"L'improbabilité de l'amour"

Hannah Rothschild mêle passion de l'art, suspense et peinture sociale

Hannah Rothschild n'est pas seulement la première femme à siéger à la présidence de la National Gallery de Londres. Avec L'improbabilité de                 l'a​mour (Belfond), elle est aussi la première à donner le premier rôle à un tableau dans son roman trépidant de 700 pages qui sait habilement mêler érudition, amour de l'art et suspense. Rencontre avec une auteure qui goûte l'esprit des fêtes galantes de Watteau, tout en croquant dans la pomme du XXIe siècle avec une gourmandise non dissimulée. 

Hannah Rothshild connaît le Louvre comme sa poche, car elle y a effectué un stage lorsqu'elle se formait à l'histoire de l'art. Rendez-vous est pris près des statues antiques. Un cadre idéal pour évoquer la beauté éternelle des chefs d'oeuvre qui traversent les siècles. Elle ne se lasse jamais de les contempler, comme elle le fait aussi souvent à la National Gallery, dont elle est désormais un membre éminent. 

Un récit haletant au coeur du marché de l'art londonien

L'art est un monde fermé. Hannah est tombée dedans dès le berceau. Issue de la branche anglaise des Rothschild, qui s'est autant illustrée par son implication dans les Beaux-Arts, que dans la finance. Et c'est bien ce qui se trame dans  L'improbabilité de l'amour, le roman-fleuve que la journaliste et réalisatrice anglaise a mis vingt-cinq ans à écrire. Il y est question d'un tableau de Watteau, des tribulations de ceux qui veulent s'en emparer, du pouvoir de l"argent dans un monde qui est devenu un marché impitoyable, de la fascination de l'art pour le meilleur et pour le pire... Il est aussi question de vanité, de passé, de déracinement et des luttes sans merci pour posséder les oeuvres. Et l'amour dans tout ça? Comme l'annonce le titre du livre, il est imprévisible. Et comme dans les toiles inspirées par la mythologie, Cupidon envoie ses flèches au moment où l'élu(e) s'y attend le moins. Surtout Annie, l'héroïne naïve qui va cristalliser nombre de concupiscences.

Bridget Jones au pays des ventes aux enchères

L'improbabilité de l'amour, c'est un peu les aventures de Bridget Jones au pays des marchands d'art,  un peu l'histoire d'un tableau qui aurait pu être le meilleur ami d'Oscar Wilde, et un peu un suspense entre gens chics à la Agatha Christie. Hannah Rothschild s'amuse. Elle cherche aussi à illustrer quelques traits de notre comédie humaine, sur fond de traces d'Histoire, comme celle de la spoliation des biens juifs pendant la Seconde guerre mondiale. La morale du livre ? Le seul vrai vainqueur peut-être, celui qui survit à tous et à toutes dans le récit et qui traverse les époques, c'est le tableau lui-même. Hannah Rothshild a le pouvoir de l'entendre parler. Cela nous intrigue. La romancière posséderait-elle un pouvoir surnaturel ? Nous allons l'interroger pour en savoir plus.

Watteau, tel qu'en lui même

La première question : pourquoi avoir choisi précisément de faire référence à un tableau de Watteau ? Pourquoi ne pas avoir choisi Turner ou Constable ? "Watteau fut à l'origine d'un de mes premiers coups de coeur artistiques. J'avais 16 ans. J'effectuais un stage au Louvre, j'avais un peu de vague à l'âme et je suis tombée émerveillée devant le "Gilles" de Watteau. La grâce du trait, le contraste entre la joie du costume et la mélancolie du regard. J'ai contemplé le tableau et j'ai eu l'impression que le tableau me parlait. Peut-être que c'est à ce moment-là, que j'ai senti que l'art ferait partie de ma vie pour toujours. Alors lorsque j'ai voulu écrire un livre avec comme héros principal un tableau, sa paternité n'a fait aucun doute! " nous explique avec une émotion non feinte Hannah Rothshild.

Un tableau qui parle et qui ressent des émotions

Un tableau comme héros, au point de le faire parler à la première personne, de lui donner corps, comme en témoigne cette citation : "Un profond sentiment de joie, et d'optimisme et de gaieté a présidé à ma création, mais ma composition masque une âme tourmentée et dévorée par le mystérieux poison du désespoir" (p.45). Un tableau qui parle et qui éprouve des émotions : une posture d'écriture ?  "Faire parler le tableau n'était pas seulement un truc d'auteur. J'ai souvent l'impression que les tableaux et les sculptures nous regardent et qu'elles pourraient nous parler. Ils sont porteurs de tant d'histoires, ont été les témoins de tant d'événements... D'ailleurs, quand je m'intéresse à une oeuvre, je recherche toujours son passé, ses provenances. Cela dit beaucoup d'elle. Ce n'est pas seulement une question de valeur, mais de transmission." poursuit notre collectionneuse émérite.

