ROISSY

Roissy

Sous la voûte du terminal 2E, je la perçois chaque jour. À côté de moi, un passager ouvre son PC, il doit être en avance, il ne regarde jamais le panneau d’affichage où s’inscrivent les numéros des vols. Flux de femmes voilées. Famille russe en errance. Six Japonaises, cheveux teintés roux, sortent d’un magasin Health & Beauty, bardées de sacs Sephora, Gucci, Yves Saint Laurent.

« Assurez-vous de ne pas oublier vos bagages, make sure that you have all your luggage with you. »

Peu d’enfants. Quasiment aucun groupe. L’atmosphère est au calme en ce matin de semaine. Un Noir, très élégant, pèse et repèse son énorme valise. Il n’en revient pas du poids qui s’affiche. Affalés sur des chaises, des Indiens somnolent, pieds nus en appui sur leurs bagages. Des hommes d’affaires discutent. La plupart feront l’aller-retour dans la journée. Escaliers roulants à ma droite. J’hésite. Pour rien au monde, je ne veux rater l’arrivée des passagers de l’AF 445 en provenance de Rio. Il vient d’atterrir, j’ai encore quelques minutes. Face à la sortie 8, un groupe d’hôtesses China Southern passe en riant aux éclats. Après, c’est le vide, comme si cette partie du terminal avait été évacuée. Le dôme du toit, immense, vient s’échouer quelques dizaines de mètres plus loin. Coque renversée sous laquelle je marche.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent, je m’y engouffre. Capacité maximum : 26 personnes, 2 000 kg. Derrière les vitres qui donnent sur un ciel gris, un bus Sheraton traverse l’autopont qui surplombe les terminaux. Il semble voler. J’appuie sur le bouton 0 des arrivées, me laisse glisser, visage collé à la vitre. L’autopont disparaît dans la descente. À l’étage inférieur, les bretelles d’accès deviennent le toit sous lequel cars de tourisme et vans privés se garent. Trois fois, je remonte, trois fois, je redescends. Les portes s’ouvrent à nouveau. Un vigile entre.

« Vous montez ? »

Lui, je ne l’ai jamais vu. Je file sans répondre.

Au bar de l’Espressamente, un Américain gueule dans son portable qu’il n’a aucune intention de revenir et qu’il n’est certainement pas prêt à… Sa voix se perd. Il a les larmes aux yeux. Je vire à gauche vers les seize portes vitrées de la plateforme des arrivées du 2E. Toutes sont recouvertes d’un film opaque. Au-dessus, six téléviseurs retransmettent les données de chaque vol. Au centre, un écran plasma géant branché vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur la chaîne LCI : inondation dans un bidonville d’Asie, deux hommes, l’air hagard, aident une famille à monter sur une barque, onze policiers égyptiens tués dans un attentat au Sinaï, un cuisinier soupçonné d’avoir mangé un chien.

Hier, à la même heure, c’était la victoire surprise d’un tennisman dont je n’ai pu lire le nom : une femme a détourné mon attention. Les portes ont coulissé, elle s’est mise à courir vers un jeune garçon. Ils se sont pris dans les bras. Longtemps… sans jamais s’embrasser, ce qui m’a fait dire à Vlad que c’était peut-être son fils. Vlad a secoué la tête. Il ne comprend pas que je m’intéresse à ces choses.Elles ne m’appartiennent pas. Mais alors rien ne nous appartient.Une fillette épuisée s’est réveillée en pleurant dans les bras de sa mère. Un couple brésilien l’a prise en photo. Peut-être à cause de sa robe à smocks (ces robes, me suis-je dit, ne doivent pas exister au Brésil). Le couple a fini par s’éloigner, les derniers passagers du vol à leur suite.

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Rédaction Viabooks

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