Décaméron

Extrait de Décaméron de Jean Boccace

 

Or le prince n'oubliait pas Restituta et l'aimable impression qu'il avait eue d'elle à première vue. Il se sentait mieux cette nuit, et, bien qu'on fût presque à l’aube, il résolut de passer quelques instants auprès de la jeune femme. Suivi d'un serviteur, il va discrètement à Cuba. Il pénètre dans la maison, se fait ouvrir sans bruit la porte derrière laquelle il sait que repose sa prisonnière, et, torche en main, entre dans la chambre. Il jette un regard sur le lit où dorment, enlacés et nus, les amoureux. On juge de sa colère soudaine. Sa fureur monta à un tel paroxysme qu'il fut sur le point de frapper les jeunes gens du poignard qu'il portait à la ceinture. Mais n'est-ce point lâcheté vile pour quiconque, à plus forte raison pour un roi, d'égorger deux enfants nus dans leur sommeil ? Frédéric se retint, et préféra les brûler sous les yeux de la foule. Il se tourne vers le seul compagnon qu'il a auprès de lui :

- Que te semble de cette femme coupable, sur qui j'avais fondé mon espoir ?

Le serviteur connaissait-il ce galant, assez effronté pour venir jusque dans la maison du prince, l'abreuver d'injure et de honte ? À cette question, le serviteur répondit qu'il n'avait point souvenir de l'avoir jamais vu. Le roi, furieux, sort de la chambre et donne ses ordres : se saisir des amants, les enchaîner, nus comme ils sont, les conduire sur la place de Palerme, à la pointe du jour, les ligoter dos à dos à un pieu, les maintenir dans cette posture jusqu'à l'heure de tierce, pour permettre à chacun de les voir, enfin allumer leur bûcher, selon la juste punition de leur crime.

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