplicité empathique pour ses interlocuteurs, comme pour ses personnages. Un art de créer du vivant à partir des mots. Le monde des lettres américaines va compter désormais avec ce conteur néo-balzacien.

 

>>Matthew Thomas, « Nous ne sommes pas nous-mêmes », traduit par Sarah Tardy, Belfond.

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