Annie, une héroïne modeste un peu candide

A côté du tableau, se tient une héroïne modeste, attachante : Annie. Elle est la Candide qui va découvrir à son insu les dessous du monde des marchands et des enchères. Mais elle est aussi la pure, celle qui va justement choisir ce tableau, car il lui plaît, il lui parle en quelque sorte. Il est écrit d'ailleurs : "L'art ne survit qu'en faisant vibrer le coeur d'une personne, qu'il rassure et réconforte. Un grand tabelau distille de l'émotion et tend une main empathique par-delà le temps et les circonstances." ( p. 147). L'émotion de l'acheteur qui rejoint celle de la peinture, la boucle est-elle bouclée ?

Art, ton univers impitoyable

Pourtant au nom de cette émotion, tant de combats. L'envers du décor est souvent impitoyable. Il est écrit: "Le monde de l'art n'est pas une mare bien tranquille, mais une mer infestée de requins. La beauté et le désir de posséder rendent les hommes fous depuis des siècles." (p.638). Alors amour de l'art ou marché de l'art? Qu'est-ce qui l'emporte ? "Comme je l'écris dans le livre, la valeur d'une oeuvre est déterminée par le désir. Il existe des éléments rationnels. Mais le désir est le plus fort composant. C'est pourquoi , il m'a semblé en effet intéressant qu'un personnage simple replace les choses dans cette réalité. Certes le marché brasse de telles sommes aujourd'hui que cela fausse tout. On en oublierait presque qu'on parle d'art. Mais à un moment, si on perd l'émotion, on perdra tout ce qui fait que l'art est art justement et que sa valeur finalement n'a pas de 'prix' en ce sens. 

Un marchand à la quête ambivalente et un russe au passé trouble

En creux, d'autres personnages surgissent : un oligarque au passé peu reluisant, que les lecteurs vont comprendre au fil du récit, ainsi qu'un personnage ambivalent en diable, Winkleman, un marchand d'art qui est prêt à tout pour posséder le tableau et dont le passé se révèle au fur et à mesure. Pourquoi avoir voulu introduire le contexte historique de la spoliation des biens juifs et ce suspense avec les grandes et petites manoeuvres de l'ombre ? " Parce que lorsque vous additionnez passion et argent, vous avez une combinaison explosive. Certaines personnes deviennent folles ou obsédées par un tableau. D'autres sont prêtes à toutes les malhonnêtetés. Cela arrive. C'est intéressant en un sens. C'est le reflet sombre de la passion de l'art. Quant à la référence à cette période de l'Histoire. Ma famille a été fortement touchée par la confiscation de ses collections par les nazis. Encore aujourd'hui, il existe des oeuvres en circulation qui n'ont pas été restituées à leurs propriétaires d'avant la Seconde Guerre mondiale. Et ce sont bien sûr souvent des oeuvres de qualité majeure. Plusieurs affaires ont été  médiatisées et je voulais évoquer ce contexte qui me touche. "

Cuisine et dépendances 

Le récit se livre aussi à une peinture sociale de toute la société fortunée de Londres, pour qui la possession est un ornement. On sent que l'auteure n'a pas eu à aller très loin pour trouver ses modèles. Downtown Abbey version 2016 :  le lecteur se délecte à se promener dans les coulisses d'un monde rich and famous, dont la bible est Tatler. Pendant que l'héroïne, Annie, s'adonne à la cuisine. Un art qui n'a rien à envier à la peinture si ce n'est qu'il est éphémère. Le roman multiplie les scènes et les surprises. Un vrai scénario de film ou de série ? " Les droits ont en effet été achetés par Steve Golin le producteur de The Revenant et de Spotlight. Ce sera probablement un nouvelle aventure pour le livre" Une improbable aventure ? "Improbable, comme l'amour et comme la vie ! "

Après notre interview, je suis allée faire un tour dans le Musée. Après avoir lu L'improbabilité de l'amour, on ne regarde plus les tableaux comme avant. A un moment, devant l'Odalisque d'Ingres, j'ai eu l'impression que cette femme allait me parler. Qu'elle en avait assez d'être regardée par des milliers de personnes. Je crois que son éventail en plume a bougé.  Comme son homologue de L'improbabilité de l'amour, l'odalisque imperturbable a repris sa position après cette petite récréation. Laissons le mot de la fin au tableau qui nous survivra quoi qu'il advienne : "Je suis toujours là. N'oublions pas que c'est moi le héros de cette histoire. Un héros bien plus intéressant que la nourriture. Et bien plus durable que l'amour. Je suis toujours là. Moi." (p. 258). Le Louvre, la National Gallery ,les tabelaux et les livres aussi.

>Hannah Rothschild, L'improbabilté de l'amour, Belfond, 701 pages

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