Les Écrits

une histoire de Vadkraam, chapitre sept

 

L'homme se réveilla en sursaut. Cela faisait plusieurs nuits qu'il avait des cauchemars. Il se demanda quelques instants s'il devait y voir un signe, le début d'une prémonition. Il finit par se persuader que cela n'avait rien de grave et que dramatiser les choses n'arrangerait rien. Il sortit donc de son lit et alla se raser avant de prendre son café, comme il le faisait tous les matins. Après avoir mis un peu d'ordre chez lui, il enfila sa tenue et partit au travail. Tandis qu'il traversait la ville, des gamins le suivirent pour jouer. Ils l'attaquèrent avec des épées en bois et des arcs imaginaires. Il batailla âprement avant de s'effondrer au milieu de la route. Il jouait toujours le jeu avec les gamins, afin d'éviter que ne leur prenne l'envie de vérifier si les vraies armes étaient plus efficaces. Il reprit son chemin sous l'œil amusé des passants. Tous le saluaient sur son passage. Il était beaucoup plus respecté depuis quelques mois, depuis qu'il avait ce nouveau travail. Il œuvrait pour le bien commun et les gens lui en étaient reconnaissants.

Il arriva enfin à une grande bâtisse en pierre et aux fenêtres multiples. Aujourd'hui serait une longue journée car il serait enfermé dans un bureau à remplir des documents par centaines. Mais quoi qu'on lui confie, il accomplissait sa tâche avec ardeur. Il fit un signe de tête à son collègue à l'entrée et monta directement au troisième étage.

En début d'après midi, alors qu'il se reposait un moment, un bruit assourdissant, comme une explosion, le tira de sa torpeur. Il se précipita à sa fenêtre et regarda ce qui se passait dehors. Trois étages plus bas, là où aurait dû se trouver la cour du bâtiment, il ne vit qu'un énorme nuage de poussière, d'où s'élevaient des cris et le fracas du métal qui s'entrechoque.

Il bondit hors de son bureau et descendit les escaliers quatre à quatre. Au rez de chaussée la panique était totale. Les hommes couraient dans tous les sens et aucun ne semblait faire quoi que ce soit d'utile. Notre homme traversa un dédale de couloirs puis déboucha sur la cour. Là, il comprit qu'il était arrivé après la bataille. Un pan de mur entier s'était effondré, des colonnes de pierre se dressaient de ci de là et trois corps gisaient au sol. A côté d'un des corps, un homme trapu était assis dos au mur, baignant dans une mare de sang. Il reconnut immédiatement son supérieur, Davies. Il se mit à genoux à ses côtés et vit qu'il était blessé à l'épaule. Notre homme voulut compresser la plaie, mais Davies l'en empêcha.

- Laisse, ça va aller.

- Que s'est-il passé ?

- Les deux jeunes qu'on a arrêté ce matin se sont tirés.

- Ce sont eux qui vous ont mis dans cet état ?

- Oui, on les avait sous estimé, surtout la gamine, elle possède des pouvoirs occultes. Écoute moi !

Davies lui saisit le bras pour fixer son attention.

- Tu vois ce trou dans le mur ? Ils sont partis par là. Retrouve leur trace et ramène les moi.

Il se pencha en avant et parla à voix basse, presque en murmurant.

- S'ils se débattent trop, je me contenterai de leur tête.

 

Sans trop réfléchir, l'homme sortit en trombe par l'ouverture béante dans le mur. Il courut un peu au hasard dans toute la ville, en commençant par les grandes avenues, puis les ruelles et enfin les impasses. Malgré tous ses efforts, il ne trouva nulle trace des fugitifs et au fur et à mesure que l'après midi s'écoulait, il s'aperçut qu'il ne pouvait espérer aucune aide de la population. Tous fermaient leur porte sur son passage et les rares personnes encore présentes dans la rue pressaient le pas en le voyant. Alors que le jour déclinait, l'homme alla faire son rapport à la caserne. Il avait pensé qu'il serait autorisé à rentrer se reposer après cette journée de travail peu ordinaire, mais son espoir fut déçu. Davies lui ordonna de prendre un cheval à l'écurie et de rejoindre trois autres soldats dans ce qui restait de la cour pour organiser les recherches. Il fut décidé qu'il partirait vers le nord, vers les autres villages de l'île. Deux autres partiraient vers l'ouest et l'est, et le dernier resterait sur la côte méridionale.

