Autoportrait

Le «selfie» de Colette Fellous

A l’occasion de la parution de son roman « La préparation de la vie » (Gallimard), Colette Fellous joue le jeu du « selfie » pour Viabooks. Un autoportrait au service de la littérature.

Réalisation Annick Geille


1-Je suis où, là?

C’est dimanche, je viens de voter, maintenant il faut ranger le bureau. Musique, bougies, café. Boulevard de Picpus, Paris douzième.

2-Je suis écrivain, depuis quand et pourquoi ? 

Je publie depuis mes trente ans, mais je crois que j'écris depuis toujours, comme on dit. L’enfant qui regardait sa famille, son pays, ses amis sans bien comprendre où il était, c’est lui qui a eu envie d’écrire, c’est lui qui questionnait en silence, qui voulait changer sa vie, en silence aussi. J’étais cet enfant, petite fille timide entourée de quatre frères turbulents et perdus. Petite fille étrangère qui n’avait que ces envies-là : vivre, danser, lire, aimer. La famille a fait naufrage, je suis restée au bord de la plage en essayant  de ramasser les morceaux, d’en faire une série de tableaux, pour éclaircir sa mémoire. Mes livres sont peut-être une tentative de sauver cette mémoire.

3-Ce que j'ai fait de plus fou par amour  de la littérature (la mienne et /ou celle des autres)… 

J’ai failli mourir d’amour pour un écrivain dont j’aimais l’œuvre mais qui, lui, n’était pas du tout mon genre.

4- Mon premier livre, déjà ? [image:2,g,m]

Roma, une déambulation dans Rome, en été, canicule et désœuvrement, ville abandonnée, corps de femme cherchant toujours à frôler le danger, au bord d’elle-même. C’était une fiction, mais je me suis brouillée avec mes amis, qui ont cru que cette fille c’était moi. J’en ai eu heureusement d’autres, plus sûrs.

5- Et “La préparation de la vie”, pourquoi ai-je écrit ce texte ?

C’est mon livre le plus heureux. Il m’a permis de faire converser librement le passé avec le présent, les années où j’étais étudiante au séminaire de Roland Barthes, à Paris, avec ces trois dernières années où je suis retournée très souvent en Tunisie pour être au plus près des bouleversements du pays, depuis ce qu’on a appelé, à tort, la Révolution de jasmin, en janvier 2011. Cette façon de lier la voix de Barthes, son désir impossible d’écrire un roman infini qui contiendrait tout,  avec mon expérience la plus intime de la Tunisie, celle de mon enfance et celle d’aujourd’hui, a été pour moi un bonheur d’écriture. Enfin, je pouvais tout faire entrer dans le livre, il devenait danse, musique, maison, fête. J’y ai même mis des recettes de cuisine, en hommage à la dernière phrase de Barthes, dans sa Leçon inaugurale au Collège de France : « sapientia : nul pouvoir, un peu de savoir, un peu de sagesse, et le plus de saveur possible. »

6- La première phrase

« Un homme labyrinthe ne cherche jamais la vérité mais uniquement son Ariane. »

7- La dernière phrase

« Je suis tranquille moi aussi, tout peut commencer, tout est clair à présent. »

8- “La préparation de la vie” dans mon  oeuvre ?

J’ai commencé à écrire des romans, puis j’ai commencé un cycle autobiographique avec Avenue de FranceAujourd’hui et Plein été. Ces trois livres retraçaient les moments forts des liens entre la France et la Tunisie. Je suis partie de ma vision personnelle et familiale pour raconter une histoire collective. Le Protectorat, l’Indépendance, et peu à peu le départ des communautés juive, française, italienne. Les blessures qui ont suivi, mais aussi l’attachement profond aux deux pays, une histoire infinie, qui est devenue la matière de mes livres. J’ai inauguré un autre cycle, plus français, avec Un amour de frère et avec ce livre La préparation de la vie. Comment j’ai découvert la France à dix-sept ans d’abord, guidée par un de mes frères, merveilleux et diabolique à la fois. Et dans la Préparation de la vie, j’avance un peu dans cette jeunesse, j’ai de 22 à 30 ans, et Barthes devient mon guide pour lire le monde….

9-Le numérique et l’écriture ?

 J’aime ce monde du numérique, sa magie, son « aimantation ». Il faut toutefois que je fasse attention. Mon temps d’écriture s’est modifié. Je dois régulièrement m’arracher à ce flux numérique pour m’isoler et écrire dans un lieu où je ne suis pas connectée en permanence. Sinon, je ne retrouve pas la vraie matière d’écriture, tout est brouillé.

10- Etat présent de mon esprit... 

Je vais préparer un gâteau au chocolat pour le dîner de ce soir et mettre une bouteille de Sauternes au frais. (Propos recueillis par Annik Geille)

 

 

 Le "selfie" de Viabooks. A l'initiative d'Olivia Phélip, directrice de Viabooks, la romancière, critique et journaliste Annick Geille propose l'exercice de l’autoportrait aux meilleurs auteurs du moment. Par le texte et l’image, les écrivains passent leur imaginaire au scanner. Un passionnant jeu de miroirs entre l'auteur et lui-même. L'ensemble des autoportraits réalisés par Annick Geille compose en quelque sorte le premier cercle littéraire virtuel des écrivains d'aujourd'hui.(Photo: Maurice Rougemont-Opale/Fayard).

 

 

>>Découvrir aussi les "selfies" :

>de Charles Dantzig

>de Nicolas Idier

>d'Olivier Lebé

4.5
 

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