Edition alternative

Laurent Bettoni : "Les Indés, une nouvelle liberté pour les auteurs"

Laurent Bettoni, qui est à la fois auteur, éditeur et... agitateur d'idées, se lance dans une nouvelle aventure : la création d'une  maison d'édition, Les indés, qui surfe sur le meilleur de l'édition traditionnelle (l'acompagnement liéttraire, la diffusion classique), et la souplesse de l'édition alternative. Un nouveau contrat entre l'auteur et son éditeur avec comme seule volonté : favoriser l'émergence de nouveaux talents. Avec pour premiers ouvrages, Le Pianiste et les matriochkas d' Élodie Mazuir, Locataire de Tudual Akflor et Beaucoup de peine, beaucoup d’espoir, beaucoup d’amour de Brigitte Hache.

On vous a connu professionel de l'édition traditionnelle, ouvert aussi aux nouveaux talents révélés par l'autoédition. Vous voilà désormais lancé dans une nouvelle aventure éditoriale, Les Indés. Pouvez-vous nous en parler?

- Laurent Bettoni : Le label d’édition que je viens de lancer s’appelle « Les indés ». Et comme je suis auteur avant tout, il s’agit d’un label créé par un auteur pour les auteurs. J’entends par là que c’est en priorité le bien-être de l’auteur qui compte et qu’il y est replacé au centre de l’univers éditorial. J’ai conçu Les indés comme un lieu dans lequel les auteurs se sentiraient chez eux et libres de leurs mouvements.

L’idée force est donc qu’ils y disposent librement de leurs droits. Ils peuvent quitter les indés quand ils le souhaitent et ainsi maîtriser entièrement leur parcours et la destinée de leurs œuvres. Le but premier du label est de découvrir de nouveaux talents francophones. Ensuite, nous nous évertuons à les propulser vers le lectorat le plus large possible, et même vers l’édition traditionnelle, pour ceux qui le désirent. D’où la possibilité de partir à tout moment.

Si un éditeur repère un auteur du label et envisage quelque chose avec lui, le label joue les intermédiaires. Il peut même se montrer proactif et force de proposition. Quand un auteur quitte les indés pour aller dans une maison d’édition traditionnelle, le rôle du label passe simplement de celui d’éditeur à celui d’agent.

Ce modèle ne permet évidemment pas de verser d’à-valoir, je préfère le préciser d’emblée. En revanche, les auteurs perçoivent leurs droits tous les mois, et les pourcentages sont fixés au plus haut dès le premier exemplaire vendu, sans incrément en fonction de fourchettes de ventes croissantes. Dès la première vente, l’auteur perçoit 15 % du prix HT du livre papier et 25 % du prix HT du livre électronique.

Comment structurez-vous votre diffusion ?

L. B. : Concernant le livre papier, Hachette-Lightning Source imprime et distribue. En raison, là encore, de notre modèle économique, nous fonctionnons en flux réassort et non par offices. Nous évitons ainsi les retours massifs et la mise au pilon de milliers de livres, ce qui est toujours un crève-cœur. Cette façon de travailler éco-responsable correspond bien à nos valeurs.

Parmi lesquelles l’accession pour le plus grand nombre à la lecture. Cela se traduit par un prix hyper sexy de nos livres électroniques de 6,99 €. Une œuvre inédite au prix d’un poche, en somme !

Autre valeur : les libraires. Qu’il s’agisse de libraires en ligne ou de libraires physiques, en chair et en os, travaillant dans des grandes chaînes ou dans des librairies indés, nous considérons qu’ils sont les meilleurs passeurs de livres. Par respect et par foi en leur travail, nous ne vendons pas nos livres sur notre site et nous en remettons pour cela entièrement au professionnalisme des libraires.

Comment définissez-vous votre ligne éditoriale ?

L.B : L’organisation des Indés est celle d’une maison d’édition telle qu’on la conçoit. Les textes sont rigoureusement sélectionnés et retravaillés, nous publions au rythme d’un ou deux livres par mois. Nous misons essentiellement sur une communication digitale. Notre approche commerciale repose pour l’instant sur un succès ou une visibilité numérique, pour générer ensuite des ventes en papier. C’est donc exactement l’inverse de ce qu’il se passe dans une maison traditionnelle. D’où une belle complémentarité entre les indés et les éditeurs classiques.