Notre homme partit donc à travers l'immense prairie qui séparait sa ville du nord de l'île. Après une heure de galop en ligne droite, durant laquelle il n'avait dépassé qu'un marchand ambulant, il s'arrêta devant un embranchement. Il était censé prendre à gauche, vers les villages du nord, mais son instinct lui disait que les fugitifs allaient se risquer sur le chemin de la forêt. Après tout, les étrangers ne connaissant pas le pouvoir de la forêt, ils ne la craindraient pas. Il tira donc la bride vers la droite et repartit au galop à travers les hautes herbes. A mesure qu'ils approchaient de la forêt, le cheval renâclait de plus en plus pour avancer. A environ cent mètres de la lisière des arbres, il céda à la panique et désarçonna son cavalier d'une ruade, avant de s'enfuir au triple galop à travers champ.

Cette mauvaise chute, accentuée par la fatigue, mit l'homme passablement de mauvaise humeur. Il décida de remettre ses recherches au lendemain et s'avança vers le bois pour trouver un endroit où dormir. Au milieu de la nuit, il entendit des bruits de pas s'approchant des arbres. Il se cacha, sans trop de difficultés dans l'obscurité, et observa deux personnes qui jetaient leurs sacs au sol et s'allongeaient dans l'herbe. Il crut voir un homme et une jeune femme mais sa vue n'étant pas excellente la nuit, il voulut s'en assurer. Il attendit donc que les deux jeunes gens se soient assoupis et il se dirigea vers leur bivouac.

Une fois parvenu à quelques pas d'eux, il eut la confirmation qu'il s'agissait bien d'un homme et d'une femme. La jeune femme était d'ailleurs très belle et, malgré l'obscurité, son visage semblait rayonner. L'homme se surprit à espérer que ces deux jeunes ne soient pas ceux qu'il cherchait, car il ne savait que trop bien ce qu'on ferait subir à cette jeune fille une fois en cellule. Mais son devoir passait avant ses sentiments, et il entreprit de fouiller les sacs à la recherche d'indices sur l'identité des deux jeunes. Il trouva là des vêtements, des gourdes à moitié vides, une casserole, un morceau de viande enroulé dans un linge, un canif servant surement à couper le pain... Rien de répréhensible en somme. Toutefois un détail retint son attention. Il sentit le contact dur et glacé du métal sous sa paume. Avec d'infinies précautions, il écarta le reste des affaires et tenta de retirer ce morceau de métal. Au moment où il empoignait ce qui semblait être la garde d'une épée, la lame cogna contre la casserole et la fit tinter.

A ce bruit, la jeune femme se réveilla en sursaut et fondit sur l'homme. Celui-ci se retrouva plaqué au sol et la jeune femme le tenant à la gorge, il commençait à manquer d'air. Il envoya son poing dans les côtes de la jeune femme avec toute la violence dont il était capable. Le souffle coupé, elle relâcha son étreinte. Notre homme en profita pour la repousser et rouler sur le côté avant de prendre la fuite. Il courut en zigzaguant entre les arbres. Il savait qu'il ne pourrait pas courir à cette vitesse très longtemps, mais il ne cherchait qu'à mettre le plus de distance possible entre lui et la jeune femme – qui s'était lancée à ses trousses – avant de trouver un coin sombre où se dissimuler. Il trébucha contre une racine et s'effondra dans un fossé. Ce fut une chance car la femme passa moins d'une minute plus tard devant lui sans le voir. Il resta là sans oser bouger un muscle jusqu'à ce qu'il l'entende rebrousser chemin. Il s'éloigna encore un peu de leur campement et se pelotonna sous un buisson pour dormir. Sa dernière pensée consciente fut pour Davies. La fille était, comme il l'avait dit, la plus dangereuse des deux. Le garçon, ce grand lâche, ne s'était même pas réveillé.

