La Nausée

Extrait de La Nausée de Jean-Paul Sartre

"Je murmure : c’est une banquette, un peu comme un exorcisme. Mais le mot reste sur mes lèvres : il refuse d’aller se poser sur la chose. Elle reste ce qu’elle est, avec sa peluche rouge, milliers de petites pattes rouges, en l’air, toutes raides, de petites pattes mortes. Cet énorme ventre tourné en l’air, sanglant, ballonné – boursouflé avec toutes ses pattes mortes, ventre qui flotte dans cette boîte, dans ce ciel gris, ce n’est pas une banquette. Ça pourrait tout aussi bien être un âne mort, par exemple, ballonné par l’eau et qui flotte à la dérive, le ventre en l’air dans un grand fleuve gris, un fleuve d’inondation ; et moi je serais assis sur le ventre de l’âne et mes pieds tremperaient dans l’eau claire. Les choses se sont délivrées de leurs noms. Elles sont là, grotesques, têtes, géantes et ça paraît imbécile de les appeler des banquettes ou de dire quoi que ce soit sur elles : je suis au milieu des Choses, les innommables."

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