Les livres ont-ils dit leur dernier mot?

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par Olivia Phélip

Comme chaque année le Salon du Livre de Paris est la grand-messe du milieu de l’édition et le rendez-vous des amateurs de lecture. Pour ce cru 2014, il y a eu sacrément « du vent dans les branches de Sassafras » du monde littéraire. En effet, jamais la grande famille des livres n’a autant ressenti la houle de ses mutations. Et, jamais peut-être celle-ci ne s’est trouvée -depuis Gutenberg- face à autant de nouvelles explorations.

Qu'est-ce qu'un livre aujourd'hui ?

Alors la vraie question, plutôt que de rejouer la querelle des anciens et des modernes, ne serait-elle pas de se demander ce qu’est « un livre » aujourd’hui ? Où commence et où s’arrête l’acte littéraire ? Le lecteur est-il le nouveau vecteur d’un plaisir désormais partagé ? Comment les auteurs vont-ils accompagner la déconstruction de leur espace familier ? Autant de questions qui agitent la planète des livres.

Nouvelles écritures

Au commencement existe toujours l’inspiration, le texte, l’écriture. Une écriture comme un accouchement en une ou plusieurs étapes, acte solitaire ou partagé entre plusieurs auteurs. Cette « écriture », ce sont des mots mais aussi parfois des images (initialement des enluminures et des illustrations), et demain ce seront peut-être aussi des vidéos, de la musique, des sensations, des transformations, du mouvement interactif… un acte total, global…On parle alors « d’écriture enrichie », comme on parlait au début du web d’  « hypertexte », pour désigner la manière dont les mots pouvaient être reliés à d’autres contenus. Ecriture enrichie ou pour certains appauvrie, car noyée dans d’autres substances que le texte lui-même, appauvrie de ne  plus exister « en soi et par soi seul ».

Lectures multiples…

A côté de cette écriture en mouvement, s’installe un livre désincarné, qui dénie désormais sa  fonction d’objet pour ne plus devenir qu’une fenêtre immatérielle. Ouverte sur une forme dont les contours sont multiples, dirions-nous même infinis. Infinis, comme absence de frontière. Infinis, comme deuil du « point final » comme acte physique d’une fermeture du texte. Bienvenue dans le monde du livre numérique ou de l’ebook. 

Le texte sous toutes ses formes

Le livre sort de ses murs et ses « avatars » envahissent désormais tablettes et liseuses. Particulièrement en vue, les lectures publiques ont le vent en poupe. Un texte se savoure même à l’oreille. Festin qui se danse joyeusement au célèbre Bal à la Page annuel organisé par Les Livreurs ou au festival Textes&Voix sous la houlette de l’association éponyme. Entendre un texte dit sur scène ou via un livre audio, c’est peut-être découvrir une autre magie du livre, une intimité avec les sons et la musique de ses mots ? En tous cas une nouvelle sensation, un nouveau mode « d’appropriation » qui n’est pas si barbare que cela, si l’on songe qu’avant le temps de l’imprimerie, les récits et les contes se « disaient». car rares étaient ceux qui savaient lire. En 2014, les livres nous parlent ?Peut-être que ces livres « sonores » vont susciter de nouvelles formes d’écriture ? Et que les auteurs qui utiliseront leurs mots d’une manière particulièrement musicale ou qui construiront leur récit en fonction de leur durée de restitution auront les faveurs de ce nouveau public?

Auteurs en ébullition

C’est que tous ces nombreuses « techniques de restitution » du livre en révèlent aussi les nouveaux horizons, bousculant ainsi le sort de l’écrivain.Où sont-ils désormais ces forçats, non plus de la plume, mais du Word ? Poussés par les nouvelles contraintes de communication les voici contraints de sortir de leur isolement, de se montrer à des dédicaces, des salons en tous genres, des débats, mais aussi à lancer sur les réseaux sociaux, voire même à animer leur propre site internet. Katherine Pancol et Marc Lévy sont par exemple les rois de la stratégie de «  e-réputation », nouvelle forme de la communication moderne. A côté de ces écrivains confirmés qui doivent s'adapter à de nouvelles "scènes", apparaît aussi une génération d'auteurs-amateurs, qui utilise le web et ses déclinaisons pour exister sur la planète livres.De nouveaux talents vont-ils émerger de cette grande révolution digitale et créative ? Un certain nombre de sites ont décidé de s’adresser à ces auteurs en herbe qui pour certains rêvent de conquérir un large public et pour d’autres souhaitent simplement pouvoir partager leur passion des mots et échanger avec leurs alter ego. Citons monbestseller.com, qui fédère une communauté d’auteurs vivace, Edilivre qui propose de publier gratuitement aux formats papier et numérique ou Librinova, petit dernier qui propose d’accompagner les auteurs dans leur désir d'auto-édition numérique, qui leur offre une vitrine de diffusion en temps réel via 80 espaces de vente. Ou encore Les Nouveaux Auteurs, qui ont en constituant un comité de lecture ouvert à des lecteurs de tous horizons ont jeté un grand pavé dans la mare de la sélection d'auteurs. 