 

Lorsqu'il se tira de son sommeil le lendemain, les soleils avaient déjà dépassé leur zénith. Il reprit donc sa traque en toute hâte. Après avoir été constaté que les deux jeunes avaient levé le camp, il s'enfonça dans les bois en direction de Castelroi. Il connaissait bien le pouvoir de la forêt pour y avoir séjourné quelques fois lorsqu'il était un jeune brigand qui détroussait les voyageurs pour se payer de quoi survivre. C'était avant qu'il se rachète et travaille honnêtement pour la sécurité des habitants de la région. Dans cette forêt sommeillait un esprit, une malveillance, capable de sonder vos peurs et de vous infliger des hallucinations qui se muaient en véritable douleur physique. C'est pourquoi l'homme s'efforçait de faire le vide dans son esprit afin d'y effacer toute pensée et de ne ressentir que le moment présent. Mais ce faisant, il ne fut pas capable de repérer le chemin et il perdit de précieuses heures à revenir sur ses pas et repartir dans la bonne direction.

Il passa encore une nuit dans les bois avant de trouver des marques indiquant que plusieurs personnes étaient passées là. Des traces de pas dans la boue, des branches cassées, des fleurs piétinées et même des miettes de pain. L'homme se demanda si les fugitifs étaient extrêmement confiants ou désespérément stupides. En milieu de journée il entendit des voix. Il se précipita dans leur direction et s'arrêta net quand il reconnut l'endroit.

Il était parvenu au grand pont vers Castelroi et au poste de garde des frères satyres. Il avait eu quelques démêlés avec eux par le passé, c'est pourquoi il préféra rester en arrière et observer la scène. Ses deux fugitifs étaient là, et ils semblaient encore une fois en mauvaise posture. Bruggar avait sa tête des mauvais jours, et après quelques paroles échangées, il appela ses frères qui encerclèrent les deux jeunes. L'homme se demanda comment ils avaient pu survivre aussi longtemps dans cette région en étant aussi peu prudents, quand tout à coup, la jeune femme déclara d'une voix puissante qu'elle était une déesse, et une monstrueuse main de pierre sortit du sol pour s'abattre sur les satyres, qui avaient pris la fuite en hurlant. Notre homme resta là estomaqué tandis que les fugitifs immobilisaient Bruggar et déverrouillaient les immenses battants du portail, avant de s'engager sur le pont en direction de Castelroi. Notre homme mit quelques minutes à se secouer, puis il sortit de sa cachette et s'avança nonchalamment vers Bruggar, qui éclata de rire en le voyant arriver.

- Tu étais là aussi, ignoble petit pourceau. J'aurais dû me douter que tu étais lié à cette racaille.

- Détrompe toi, je les poursuis au contraire.

- Toi ? Mais que fais-tu dans cet uniforme ? Tu l'as volé pour un de tes plans foireux ?

- Rigole, mais moi au moins je ne me suis pas fait maitriser par des gosses. Bon, que peux-tu m'apprendre sur eux ?

- Débrouille toi.

- D'accord, alors débrouille toi pour sortir de là.

Le satyre grogna.

- Comme tu voudras. Je sais juste que la môme se fait appeler Melodora.

L'homme creusa presque vingt minutes pour libérer le satyre de sa prison de terre. Après s'être dégourdi les pattes, Bruggar revint vers l'homme et lui dit d'un ton catégorique :

- Je ne te porterais jamais dans mon cœur et on ne sera pas amis, mais ramène moi ces deux gosses et j'oublierais nos petites querelles du passé.

- Tu perds ton temps, Davies me paie déjà pour les lui livrer.

- Davies ? Ce ver de vase se contentera de les tuer d'un coup de lame ! Non, je veux qu'ils souffrent pour m'avoir humilié comme ils l'ont fait. Je te couvrirai d'or, mais je les veux vivants ! Je me chargerai moi même de les dépecer.

