Les miroirs de la célébrité

Entretien avec Catherine David

Au Festival de Cannes ou dans une simple émission de téléréalité, aux Jeux Olympiques ou du fond d’un atelier, pour un quart d’heure, un jour ou une vie, nombreux sont ceux qui cherchent « leur » gloire.

 

Ces trompettes de la renommée sont-elles le signe d’une reconnaissance méritée? Ou ne seraient-elles pas aussi parfois plutôt le symptôme d’une société en quête de nouvelles idoles?

 

Dans son livre « Les violons sur le moi », l’écrivaine et journaliste Catherine David étudie les rouages de la célébrité et nous dévoile ce qu’ils racontent de notre société « ultra-narcissisée».

 

Interview céleb’ pour tenter de percer le secret du miroir aux starlettes.

 

 

La question choc d’emblée : pourquoi avoir décidé de consacrer un livre à la célébrité ?

 De plus en plus, on entend parler « des » célébrités, mais presque jamais de « la » célébrité. Or, le phénomène de la célébrité est un puissant signifiant de notre société actuelle, elle participe d’un imaginaire partagé, d’une hallucination commune. Pour autant, elle n’en a pas moins des effets réels sur la destinée des peuples, donc elle n’est pas un simple ornement du système, elle crée un monde. S’y intéresser est important pour mieux comprendre notre structure sociale actuelle. 

Une structure sociale, dont vous dites qu’elle est gouvernée par ce que vous appelez « l’ égolitarisme », un néologisme que vous avez forgé. Pouvez-vous nous en dire un peu plus…

L’égolitarisme - le contraire de l’égalitarisme ! -, ce serait la forme post-moderne de l’individualisme : cette nouvelle dictature du «  tout à l’ego », qui promeut une philosophie de l’égoïsme triomphant, une apothéose du narcissisme hypertrophié.  C’est la nouvelle religion du moi, annoncée par Nietzsche : «  Autrefois c'est au sein du troupeau que se cachait le moi, désormais, c'est au sein du moi que se cache le troupeau. » Nietzsche cite aussi ce bel aphorisme de Pindare : « Deviens ce que tu es », qui  semble prédire à chaque personne un destin exceptionnel. La fascination pour la célébrité se situe dans la droite ligne de cette promesse. Mais on a besoin du regard des autres pour se sentir exister.  Lemoi a besoin du troupeau, Narcisse a besoin d’être aimé et admiré pour développer ses talents. A l’heure où les certitudes s’effritent et où les valeurs vacillent, c’est la religion du moi qui nous sert de structure mentale. Tout le monde est incomparable, tout le monde est exceptionnel ! 

Une religion qui considère les célébrités comme des dieux ?

Exactement. De tous temps les êtres humains ont eu besoin de récits autant que de nourritures, de jeux du cirque autant que de pain, besoin de s’identifier à des héros ou à des princes. Les gens célèbres sont nos demi-dieux, nos animaux familiers, nos totems. Nous voulons les adorer, nous voulons aussi connaître leurs petits secrets. Car nous sommes tous des idolâtres. 

Comment devient-on célèbre aujourd’hui ?

Il a y a mille manières de devenir célèbre : traditionnellement, cette ascension sociale se produit en conséquence d’une action remarquable, d’un accomplissement. Avoir escaladé l’Himalaya, avoir écrit Les Misérables, être la star d’un film à succès, avoir découvert une nouvelle étoile ou résolu une équation célèbre…  Dans ces situations classiques, il existe une corrélation logique entre la réputation et le mérite. Ce qui est nouveau dans notre société post-moderne, c’est que la célébrité peut advenir de manière totalement gratuite et disproportionnée. Les émissions de téléréalité, très populaires, font régulièrement apparaître de nouvelles stars, qui seront souvent éphémères. Nous vivons dans une société de l’enrichissement sans cause (voir l’escroc Madoff !) et de la célébrité sans cause (voir la pauvre Loana !).  Il s’agit d’une sorte de loterie. Il y a peu de gagnants, mais tout le monde se dit «  demain, peut-être ce sera moi ». Il suffit de passer à la télévision pour devenir une personnalité en vue dans votre quartier. Avec les nouvelles technologies de l’information, et comme l’avait promis Andy Warhol - ce visionnaire - , chacun d’entre nous peut espérer connaître son quart d’heure de célébrité internationale. Ce que Warhol ne nous a pas dit, c’est comment faire pour retourner ensuite dans la vie ordinaire… 