Edition et diffusion, la grande illusion?

C'est que la planète des éditeurs et des diffuseurs est aussi bousculée par ce grand remue-ménage. Amazon le géant, non content d'avoir bousculé la diffusion des livres se lance lui aussi dans le vaste marché de l’auto-édition. A côté, des sites de publication de contenus variés se développent à l'instar de Youscribe, qui est devenu la première vitrine de documents de toutes sortes, parmi lesquels queques romans.Pendant ce temps les éditeurs traditionnels se lancent avec plus ou moins d'entrain dans le marché de l'e-book. Toutefois,l'e-book représente pour eux un format technique complémentaire d'un livre papier dont la chaîne de production n'a pas bougé. Ce système1.0 pèse encore dans un milieu célèbre pour son opacité et ses chapelles fermées. On est loin de l'esprit 2.0, avec ses partages et ses communications en étoile... Pour autant, cette grande vague de l'interactif ne doit pas bercer d'illusions ceux qui croient devenir les Proust de demain révélés par un forum en ligne portés par un comité de lecteurs amateurs. La littérature a toujours connu des surprises et l'émergence de ces révélations spontanées que personne n'attend jamais. Ce n'est pas la technique qui changera quoi que ce soit à cette dure loi. Elle permet juste aux auteurs de bénéficier d'une nouvelle scène d'expression et laisse sa place aux amateurs qui étaient jusqu'alors exclus du jeu.

Que va devenir l'écriture à l'ère du 2.0 ?

Mais alors, que va devenir l'écriture ? Ce nouveau mode de diffusion annonce-t-il la fin des livres traditionnels? Jusqu’au Nouveau Roman, on peut dire qu’écrire un livre consistait à construire un récit avec un début, un milieu, et une fin. Les supports numériques ouvrent la voie à une nouvelle manière de penser, de lire, et donc d’une certain façon d’écrire. Est ce qu’ils annoncent pour autant l’explosion atomique du récit? Va-t-on voir émerger une écriture “interactive”?  Les expériences en ce sens ont été décevantes.  Mais de même que le Nouveau Roman a montré qu’on pouvait déconstruire la trame du récit et faire avancer le roman, la fiction 2.0 va peut-être transformer la construction du récit et inventer une nouvelle forme romanesque ? Pourra-t-on alors parler de post-écriture, comme on a parlé de post-modernisme ?Nul ne sait dans quel sens ira ce nouveau chapire qui s’ouvre dans l’histoire de la littérature, mais une chose est sûre, rien ne remplacera la rareté du talent, la puissance d’évocation d’un langage. 

Un mouvement inéluctable

Quel que soit les spéculations sur l'avenir des livres, une chose est sûre : 2014 marque un tournant. Comme l'explique la bibliothèque numérique Youboox ( qui propose un catalogue de 30 000 titres à lire en streaming), sur la base d'une enquête de GFK, depuis 2011, le chiffre d'affaires des ebooks en France est passé de 12 millions d'euros à 44 M€, soit une progression de 110% entre 2012 et 2013. Cette évolution est inversement proportionnelle à celle du livre classique qui chute sur la même période de 2,7% en passant de 4,2 milliards à 3,9 Mrd€. Parallèlement, en 2014, 18% des Français possèdent une tablette numérique, soit presque une personne sur 5. Plus de 500 000 liseuses et 6,2 millions de tablettes en été vendues en 2013. Avec un total de plus de 30 millions de supports numériques (tablettes, Smartphones, liseuses) utilisés, le taux d'équipement maximal n'est pas encore atteint et un Français sur 4 envisage d'acheter prochainement une tablette. La révolution du numérique est bel et bien en marche. Nul, pas même les plus attachés au papier, ne pourra l'arrêter. Le livre ouvre un nouveau chapitre de son histoire...

Informations pratiques

Salon du Livre de Paris. Du 21 au 24 Mars 2014, Porte de Versailles. L'Argentine, ainsi que la ville de Shanghai seront les invités d'honneur. De nombreux ateliers et manifestations.Tout le programme sur le site du salon.

 

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