Main basse sur le sixième continent

MAIN BASSE SUR LE SIXIÈME CONTINENT

Le soleil est jaune, très chaud et placé haut dans le ciel.

La peau blanche de Lola vire soudainement au rouge, sous la puissance de ses traits.

Plus loin, après quelques heures de navigation, nous croisons un être bizarre qui vole non loin de nous ; il est d’aspect, mi-mouette mi-chien.

Sa gueule ressemble à celle d’un chien jaune ; elle est poilue mais presque aussi longue qu’un bec d’oiseau.

Son corps est couvert de plumes sur son dos et de poils sur son ventre.

C’est un être mutant ; il a pris la forme vivante d’une sculpture antique dont le rôle était d’accompagner les morts dans le royaume d’en bas, où d’autres fonctions sont toutes liées à la mort et il semble être divin comme l’était Amout l’Égyptienne, créature composite, mangeuse d’âmes, à tête de crocodile, torse de lion et pattes d’hippopotame ; uniquement lorsqu’elles étaient mauvaises, s’il vous plaît, pas au goût, bien sûr mais lorsqu’elles occupaient le corps d’un homme méchant ou pervers.

J’ai déjà entendu parler de ces aberrations, disons plutôt ces mutations génétiques, de ces monstres qui prennent vie dans le sixième continent ; parfois ils cherchent à s’en échapper, mais très peu y arrivent.

J’ai le temps d’apercevoir, au loin et pour la première fois, Papa Legba, en personne, qui est assis sur un tabouret. Il semble flotter au-dessus de l’eau.

Il boit un coup, solitaire et lumineux, dans des couleurs rouge et jaune, comme un coucher de soleil ; peut-être est-il simplement désireux d’annoncer l’arrivée de la nuit ?

Il a, aujourd’hui, une vingtaine de mètres de haut, probablement pour se mettre en harmonie avec la masse imposante du Poséidon et ne pas se sentir trop petit.

Je le montre à Lola qui, en l’apercevant picoler, rigole. L’eau autour de notre embarcation est d’aspect gélatineux et sombre ; elle contient un agglomérat de sacs en plastique et de pages de livres arrachées, choisies par le Grand Hasard, paraît-il, pour la qualité de leurs mots, la beauté ou la force de leurs images, l’esthétique de leur mise en page.

J’attrape une page, sa matière est ferme mais gluante ; elle présente, d’après le style de la page et le caractère des lettres, une pub pour une bouteille de vodka de luxe des années 2000.

Je la montre à Lola. Elle rit de plus belle avec sa bouche ouverte qui laisse apparaître des dents très blanches, une langue rose et humide qui est agrémentée d’un piercing bleu nuit. Elle affirme :

« — Sacré Papa ! Quel alcoolo !

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