Une affaire conjugale

Extrait de Une affaire conjugale de Eliette Abécassis

Il n'y a pas de vol entre époux.
La serrure toute simple, ancienne, ne devait pas poser
de problème. Elle avait été lubrifiée, sans doute pour
pouvoir être fermée à clef facilement. Avec un rayon de
roue, pris sur un vieux vélo, je fis rebondir le crochet, en
appl i quant une pressi on régul i ère sur l es goupi l l es.
Je me concentrais sur le geste et non sur l'ouverture.
Mes mains étaient correctement positionnées : certaines
articulations immobiles, d'autres en mouvement. Pen-
dant que le majeur et l'annulaire fournissaient un point
d'appui, l'index manipulait le rayon. Il fallait visualiser la
serrure pour en venir à bout. À force de tâtonnements,
je commençais à m'en faire une image précise. Je remar-
quai qu'une seule goupille bloquait l'ouverture des deux
plaques. Grâce au crochet, je forçai sur la serrure en
poussant sur la plaque du bas.
Tout en mai nt enant l a pressi on, j e consul t ai ma
montre : il ne devait pas revenir avant deux heures.
Même s'il ne m'avait jamais fait la surprise de rentrer
pl us tôt, j e redoutai s une arri vée i ntempesti ve. Les
orei l l es dressées comme un chi en pour entendre l a
porte d'entrée s'ouvrir, j'étais prête à bondir à la minute
même où il surgirait. La serrure semblait de plus en plus
réceptive. Je la sentis prête, cette fois, à céder. Je tentais
de rester cal me. Encore un tout peti t effort. Enfi n,
j'entendis le déclic. La porte s'ouvrit.
Le bureau était dans un désordre indescriptible. Il y
régnai t une odeur de cendre f roi de, d' al cool , de
haschisch, et un air de fin du monde. Un bric-à-brac
encombrait la pièce : ordinateurs de plusieurs généra-
tions, scanner, imprimante, chaussettes, caleçons, livres,
photos, séries de câbles et de fils, vieux emballages. Par-
tout, des cadavres de bouteilles de bière, des mégots de
ci garet t es. Je consul t ai à nouveau ma mont re : di x
minutes avaient passé. Avec mon Iphone, je pris une
photographie de l'ensemble de la pièce, puis d'une série
de détails. J'avais préparé un sac en plastique pour col-
lecter les pièces à conviction. À l'aide d'une spatule, j'y
fis tomber les miettes de haschisch qui parsemaient son
bureau. Puis je m'installai sur son siège, devant l'ordina-
teur. L'écran affichait la page d'accueil de son profil sur
Facebook. Je me mis au travail. Tandis que je cliquais
sur la fenêtre des messages reçus, je branchai un disque
dur externe pour faire une copie de ses fichiers. L'ordi-
nateur i ndi qua que l ' opérati on prendrai t une heure
quarante-sept minutes. Je sentis mes pupilles se dilater
et de nouveau la sueur sur mes paumes : j'avais à peine
le temps. Je me hâtai. J'ouvris ses tiroirs les uns après les
autres, photographiai les papiers administratifs, les rele-
vés bancaires, les feuilles de salaire et les factures. Puis je
revins devant l'écran de l'ordinateur pour consulter ses
messages.
C'est à cet instant, je crois, que ma vie bascula.

& aussi