Jean-Marc Lebreton, spécialiste de l'édition

La déferlante numérique est en train de bousculer les codes de l’édition. Dans l’ouvrage qu’il a co-dirigé « Le Management de l’Entreprise d’Edition » (éditions du Cercle de le Librairie) et qui réunit une quinzaine d’auteurs, tous professionnels de l’édition, Jean-Marc Lebreton met en lumière les interconnexions entre rédactionnel et éditorial, techniques de fabrication, marketing, promotion et commercialisation.Cette réflexion décloisonnée pose les bases d’une véritable réflexion sur l’évolution de l’économie du livre dans les prochaines années. Jean-Marc Lebreton répond aux questions de Viabooks. 

1.Vous êtes un spécialiste du monde des livres papier et conseillez maintenant les entreprises dans leur stratégie numérique. Pensez-vous que le livre numérique va faire disparaître les livres papier?

Jean-Marc Lebreton : L’avenir se dessine avec une répartition entre les livres papier et les livres numériques qui va se mettre en évidence par le mode de lecture.

Le papier, avec sa lecture par pages est adapté à certains types de lecture et donc certains contenus relativement linéaires mais son appareil de renvois (notes, index, glossaires, index…) maintenant bien rodé et usuel pour la majorité des utilisateurs peine devant les accès directs par simple clics lors de la lecture de recherche ou de prise de connaissances nouvelles.

Par ailleurs les mises à jour constantes pour certains documents sont difficilement adaptables au papier, même si les éditeurs ont fait preuve d’ingéniosité pour proposer des abonnements à des fiches de mises à jour périodiques.

C’est sans doute ainsi qu’ont disparu, dès 2000, les encyclopédies papier et qu’à terme, un grand nombre de livres documentaires sont appelés à être remplacés par les livres numériques ; je pense aux livres de droit, de documentation, de recherche…
Enfin, il faut distinguer la lecture sur tablette et la lecture sur liseuse ; cette dernière est très proche de la lecture papier et peut se développer pour la lecture linéaire.
Pour les livres de lecture linéaire, comme la littérature générale, un pan numérique peut trouver sa place si on apprend à « écrire numérique », c’est-à-dire en utilisant les ressources du numérique pour alimenter une fiction en proposant un vrai discours numérique.

2-Les livres numériques ne disposent pas aujourd'hui de contenus enrichis à valeur ajoutée. Où en est-on techniquement des formats interactifs en matière d'ebooks?

Jean-Marc Lebreton : En effet, peu de livres apportent les contenus enrichis que l’on peut attendre avec le numérique.

Cependant, du côté des livres scolaires, une véritable révolution est en train de voir le jour avec des contenus de fonds documentaires, dépassant la structure des manuels fermés connus jusqu’à présent.Les expériences et tentatives se multiplient, dans le scolaire, mais aussi dans le domaine des livres de jeunesse ou des livres pratiques.

Cependant, l’équation financière des livres enrichis dépasse totalement les budgets traditionnels des éditeurs, faisant tendre les investissements des livres enrichis vers des sommets jusqu’alors atteints par le cinéma, l’univers du jeu numérique ou les séquences d’animations.

3. Et qu'en est-il de leur protection? IL semblerait que certains formats ne sont pas assez protecteurs et qu'ils puissent être dupliqués facilement ?

Jean-Marc Lebreton : Je pars du principe que toute serrure n’a que quelques jours d’avance sur les cambrioleurs. Pour ma part, je ne crois pas aux protections et toutes les mesures prises ne sont que des mesures provisoires et couteuses, qui d’une part gênent le lecteur lambda par des accès compliqués, et, d’autre part, relève du défi pour les spécialistes du cracking, se faisant un jeu d’ouvrir un document protégé.

3-Dans votre livre "Management de l'entreprise d'Edition" aux Editions du Cercle de la Librairie, vous évoquez la question de l'économie du livre. Comment imaginez-vous l'évolution de ce monde que vous connaissez bien?

Jean-Marc Lebreton : Les projections sont très difficiles, mais le livre papier s’érode petit à petit du fait des sollicitations de temps lecture sur d’autres supports, également constaté aussi au détriment de la télévision.

Les éditeurs ne doivent pas démissionner et aller au-devant de leurs lecteurs, par les outils de ces lecteurs, pour leur proposer des livres dont ils ont besoin et créer l’envie pour les livres de loisirs.

Beaucoup d’éditeurs commencent à procéder de la sorte…

Le livre a de la valeur, qu’il soit papier ou numérique et cette valeur doit être préservée, ainsi que la rémunération de la création.

Si l’éditeur s’adapte à ses lecteurs, l’équation perdurera, mais si le lecteur n’est pas sollicité, il partira ailleurs.

En outre, il faut souligner l’absence d’interopérabilité entre différents systèmes de devices, ce qui est un frein aux échanges.

Enfin l’unicité des sources, en dehors des grands acteurs, freine également le développement des livres numériques et la « plate-forme commune » pour les éditeurs de langue française serait un vrai plus pour l’essor de la lecture dématérialisée.

4-Pensez-vous que l'auto-édition va faire émerger un nouveau business model de l'édition des livres?

Jean-Marc Lebreton : L’auto édition a toujours existé, et de grands auteurs entrés aujourd’hui dans les classiques se sont auto édités à une période de leur vie créatrice.

Il faut distinguer deux types d’auto-édition : celle qui se matérialise par un livre papier, et celle qui se fait sous forme de fichiers sur Internet.

Pour le papier, beaucoup d’imprimeurs s’approprient ce créneau, et mettent à la disposition du public des plateformes pour l’auto édition.

Comme le soulignait un éditeur rencontré récemment : « on n’a jamais aussi peu lu, mais on n’a jamais autant écrit ! »

L’analyse des statistiques des dépôts légaux montre que le nombre d’auteurs auto-édités est en croissance, mas que raisonnablement, les chiffres de tirages sont à la baisse.

Chacun va pouvoir, grâce au livre imprimé numériquement publier LE titre qui manque, pour un prix abordable, mais qui demeurera, sauf très rare exception, un livre pour les proches.

Editeur, ce n’est pas un métier, mais des métiers qui concourent à la réussite d’un livre. Et peu nombreux sont ceux qui vont pouvoir maitriser l’ensemble de la chaine conduisant à la réussite, si tant est que l’ouvrage présente une valeur intrinsèque !

Pour el livre à disposition en fichier sur le net, la démarche est encore plus floue et plus diffuse. Ces ouvrages sont perdus d’avance sur la toile, sauf encore une fois, si un vrai travail d’éditeur est réalisé pour l’éditer et le mettre en relation avec des lecteurs potentiels.

Un vrai business model : non. Des marchés marginaux, certainement.

5-Comment analysez-vous l'arrivée de l'abonnement de lecture illimité lancé par Amazon dans plusieurs pays?

Jean-Marc Lebreton : Revenons aux fondamentaux : les livres qui se vendent le mieux sur le net sont les livres gratuits !

Quelques gros lecteurs vont pouvoir lire un peu plus facilement et pour moins cher, mais cette démarche va-t-elle faire lire les non lecteurs ?

L’idée est séduisante et fait parler de ce gros acteur, mais j’y vois d’avantage de marketing que de véritable action pour la lecture.

La crainte, c’est de dévaloriser le livre et de ne plus rémunérer la création. Or un auteur a aussi besoin de vivre qu’un lecteur !

Propos recueillis par Olivia Phélip

Jean-Marc Lebreton et Dominique Bigourdan, Le Management de l’Entreprise d’Edition (éditions du Cercle de la Librairie)
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