 Il y a des gens qui sont prêts à tuer pour devenir célèbres…

Oui, vous vous souvenez certainement de Richard Durn, ce serial-killer qui a froidement assassiné huit conseillers municipaux à Nanterre avant de se donner la mort au cours de son interrogatoire. Il a déclaré qu’il voulait « se sentir pour une fois puissant et libre ». A ce propos, vous avez sans doute remarqué que nous gardons souvent en mémoire les noms des meurtriers alors que les victimes sont généralement oubliées. Nous connaissons le Japonais cannibale, Emile Louis, Ben Laden, Mohammed Atta, Fourniret, Mesrine ou Carlos. Mais nous ne connaissons pas le nom des gens qui sont morts dans les tours de Manhattan ni celui des disparues de l’Yonne… 

[image:3, m,g]Comment expliquez-vous cette fascination très répandue pour les gens célèbres ? 

La célébrité est une drogue, et de même que la drogue, elle replace les gens dans un état particulier qui ressemble à une enfance  prolongée. Le tout petit enfant – His Majesty the Baby - est en effet entouré de visages souriants et de gens qui lui font des risettes, qui s’empressent de soigner leurs moindres  bobos et d’exaucer leurs moindres désirs. De la même manière, les gens célèbres se retrouvent dans une sorte de paradis artificiel, entourés de gens souriants, d’amis indulgents et de courtisans empressés. Ils n’ont plus qu’une angoisse, celle de perdre tous ces avantages, une perte qui serait l’équivalent d’un deuxième sevrage…

Dans votre livre « les Violons sur le moi », vous parlez de cette fascination que la célébrité exerce sur nous comme du symptôme d’un certain malaise social.

En effet l’inflation des images et des rumeurs, accélérée par internet, les téléphones portables, les micro-cravates, les twitters et les buzz en tous genres nous donne l’impression de vivre dans une galerie des glaces, une société du reflet où le paraître a désormais la préséance, au détriment de l’expérience vécue – qui est évidemment la seule réalité qui importe. Ce qui compte pour un être humain, célèbre ou non, c’est la manière dont il ressent et interprète les événements de sa vie. C’est le point de vue singulier, c’est la subjectivité de chacun qui donne à notre existence ses couleurs et ses saveurs, ses plaisirs et ses chagrins. Dans la dialectique entre l’être et le paraître, nous avons tendance à oublier l’essentiel.

[image:4, s,d]Vous rappelez qu’il existe aussi des réfractaires qui préfèrent décidément l’ombre à la lumière…

Oui, vous avez d’un côté des gens ordinaires qui tout d’un coup, parce qu’ils sont sous le regard de la caméra, se mettent à raconter leur vie privée avec tous les détails qu’ils n’ont même pas donnés à leur psychanalyste, et de l’autre quelques loups solitaires qui aimeraient bien qu’on les laisse tranquilles. Il arrive que ces réfractaires soient malgré eux exposés aux feux de la rampe – dès 1951, l’écrivain Julien Gracq, en refusant le prix Goncourt, obtenait le résultat inverse à celui qu’il recherchait. Au lieu de le faire oublier, son refus le rendait encore plus célèbre. De même, l’écrivain américain J.D. Salinger, en refusant de publier quoi que ce soit depuis 1965, n’a fait que stimuler la curiosité d’un Frédéric Beigbeder qui a même fait un film sur ce non-événement. Plus récemment, c’est le mathématicien russe Gregory Perelman qui a créé l’événement. Après avoir résolu une équation datant de 1906, il a refusé la médaille Fields et le chèque de un million de dollars que ses pairs ont voulu lui donner. Le buzz a été gigantesque, et son refus a fait plus pour le faire connaître que son travail proprement dit…

Dans ce livre sur la célébrité, vous consacrez un chapitre à la burqa, n’est-ce pas un peu paradoxal ?