Notre ligne éditoriale est généraliste, nous publions tous les genres littéraires ainsi que de la non-fiction. Le but étant de découvrir et de mettre en lumière le plus grand nombre d’auteurs, nous ne nous limitons pas, au contraire. Nous regardons dans toutes les directions. Notre seul critère de publication est que le texte puisse toucher et parler, d’une manière ou d’une autre, aux lecteurs.

Parlez-nous des trois premiers titres  que vous publiez ?

L. B : Tous les auteurs, confirmés ou encore méconnus, sont les bienvenus, chez les indés. Les premières parutions en attestent. Entre mars et avril, nous publions, trois romans.

Dans Le Pianiste et les matriochkas, Élodie Mazuir nous montre un magnifique chassé-croisé entre cinq personnes qui vont se rencontrer, se heurter, s’abîmer et s’aimer. C’est un récit drôle, émouvant, qui donne foi en l’amour et en la vie, et qui est servi par une écriture poétique et lunaire.

Avec Locataire, Tudual Akflor nous plonge dans un univers absurde à la Ionesco et oppressant à la Polanski. Il y a aussi quelque chose de kafkaïen dans ce terrible huis clos entre un propriétaire et son locataire saisonnier. Leur confrontation inexpliquée va monter dans les tours jusqu’à l’apothéose, dont je ne vous révélerai rien. Tudual manie le suspense et l’humour noir à la perfection.

Et enfin, dans Beaucoup de peine, beaucoup d’espoir, beaucoup d’amour, Brigitte Hache nous raconte, l’espace d’une nuit, une histoire de vengeance, de rédemption et… d’amour, avec pour personnages principaux trois personnes qui ne se connaissent pas mais que l’on va découvrir étroitement liées malgré tout. Brigitte a une écriture épurée qui porte à merveille la mélancolie et la tendresse.

La suite, c’est un thriller fantastique intitulé Le Septième Prophète, écrit par Matt Verdier, un auteur publié avant chez Mnémos. Puis il y aura un récit de vie incroyable signé Pascal Aquien, Lucrèce n’est pas une femme, le parcours d’un transgenre qui a mené une longue carrière au cabaret, et qui a croisé la route, entre autres, de Jean Marais et Marlène Dietrich. On n’attendait guère Pascal Aquien dans ce registre, car ce professeur de littérature anglaise à la Sorbonne et vice-président de son conseil scientifique, est avant tout un spécialiste d’Oscar Wilde (traducteur, biographe et préfacier pour La Pléiade) et de Thomas de Quincey (directeur de collection pour La Pléiade). Suivront des romans de littérature générale, avec Iza de Gisse et sa superbe tétralogie Shoot, sur le combat d’un jeune toxicomane pour se sortir de son enfer ; du thriller/polar avec Le Pas du diable, de Françoise Bénassis, auteur publié auparavant chez Mercure.

Et plein d’autres belles choses, mais je laisse aux lecteurs le soin de les découvrir, le moment venu.

Vous faites vous-même de l'accompagnement littéraire indépendant. Quels sont les principaux écueils dans lesquels tombent les jeunes auteurs en général ?

L. B : Le principal écueil est l’absence de travail sur la construction du texte, sur la dramaturgie. C’est lié au fait qu’en France on entretient le mythe de l’auteur inspiré par la grâce divine, qui s’assoit à son bureau et qui, en prise directe avec le Tout-Puissant, pond d’une traite un chef-d’œuvre.

Beaucoup d’auteurs que je suis en accompagnement tombent des nues quand je leur demande à lire leur séquencier. Et beaucoup d’autres tombent des nues quand je leur explique que nous allons commencer par bâtir leur histoire avant d’en écrire la première ligne. Car tous ont déjà leur manuscrit complet ou pas mal de pages rédigées, et tout reprendre de zéro leur semble insurmontable. Ce qui n’est évidemment pas le cas et qui se révèle essentiel.

Quels sont les secrets d'un livre réussi selon vous?  

L. B : Un livre réussi est un livre qui touche son lecteur. On peut dire cela de toute œuvre, pas exclusivement d’une œuvre écrite. Et pour toucher quelqu’un, il faut être soi-même une vraie personne, je veux dire comprendre comment l’être humain fonctionne, bien se connaître soi-même sans se mentir ni tricher, accepter ses défauts et apprécier ses qualités, comprendre ceux des autres sans porter de jugement. Bref, il faut être un observateur, et non un juge, de la société, des autres, de l’âme humaine. Il faut être ouvert à la différence. À cette condition, on peut produire quelque chose dans quoi certains se reconnaîtront.