- Je te promets d'y penser, mais à mon avis ta réaction est démesurée. Ils ne sont pas dangereux, ils cherchent à tout prix à ne pas faire de victimes.

- Qui t'a dit que je les trouvais menaçants ? Ils ne me font pas peur, je ne suis pas impressionnable comme mes imbéciles de frères. D'ailleurs il faut que je les retrouve ceux-là...

- Bonne chance, moi je me charge de mettre la main sur nos fugitifs.

 

Notre homme emprunta donc à son tour le pont en direction de Castelroi. Les deux jeunes avaient pris un peu d'avance mais il était maintenant sur leurs talons. De l'autre côté, le garde Halbarad lui apprit qu'il avait conseillé aux jeunes de séjourner à l'auberge de sa femme. Notre homme le remercia et s'abstint de lui dire que ces deux personnes étaient des évadés recherchés morts ou vifs. Il était le seul à avoir été envoyé dans la région, il pouvait donc agir en toute impunité. De plus, demander de l'aide aux gardes de la ville se solderait par un branlebas de combat qui ne réussirait qu'à faire fuir les deux jeunes. C'est pourquoi notre homme opta pour la discrétion. Il traversa les quelques kilomètres qui le séparaient de Castelroi, longea le mur d'enceinte et pénétra dans la ville par l'entrée est. Cela lui fit perdre un peu de temps, mais il craignait de tomber nez à nez avec ses fugitifs en passant par la porte ouest. Il se rendit directement à l'auberge et loua une chambre. Il passa d'abord par une autre chambre pour y voler quelques vêtements puis, après s'être changé, il descendit dans la salle principale et commanda une pinte. Il se mêla aux conversations des clients afin de se fondre dans le décor avant l'arrivée plus que probable de ses deux fuyards.

Au fur et à mesure que les soleils déclinaient, les clients affluaient vers l'auberge de Lucy, si bien que la salle fut vite bondée. Notre homme dut jouer des coudes pour se faufiler jusqu'à un tabouret, au bout du bar, d'où il pouvait surveiller l'entrée principale. Notre homme n'eut pas à patienter bien longtemps. A peine sa première pinte terminée, les deux jeunes pénétrèrent dans l'auberge. Ils allèrent directement au comptoir trouver Lucy, qui s'occupait justement de le resservir. Ils étaient là, à quelques centimètres de lui, et ils ne le regardaient même pas. Il aurait pu en un instant enfoncer sa dague entre les côtes du garçon et profiter de la panique pour tenter de capturer la fille. Son statut de soldat lui permettrait de calmer la situation et de légitimer ses actes. Il aurait pu. Il aurait dû. Mais il n'avait encore jamais tué personne, et sur le moment il n'en n'eut pas la force. D'autant que selon lui, malgré tous leurs crimes, ces deux jeunes ne méritaient pas de mourir. C'est pourquoi il resta le nez dans sa choppe et ne bougea pas un muscle avant qu'ils se soient éloignés. Il resta là plusieurs minutes à réfléchir, à soupeser les différents aspects du problème, hésitant entre sentiments et sens du devoir.

Lorsqu'il se retourna, ils étaient attablés dans un coin au fond de la pièce, et un homme s'approchait d'eux en titubant. Il se leva de son tabouret, se dirigea vers cet homme, lui appuya avec fermeté sur l'épaule et le fit repartir vers les autres ivrognes présents. Après un instant de réflexion, il retourna chercher sa choppe sur le bar, en but une gorgée, puis il se mit à chanceler vers la table du fond. Il s'écroula lourdement dans la chaise laissée libre et partit dans un rire et des propos qui se voulaient avinés. Il lut dans les yeux de la jeune fille qu'il l'amusait et l'intriguait, mais pas qu'elle le reconnaissait, ce qui le convainquit de poursuivre son plan. Après quelques phrases échangées, notre homme se présenta.

- Tu peux m'appeler Hank beauté.

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