Si bien sûr ! Mais il y aurait sans doute moins de femmes portant le voile intégral si notre société était moins exhibitionniste. La burqa est une réponse folle à une société qui délire. Depuis le nuit des temps et sur tous les continents, les êtres humains se présentent avec le corps couvert de vêtements et le visage découvert. Se cacher le visage et les yeux comme le font les porteuses de niqab ou de burqa, c’est donc une transgression aussi grave que de se promener tout nu dans la rue. (Sans parler des dangers évidents que cela représente pour la sécurité des personnes.) Il est urgent que cette nouvelle mode disparaisse ! Cependant, au lieu d’une interdiction qui risquerait de renforcer le fanatisme de quelques groupes sectaires, je propose d’introduire dans notre Constitution un nouveau droit : le droit au visage.

Vous évoquez aussi le cas particulier de la célébrité des enfants.

Un enfant est une personnalité en construction, non encore consciente de son identité et de son désir, fragile et influençable. Il est très dangereux de le soumettre aux feux des projecteurs – c’est à peu près l’équivalent de lui faire essayer une drogue dure. Voyez l’émission Les Petits Z’amours qui invite des couples de parents avec deux de leurs enfants, de 7 à 12 ans. L’animateur Tex leur pose séparément des questions sur la vie de famille. Si les parents et les enfants répondent de façon concordante, ils gagnent un séjour dans un hôtel trois étoiles au bord de la mer. Mais ce passage à la télévision va les rendre célèbres dans leur quartier, dans leur école. Célèbres avant d’avoir vécu, célèbres sans mérite, que feront-ils de cette gloire précoce sans cause et sans intérêt, mais qui risque de les priver de la capacité d’apprécier les joies de la vie ordinaire ? Il y a fort à parier qu’ils passeront une grande partie de leur vie future à essayer de retrouver l’euphorie particulière qu’ils ont ressentie devant les caméras…

Finalement, selon vous quel sens donner à la célébrité ? Que diriez-vous aux stars ou aux non-stars ?

Notre système de castes a encore de beaux jours devant lui et la fascination générale pour les VIP ne risque pas de diminuer.  Cette tendance sera encore amplifiée avec  Internet et tous les modes de communication actuels. Je ferai  simplement deux observations. D’abord, je voudrais dire à ceux qui ne sont pas célèbres et qui s’en désolent peut-être, que cela n’empêche pas d’exister, et que leur destinée est évidemment tout aussi digne d’intérêt que celle des plus grandes stars. Par ailleurs, j’aimerais attirer l’attention des « célébrités » sur la responsabilité qui découle de leur position privilégiée. Ils doivent s’engager en faveur des plus démunis et de ceux qui sont traités injustement. En effet, leurs paroles et leurs actes ont un poids énorme. De cette influence qui leur est donnée, ils doivent faire un meilleur usage au service des droits de l’homme. La princesse Diana n’a-elle pas réussi, par sa lutte acharnée contre les mines anti-personnelles, à faire connaître ce problème dans le monde entier ?

En savoir plus

Catherine David,  Les Violons sur le Moi, Pourquoi la célébrité nous fascine, vient de paraître aux éditions Denoël

Et aussi:

Catherine David, La beauté du geste, Babel

Catherine David, L'homme qui savait tout, Le roman de Pic de La Mirandole, Points

Catherine David, Crescendo, Avis aux amateurs, Actes Sud


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