Coup de coeur

Les contes du futur de Gérard de Senneville

Il y a dix ans, Gérard de Senneville nous avait séduits avec Le merveilleux voyage d'Omar Ben Alala. Aujourd'hui, nous le retrouvons, bien décidé à nous projeter en 2120, à l'heure où Lucifer invite Omar en Enfer. Partez à la découverte de ces contes du futur, portraits incisifs, éclairés et moqueurs d'un temps où comme le dicton aime à le dire, il vaut mieux rire... A l'occasion de cette parution, Viabooks a rencontré l' auteur de ces pépites, portraits au scalpel d'une époque déboussolée.

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Viabooks: 10 ans après Le merveilleux voyage en France, vous publiez Le voyage en enfer d’Omar Ben Alala : ce laps de temps a-t-il été nécessaire ? Pensez-vous que le monde a vraiment changé et qu’il va devenir infernal ?

Gérard de Senneville : Durant ces dix années, je me suis intéressé à d’autres époques que la notre en écrivant des biographies : celle de Théophile Gautier, puis le récit de la vie de Yolande d’Aragon, la belle-mère de Charles VII, qui fut une femme politique remarquable. Entre-temps la France a certes connu des évolutions techniques et économiques, mais les tendances morales et intellectuelles n’ont guère changé : certains travers se sont même accentués. Les ridicules ne manquent donc pas. D’où la tentation d’écrire un nouveau recueil de petits contes.

VB: Vous utilisez la forme du conte. Pouvez-vous nous parler du choix de cette forme stylistique ? On songe, bien sûr, aux Lettres persanes, mais il y a peut-être autre chose : le succès de la forme courte, en vogue actuellement dans la littérature française (je pense notamment au succès du livre de Stephane Hessel).

G.S : L’humour me semble la meilleure méthode pour dénoncer certains défauts de nos contemporains. Il est plus efficace de provoquer le rire que d’écrire de longs traités. Mon procédé est toujours le même : j’accentue une conduite risible, que j’observe aujourd’hui, en imaginant une histoire censée se dérouler dans vingt, cinquante ou cent ans. C’est ainsi que j’ai utilisé, dans une perspective de « science-fiction » ou de « politique-fiction », la forme du « conte philosophique » inventée au XVIIIe siècle. Comme il me fallait, dans mon premier conte, un ingénu ou un Persan, pour visiter la France de l’an 2101 retournée à l’état féodal, j’ai eu recours à un jeune Saharien, Omar ben Alala. Je lui fais faire à présent un nouveau voyage pour rencontrer en Enfer quelques démons très actifs dans la société contemporaine. Rien à voir, donc, avec la vogue actuelle des brefs essais : je me suis plutôt inspiré de Voltaire et de Marcel Aymé.

VB: L’humour. On rit à gorge déployée en parcourant les pages de ce petit livre merveilleux. Le début est très réussi. Vous abordez les sujets les plus divers en passant de la fonction publique aux éoliennes. On sent que vous vous êtes bien amusé !!?

G.S : Je l’avoue. Il m’arrivait même de rire tout seul en imaginant telle ou telle péripétie ! C’est pourquoi je suis très content si mes petites histoires font rire aussi les lecteurs.

VB: À ce propos, comment écrivez-vous ? Par à-coups ? Chaque jour ?

G.S : Il ne suffit pas d’être irrité depuis longtemps par un tic social pour pouvoir écrire un conte. Il est indispensable de trouver une idée qui permette d’imaginer une histoire amusante. Or la naissance de cette idée ne se programme pas : elle arrive le plus souvent à l’improviste en lisant le journal, en écoutant la radio ou en se promenant dans la rue. Il faut la saisir immédiatement, c’est pourquoi j’écris vite un premier jet. Dès lors que la rédaction a commencé, je me prends au jeu et deviens plus imaginatif : d’autres idées arrivent comme par enchantement, qui permettent d’enrichir le conte. Un long travail est ensuite nécessaire pour améliorer l’écriture et rendre le récit limpide. Ce n’est pas un travail continu, mais l’élaboration d’un conte, même bref, dure plusieurs mois.

 

VB : Un des contes qui m’a profondément amusé est Le tabac éradiqué du Louvre, je regrette qu’il ne soit pas plus long. Mais Dopage dans la course à la présidence et Molière sans relecture sont aussi parmi mes préférés. Quel est le conte que vous avez le plus aimé écrire ?

 G.S : J’ai eu grand plaisir à écrire la Légende de Saint-Pétrin, car, à partir d’une idée ténue – une antenne de téléphonie mobile sur un clocher déclenche des interférences spirituelles dans les conversations téléphoniques –, je me suis trouvé pris dans la logique de la situation et de mes personnages, et les péripéties se sont enchaînées d’elles-mêmes. J’ai également écrit avec délectation Le Voyage en Enfer, car l’Enfer géré comme une grande entreprise performante était une source inépuisable de détails drôles : je me suis vraiment amusé.

 

VB : Quelles finalités souhaitez-vous donner à ce livre qui peut aussi se lire comme un petit pamphlet ?

G.S : Même si le ton est souriant, la plupart de mes contes sont effectivement des petits pamphlets. Leur but est d’attirer l’attention du lecteur sur des comportements absurdes ou malsains qui, dans le climat de pensée dominante où nous vivons, finissent par passer inaperçus, comme si nous étions mithridatisés par la bêtise. Quelle que soit la situation, il vaut en tout cas mieux rire que pleurer, le rire est un puissant décapant.

 

VB : Quels sont vos livres de chevet ? 

G.S : Un véritable livre de chevet est un livre qui reste à portée de main et que l’on ouvre souvent. Je n’en vois que trois : La Bible, Les Fleurs du mal et Le Dictionnaire égoïste de la littérature française de Charles Dantzig.

 

VB : Quels sont les ouvrages de littérature française contemporaine qui vous intéressent particulièrement ?

G.S : Je lis beaucoup plus de livres d’histoire et de romans anciens que de romans contemporains. Cependant, j’ai pris plaisir ces derniers temps à lire Une pièce montée de Blandine Le Callet, Les Onze de Pierre Michon, La carte et le territoire de Michel Houellebecq, Fourrure d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre. Parmi les livres de souvenirs, j’ai beaucoup aimé Composition française de Mona Ozouf et Jeanne de Jacqueline de Romilly.

 

VB: Que lisez-vous en ce moment ? Que projetez vous de lire cet été ?

G.S : Je viens de terminer Rouge Brésil de Jean-Christophe Ruffin et je commence L’été 1976 de Benoît Duteurtre. Mais j’ai surtout en cours des lectures de plus longue haleine comme La Chronique du Religieux de Saint-Denis et des ouvrages sur le XVe siècle, car j’ai décidé de retrouver cet été cette époque qui me passionne.

En savoir plus

Gérard de Senneville, Le Voyage en enfer d'Omar Ben Alala et autres contes du futur, De Fallois

Gérard de Senneville, Le Merveilleux voyage d'Omar Ben Alala, De Fallois

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