Alors que Livre Paris ouvre ses portes cette semaine, comment analysez-vous l'évolution du monde de l'édition aujourd'hui ?

L. B : Je dirais que c’est comme dans la vraie vie : les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Les riches, ici, sont les auteurs à succès ou bankables ; et les pauvres sont tous les autres. Et quand je parle de richesse, je ne pense pas qu’à l’argent. Mais la tendance est à la best-sellerisation. On aura tendance à mettre beaucoup de moyens financiers sur un livre ou un auteur qu’on jugera bankable. Car aucune télé, aucune radio, aucun organe de presse national ne parlera d’un total inconnu. Mais alors, comment obtenir un peu de visibilité un jour si on n’a jamais sa chance ? C’est peut-être là que des structures comme les indés ont une importance. Pour proposer une solution aux exclus de la best-sellerisation… jusqu’à ce qu’ils écrivent des best-sellers !

Il me semble que le métier premier de l’éditeur découvreur de talent se perd et qu’on prend de moins en moins le temps d’installer un auteur. On recherche de plus de l’instant cash. Je comprends qu’il en faille,  mais on pourrait peut-être mieux équilibrer.

L'autoédition va-t-elle "disrupter" le monde traditionnel selon vous ?

 L. B : Cette question fait écho à la précédente et la complète. Après avoir été fortement critiquée, l’autoédition est en passe de devenir l’avenir de l’édition. Elle ne va donc pas la disrupter mais la perfuser. Pour le meilleur et pour le pire. Beaucoup d’éditeurs, aujourd’hui, viennent faire leur marché parmi les auteurs autopubliés caracolant en tête du top 100 d’Amazon. Le système clone le système, car c’est toujours de best-sellerisation qu’il s’agit. On vient chercher sur Amazon le nouveau mummy porn, mais c’est déjà fini, ou le nouveau feel-good, mais ce sera fini l’an prochain. Or, dans l’autoédition, il existe de plus en plus d’auteurs qui bâtissent une œuvre en dehors  des sentiers battus et qui ont des choses nouvelles à montrer, qui s’expriment avec une autre voix, un autre style. C’est plutôt cette communauté d’auteurs qui intéresse les indés, car nous sommes persuadés que la nouveauté, que l’audace, que l’originalité, que l’exigence peuvent aussi séduire les lecteurs. La qualité plaît toujours.

La lecture sur support numérique reste encore minoritaire aujourd'hui. Pensez-vous qu'elle va se développer encore ? 

 L. B : La lecture numérique se développera quand l’offre et les prix seront réellement intéressants. Nous y travaillons, chez les indés. Donc, oui, j’y crois. Comme je crois que le numérique et le papier ne sont pas ennemis, au contraire. Je suis un amoureux du livre papier, mais je n’ai pas suffisamment de place chez moi pour tout ranger. Je suis bien content de stocker certains livres dans ma liseuse. Elle  peut en accueillir 4 000. Et elle devient même un outil professionnel pour les manuscrits que m’envoient les auteurs ou les services de presse que je reçois pour mes chroniques. Cela ne m’empêche aucunement d’acheter un livre papier quand je sais que je vais le garder dans ma bibliothèque, ni d’en offrir quand j’ai des cadeaux à faire. Un livre que j’ai lu en version électronique, je peux l’offrir ensuite en papier à un proche.

Il ne faut tout de même pas négliger l’aspect pratique du numérique, surtout pour les grands lecteurs. Une liseuse pèse 200 grammes. Pouvoir se promener avec une bibliothèque de 4000 livres sur soi, c’est extraordinaire.

Que pensez-vous de la place des auteurs aujourd'hui. L'année dernière vous étiez aux côtés des manifestants qui souhaitaient défendre les droits d'auteur. Où en est-on aujourd'hui? 

L. B : Rien n’a changé. Avec des droits de 8 à 10 % (parfois 5 %) sur le prix HT du livre, l’auteur reste le moins payé de la chaîne éditoriale. Je sais bien que les maisons d’édition ont des frais et des coûts de fonctionnement, mais il y a malgré tout quelque chose d’anormal dans le fait que le créateur de l’œuvre ne touche presque rien dessus. Ce n’est pas le cas chez les indés… La solution réside peut-être dans des structures aux coûts de fonctionnement limités.

