Bonnes notes

«45 tours» de Mark Greene : la chanson d'une jeunesse sans retour

Mark Greene revient avec 45 tours (Rivages), le récit d'une dérive, après le succès éphémère d'un improbable tube dans les années 80. Amitié, espoirs et désillusions ... 45 tours déroule son histoire comme une chanson qui ne vous quitte plus. Rencontre avec un écrivain qui sait si bien parler de la nostalgie de la jeunesse et des ruses du destin.

Patrick Modiano a écrit dans De si braves garçons (Gallimard)  : "Le temps est très court entre le moment où tout est possible et celui où il est trop tard." Mark Greene aurait pu placer cette citation en exergue de son dernier livre, 45 tours (Rivages). Un thème qui se retrouve souvent dans son oeuvre : que ce soit dans Les maladroitsLes plaisirs difficiles ou Le ciel antérieur (Seuil), l'écrivain franco-américain né à Madrid aime évoquer ces courtes années où les amitiés sont éternelles, les rêves infinis et le temps sans limite. 

Les rêves de la jeunesse sont éternels

Dans 45 tours, deux étudiants de 23 ans, suivent sans conviction quelques cours à l'Université, l'un de droit, l'autre de lettres, et passent la majeure partie de leurs journées dans l'appartement du premier à écouter de la musique, en fumant et en buvant des cocktails. Ils sont tels des enfants terribles qui ne seraient pas encore entrés dans la vie "pour de vrai", comme si ce passage en circuit clos leur servait de répétition avant le plongeon en "milieu réel".

Huit petites notes entre pétards et cocktails

Et puis, sans réaliser ce qu'ils sont en train de faire, ils imaginent une chanson, d'abord huit petites notes, un simple refrain, puis une chanson entière. Nous sommes au milieu des années 80, le Top 50 s'installe, les tubes fleurissent, les radios libres ont toutes les audaces. L'histoire s'accélère quand un producteur décide de lancer ce disque, que cette chanson devient un succès et que tout implose: l'amitié, le destin de chacun des protagonistes... Nous suivons la trace du narrateur, qui trente ans après, vit retiré à la campagne dans un isolement total et se souvient de cette époque où tout a basculé dans sa vie.

La solitude des souvenirs sans retour

Avec une simplicité de style d'une parfaite efficacité, Mark Greene nous entraîne dans cette valse de la mémoire. Avec lui, nous avons l'impression, nous-aussi, de remonter le temps. Cette chanson devient un peu la nôtre, cette amitié aussi. Qui n'a connu dans sa jeunesse d'improbables dénouements ? Qui n'a réalisé que les amis pour toujours n'auront été que d'éphémères compagnons d'adulescence? Alors 45 tours ne nous raconte pas seulement une histoire. Il nous parle de la versatilité des choses à l'épreuve du temps, de la force des souvenirs sans retour, des lendemains qui dé-chantent après ceux qui en-chantent. 

Rencontre Rive gauche

Nous retrouvons Mark Greene dans un de ces cafés parisiens de la Rive gauche, dans lequel ses héros auraient pu se retrouver. Il est habillé de nombreuses vestes et survestes, comme son narrateur. Un peu plus, il nous montrerait que, lui-aussi, cache des sacs de terre dans sa parka. Ces sacs de terre, symboles de l'enterrement de la jeunesse enfuie? Ou annonciateurs d'un retour au coeur des éléments? Le récit ne nous l'a pas dit. Peut-être en saurons-nous davantage à l'issue de cet entretien.

Les années 80, tremplin de la mondialisation

Une citation nous interpelle : "En ces temps-là, les Champs-Elysées étaient encore les Champs-Elysées. Ceux des grands westerns et d'"À bout de souffle", du drugstore et de la TWA, de Lido Musique et de l'immeuble de "Jours de France". "(p. 41). Pourquoi cette fascination  pour les années 80 ? :  "Ce sont les années de ma jeunesse. Je me souviens des années 80 comme d'une époque charnière, le début de la mondialisation. On découvrait la musique techno. Techniquement, c'était le début du Walkman, des synthétiseurs individuels et bientôt la fin du disque vinyl. C'est aussi la grande époque des sociétés de production. Internet n'était pas encore là ." observe Mark Greene.

