"Les bénéfices du hasard"

Nadine Diamant: "Le biologique est universel"

"Le jeu de la vie et du hasard"ou plutôt "Le jeu du destin et du hasard" "pourraient servir de titres alternatifs au roman de Nadine Diamant, "Les bénéfices du hasard" (La Grande Ourse). Un livre qui décrit les réactions en chaîne provoquées par la survenue de plusieurs évènements apparemment sans importance au sein de la vie d'un couple. Cette tension entre ordinaire et extraordinaire, calme et tragique sont au coeur de ce récit, dans lequel la narratrice utilise aussi l'humour et la distance pour décrire ses personnages. Rencontre "par hasard" avec une romancière animée par le sens de l'universel...

1. Dans votre livre "Les bénéfices du hasard" vous explorez l'évolution d'un couple en phase de lassitude. Vos titres de chapitre volontairement neutres, distanciés - nutrition, reproduction, excitabilité, croissance, excrétion....- ont-ils été choisis pour donner une dimension plus universelle, presque "physique" ou "mécanique" l'ensemble de leurs "états"? 

-Nadine Diamant: Exactement. La vie privée de Lili et Ricky revêt un caractère universel. En tant qu’êtres humains, ils sont soumis aux lois de la nature, à ce qui caractérise le vivant. J’ai voulu établir ce parallèle, définir chaque étape de leur relation par un processus biologique.

Nutrition: Ce sont les griefs qu’ils engrangent, tout ce qu’ils ne « digèrent » pas chez l’autre.

Reproduction: Leur absence de sexualité.

Excitabilité: Ricky est attiré par Mariana.

Croissance: Son amour pour elle grandit jusqu’à l’obsession.

Excrétion: Il veut « évacuer » Lili de son existence.

Mouvement: Le couple explose. Lili agit.

Respiration: Ricky se délivre enfin de son secret.

2. Est-ce qu'on pourrait dire que "Les bénéfices du hasard" sont une version moderne de "On ne badine pas avec l'amour" ? Ou quand l'anodin, voire le banal flirte avec le danger?

-N.D.: Je pense que chaque histoire d’amour est une aventure dans laquelle on s’engage sans savoir où elle va nous mener: au meilleur comme au pire, au bonheur ou au crime. On prend un risque à chaque fois. En commençant une relation, on peut « béatifier » son existence ou bien se retrouver aux pages: « Faits divers ».

3. Votre texte est resserré, avec un rythme rapide et en-levé. Vous ne vouliez pas donner dans le sentimentalisme? Ou peut-être était-ce pour vous aussi une manière de "mécaniser" vos personnages ?

-N.D.: J’ai toujours eu beaucoup de difficulté à délayer. J’aime aller direct à l’essentiel, réduire le texte à son « minimum vital ».Pour reprendre l’idée du bonzaï: l’arbre est là, dans son entier, mais miniaturisé. J’aime quand tout est dit sans détours ou digressions inutiles.

4. Vous faites appel aussi à l'humour comme cette signature dessinée par la maîtresse sur le postérieur de son amant. C'est important pour vous de chercher des images amusantes, de placer le rire dans le quotidien ?

-N.D.: Je m’efforce de ne pas donner dans le misérabilisme, le pathos, d’établir une distance entre les personnages et les événements auxquels ils sont confrontés. L’humour est, je trouve , un bon moyen de dédramatiser les situations, de faire un pied de nez à l’adversité. Je ne souhaite pas que mes personnages soient pris en pitié ou qu’on les plaigne. En pratiquant une forme d’humour, ils peuvent ainsi conserver leur dignité, garder la tête hors de l’eau.

5. Votre récit est aussi construit sur une culpabilité profonde liée à un événement du passé. On bascule d'un coup dans la tragédie. Vous prenez presque le lecteur par surprise. Pourquoi votre héros se laisse-t-il aspirer ainsi par sa propre histoire?

-N.D.: Ricky détient ce secret au fond de lui et n’est jamais parvenu à s’en délivrer. Le hasard et ses circonstances lui permettent de libérer sa conscience, chose qu’il n’était jamais parvenu à faire, jusqu’à présent. Il s’est laissé embringué dans une histoire qui l’a dépassé mais au cœur de cette affaire, il a trouvé ce bénéfice. Chacun s’arrange avec son destin. Chacun peut tirer parti de situations critiques ou désavantageuses et, malgré les apparences, rester maître de son sort, conserver son libre-arbitre.

6. "Nous sommes tous des funambules. Nous marchons tous sur un fil tendu entre la raison et la folie sans savoir de quel côté nous allons tomber" (p.70):  est-ce le message central du livre? Pouvez-vous commenter cette citation?

-N.D.: Les personnages de cette histoire ne basculent jamais dans la folie ,même si leurs réactions peuvent être excessives. Ils restent toujours lucides quant à leurs agissements. La vie réelle, ordinaire, elle, offre une frontière ténue, aisément franchissable entre la raison et la folie . On peut la résumer à une épreuve à traverser, hérissée de dangers , de tentations...Rester « équilibré » nécessite, à mon avis, une certaine force mentale.

7. Vous animez aussi des ateliers d'écriture. Qu'apprend-on dans le cadre d'un atelier? Pouvez-vous décrire la manière dont cela se passe ? Pensez-vous que cette forme d'entraînement très fréquent aux Etats-Unis va se développer en France?

-N.D.: Apprendre est un bien grand mot. Disons plutôt que j’invite les participants à se familiariser avec l’acte d’écrire, à inventer des histoires, à faire « fonctionner » leur imaginaire. Certains, au départ, sont très intimidés, voire bloqués. Ils laissent la feuille vierge puis ,petit à petit, se laissent prendre au jeu, se lancent...et découvrent un vrai plaisir:celui d’avoir créé un texte. Il s’agit d’écriture créative. Je soumets divers supports: mots, images, photos, phrases extraites de romans etc...divers thèmes. Je demande aux « élèves » de laisser libre cours à leur imagination mais aussi de structurer ce qu’ils rédigent. Les textes sont lus à haute voix et commentés...sans jamais être dénigrés.

8. Avec l'essor du numérique, sont apparus les livres "dématérialisés" et de nouvelles formes de lecture ( sur tablette, liseuse , téléphone...).Pensez-vous que cela va amener de nouveaux lecteurs vers le monde des livres? Que cela va pousser les auteurs à écrire différemment, en utilisant les possibilités de textes enrichis?

-N.D.: Je reste fidèle au papier. J’aime le livre en tant qu’objet sensuel. J’ai beaucoup de mal avec les nouvelles technologies. Je ne me sens pas à l’aise avec les machines, d’une manière générale. Mais j’avoue que la liseuse, par exemple, me serait très utile quand je pars en voyage. Cela m’éviterait de trimballer dans mes bagages cinq bons kilos de bouquins! J’écris sur des feuilles blanches format A4 avec des stylos noirs (bic cristal). J’ai besoin de raturer,  de sentir que le stylo est le prolongement de ma main. Taper sur des touches n’est toujours pas pour moi un geste naturel...

9. Votre/vos prochain(s) projet(s)?

-N.D.: Je suis actuellement sur un autre roman dont je ne sais si je parviendrai à le terminer. J’en doute toujours quand je commence à écrire et puis...je ne sais par quel miracle, j’y parviens quand même...

Propos recueillis par Oliva Phélip.

>Nadine Diamant, "Les bénéfices du hasard", éditions La Grande Ourse

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En savoir plus

>Découvrez une interview en vidéo de Nadine Diamant qui parle de son livre "Les bénéfices du hasard"

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