«Le courage qu'il faut aux rivières»

Rencontre avec Emmanuelle Favier, une des révélations de la rentrée

Avec Le courage qu'il faut aux rivières (Albin-Michel), Emmanuelle Favier signe un premier roman, parmi les plus marquants de cette rentrée. Un style fluide au service d'une histoire forte, tragédie à l'antique, qui s'attache à suivre le destin des « vierges jurées » en Albanie, et les glissements entre masculin et féminin dans une société qui dénie à la femme la liberté de son désir. Nous rencontrons l'auteure, sélectionnée par les libraires Cultura comme l'un de leurs Talents de l'année 2017.

Emmanuelle Favier a le sens de la répartie. Normal, elle a été actrice dans une première vie. L'auteure d'un des premiers romans les plus marquants de la rentrée a toujours écrit  (des poèmes, des nouvelles...) et a même animé des ateliers d'écriture, comme s'il lui avait fallu aborder l'écriture en se préparant par de multiples préparations, répétitions et initiations. Et voilà comment Le courage qu'il faut aux rivières (Albin-Michel) est né, un texte déjà sélectionné par les libraires Cultura, comme l'un des Talents de l'année, qui s'impose autant par son histoire que par sa langue. 

La tragédie d'une Antigone du genre

Une histoire forte, qui s'attache à suivre le destin  de ces « vierges jurées »  d'Albanie, dont le serment a été formulé pour s'affranchir de mariages imposés. Telle une Antigone du genre, l'héroïne va se trouver engloutie par la puissance de son désir, brut comme l'écorce, mystérieux comme le vent et profond comme le lac. Un désir qui surgit de l'enfouissement et se heurte à la violence de l'interdit patriarcal...  tous les éléments sont réunis pour que le récit touche à l'universel, comme si chacune de ces femmes prenait le visage de toutes les femmes qui, pour accéder à la liberté doivent payer le prix fort. Mais aussi de toutes celles qui savent entendre le signal de leur énergie primitive, ces femmes qui courent avec les loups, que nul ne peut asservir.

Un style cristallin comme l'eau des rivières 

Le texte est écrit avec un style poétique, presque âpre, qui ose la richesse du style, le rythme des mots, la force des métaphores. Pourtant rien de pompeux, ni de « phraseur ». Chaque mot est essentiel. La rivière ici, appelle le liquide, la fluidité de l'écriture et la force du courant.

Nous rencontrons Emmanuelle Favier. Grande silhouette puissante et souriante, qui vous fixe avec ses yeux bleus comme l'onde.

Un premier roman, déjà l'éloge de la critique et une première consécration avec la sélection des Talents Cultura. Pour un coup d'essai...

Emmanuelle Favier : Tout est allé très vite depuis que j'ai envoyé mon manuscrit. C'est un honneur pour moi d'avoir été sélectionnnée par les libraires  de l'enseigne Cultura. C'est émouvant d’avoir été choisie par les lecteurs, alors que mon sujet était loin d'être facile.

Vous avez même assumé un style très travaillé, loin des modes d'écriture actuelles, qui flirtent avec le langage parlé...

E.F. : Pour moi la référence poétique est essentielle. Il y avait un lien entre la puissance dramatique du récit et l'attention au texte. Je voulais retranscrire les éléments fondamentaux. La nature, le froid, la rudesse des choses, la beauté de la nature. Je n'ai pas peur de la « belle écriture ». Il faut juste qu'elle ait un sens.

Pourquoi avoir choisi le thème des vierges d'Albanie?

E.F. : Tout est parti de l’exposition Au bazar du genre en 2013 au Mucem de Marseille. Je suis tombée sur une photo de femme, qui m'a comme « appelée»  et qui m'a renvoyée à cette histoire des vierges d'Albanie, ces femmes qui doivent renoncer à leur sexualité pour avoir le droit de rester célibataires. Je ne me suis pas rendue sur place avant d’écrire mon manuscrit, car j’avais peur d’être absorbée par la dimension documentaire, alors que je voulais privilégier une pleine liberté créatrice. Je me suis rendue en Albanie après et je me suis rendue compte que mes intuitions rencontraient le réel.

Votre livre résonne aussi avec la question universelle de la place de la femme. Un thème qui vous est cher?

E.F. : Mon point de vue est presque ethnologique. Comment se fait-il que la sexualité de la femme soit si dérangeante ? Que la liberté  des femmes soit tellement inconcevable? Que les préjugés en la matière y compris dans nos sociétés aient soient encore tellement présents, même s’ils le sont de manière pernicieuse? Lorsque nous parlons de parité, je me dis que c'est un léger progrès, mais le fait qu'on soit obligés juste de le dire montre qu’on en est loin. Il y a encore du chemin à faire.

Comment êtes-vous  « tombée en écriture » ?

E.F. : Cela peut sembler banal, depuis toujours. Les mots, les cahiers, l'écriture.  J’ai d'abord écrit de la poésie. Et puis un recueil de nouvelles. Comme actrice,  je suis entrée dans la chair des mots, je me suis plongée dans leur profondeur.  Et puis, j'ai animé des ateliers d’écriture, comme pour mieux me rapprocher de mon axe. Et puis soudain, c'est comme si tout est devenu évident : j'ai chois de devenir correctrice (dans un célèbre média en ligne) pour me dégager du temps, et j'ai plongé. Ensuite, tout a coulé comme avec évidence.

Le fleuve de votre écriture ne semble pas prêt de se tarir : quel sera votre prochain  projet ?

E.F. : Je travaille à un livre sur Virginia Woolf, car le sujet du genre est au cœur de mes recherches. Qu'est ce qu'écrire quand on est une femme ? Une question qui est centrale dans l’œuvre de cette écrivaine majeure.

Vous l’avez compris, comme les libraires Cultura, nous avons été, nous aussi, emportés par le cours de « Le courage qu’il faut aux rivières » et par le souffle de son auteur. Les petits ruisseaux font les grandes rivières et les rivières, les océans. Nous souhaitons à Emmanuelle Favier de poursuivre sa traversée dans la haute mer de l’écriture. Et recommandons à nos lecteurs de s'y plonger sans hésitation.

>Emmanuelle Favier, Le courage qu’il faut aux rivières, Albin Michel, 217 p.
>Plus d'informations sur le site Cultura

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