Les auteurs vont-ils devoir apprendre à s'auto-promouvoir (via des sites personnels, une présence active sur les réseaux sociaux…) comme les musiciens ont été amenés à le faire par exemple ?

 L. B : Oui, et cela ne concerne pas que les auteurs autopubliés. Nous l’évoquions plus haut, dans l’édition traditionnelle, un auteur non-best-seller ne bénéficiera d’aucune communication ni d’aucune publicité sur son livre. La raison principale étant que la communication coûte cher et que les médias ne s’intéressent pas aux auteurs inconnus ou supposés non bankables. Le retour sur investissement se révélerait donc catastrophique.

Dans l’autoédition, l’auteur doit tout faire lui-même, ce qui inclut sa promotion. C’est le prix à payer quand on veut s’affranchir de toute servitude et se gérer soi-même. Et, en France, c’est sur ce point que ça pêche. Certains auteurs indés ne mettent pas les moyens financiers dans leur entreprise. On ne peut pas savoir tout faire, il ne faut donc pas hésiter à payer des prestataires. Et quand on est un auteur indé, le plus dur est d’obtenir de la visibilité. Il est primordial de soigner sa communication ou de payer un pro qui s’en chargera.

Que pensez-vous de l'essor des écritures en "feuilletons-chapitres" sur des sites de micro-blogging comme Wattpad ? Est-ce que cela va transformer la manière de travailler des écrivains ?

 L. B : Je suis un fan absolu des séries. Des vraies séries, littéraires ou télé. J’ai d’ailleurs créé et développé une collection de séries littéraires pour un éditeur. Et mon rêve ultime serait de créer des séries télé.

J’aime moins l’idée de proposer un roman de manière sérielle puis d’attendre la réaction des lecteurs pour modifier ou corriger. Je préfère que mon texte reste mon texte. Ensuite, je le propose aux lecteurs, qui l’accueillent ou non.

Le principal écueil d’écrire en fonction des désirs des uns et des autres est d’aboutir à quelque chose d’impersonnel, comme l’énorme succès de librairie issu du site dont vous parlez. Tant mieux si un grand nombre de lecteurs ont adoré ce livre, mais ce n’est pas ce que moi je veux lire. Ni écrire.

En revanche, oui au microblogging comme moyen supplémentaire de présenter ses textes et de rencontrer des lecteurs.

Quelques mots sur vos projets personnels? Avez-vous un livre en préparation? D'autres textes en édition?

L. B : Deux projets me tiennent particulièrement à cœur, en ce moment.

J’aimerais d’abord réussir le lancement des Indés et porter le plus haut possible les merveilleux auteurs qui nous ont rejoints et qui nous ont confié leurs superbes textes. Je crois qu’il y a de quoi faire un vrai courant littéraire, avec les auteurs que je rencontre en ce moment, le courant indé.

Ensuite, je suis en cours de bouclage de mon nouveau roman pour Marabooks, un roman noir et sociétal, inspiré d’un cas clinique réel de psychiatrie que j’avais lu dans un ouvrage spécialisé et qui m’avait bouleversé. Le roman doit être publié en octobre 2016, si tout se passe bien. Je voudrais en profiter pour saluer et remercier l’équipe éditoriale de Marabooks qui accomplit un travail fantastique et qui fait preuve d’une humanité et d’une bienveillance que j’ai rarement vues dans ce milieu.

En savoir plus

>Une interview de Laurent Bettoni sur l'autoédition :

4
 

En ce moment

Festival de Cannes 2024 : la liste des films en compétition

La cuvée 2024 de la  77e édition du  Festival de Cannes ,qui se tiendra cette année du 14 au 25 mai, a été dévoilée par Thierry

Festival du Livre de Paris 2024 : succès avec ses 103 000 visiteurs et des ventes en hausse

Le Festival du Livre de Paris 2024 se clôture sur une note de succès avec 103 000 visiteurs et des ventes en hausse de 6%. 

« Strasbourg, capitale mondiale du Livre » : du 23 au 28 avril 2024, un programme exceptionnel pour la semaine inaugurale

Première ville française désignée Capitale mondiale du livre par l’UNESCO, Strasbourg lancera le 23 avril 2024 une semaine de festivités pour ma

Prix Céleste Albaret 2024 : cinq livres dans la sélection

Le prix Céleste Albaret a été créé en 2015 par Jacques Letertre, président de la Société des Hôtels Littéraires et de l’Hôtel Littéraire Le Swann (

Le TOP des articles

& aussi