L'amitié et la musique

45 tours évoque aussi et surtout en creux l'amitié. Il existe une belle scène dans le livre, où les deux jeunes marchent dans la rue en écoutant ensemble de la musique avec deux paires d'oreillettes regroupées sur la prise de leur baladeur : " Cette scène, je l'ai visualisée avant de commencer l'écriture du livre. Je me souvenais de cette sensation : découvrir une écoute musicale simultanée et exclusive à deux, marcher au milieu du monde." poursuit l'écrivain. Souvenir d'amitié presque gémellaire, avec deux co-écouteurs unis par leurs cordons de plastic. Comme un événement inaugural, fondateur.

Quand le passé du récit se mêle avec les souvenirs de l'auteur

Réminiscence de souvenirs réels ? Le livre résonne avec une intimité qui le laisse supposer. Mark Greene le confirme : "Ce livre prend sa source dans mon vécu de jeunesse : une amitié fusionnelle, un petit appartement rue de l'Estrapade, une insouciance un peu oisive, la musique qui rythmait nos jours et nos nuits. Le reste, la société de production et le tube, ont été inventés à partir d'un certain nombre de témoignages, notamment celui de quelqu'un que j'ai rencontré, qui avait été premier au Top 50 pendant trois mois..."

Production, ton monde impitoyable

Mark Greene s'amuse avec ses personnages, notamment celui du producteur qui roule en Jaguar, reçoit ses clients pieds nus, dans un appartement surchauffé de la rue de Ponthieu et pose par terre tous les disques d'or de sa compagnie, à côté d'un éléphant doré qui semble "les aspirer et les recracher". Des images désopilantes sur la folie qui régnait à l'époque dans ces majors en ébullition, qui fabriquaient du tube et de la star comme de la lessive. " J'ai aimé évoquer l'amplification de l'irréalité avec ce milieu qui entraîne ces jeunes dans un monde complètement artificiel, au lieu de les amener à la réalité du monde du travail." Entre ces deux mondes, Mark Greene installe un balancement incarné par la topographie des lieux: Rive gauche-Rive droite, comme les deux faces d’un monde qui ne se rejoint jamais.

Le succès et ses abîmes

Les deux faces d'un monde qui augure aussi des deux faces du destin, la roche Tarpéienne n'étant jamais loin du Capitole... Le succès de la chanson est d'autant plus vertigineux qu'il arrive de manière improbable. Les protagonistes sont entraînés malgré eux dans une spirale : "Comme si le sommet de la montagne nous aspirait. Comme si l’abîme désormais avait élu domicile dans les hauteurs » (p. 112) . Le prix de l'imposture ? "Ce qui est intéressant dans ce succès, c'est sa fulgurance. Mais c'est aussi sa brutalité, qui fait tout imploser. L'amitié des deux protagonistes n'y résiste pas, car ils ne vivent pas de la même manière ce qui leur arrive. Alors, la descente sera d'autant plus brutale, que la montée a été grandiose. De la même manière qu'ils n'ont pas suscité ce succès, ils n'auront pas de prise sur sa chute."

Deuxième chance ?

A la fin du livre est écrit cette note : "II y a, dans toute vie, une deuxième chanson." Gagné, perdu? Mark Greene cite Francis Scott Fitzgerald, "Dans la vie, il n'y a pas de deuxième chance". Mais parfois si. Nul ne le sait, même pas l'auteur qui hésite. Mark Greene a commandé un deuxième verre de vin. Un Bourgogne à la robe rouge scintillante. Le café a poussé la musique un peu plus fort. Nous sommes sortis. Dehors, il faisait déjà nuit.

>Mark Greene, 45 tours, Rivages, 224 pages, 18 euros

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