Les Écrits

Une captive amoureuse

 

Dans notre société de contrôle et de surveillance, l'opacité de Brigitte Brami, auteure de La Prison Ruinée, ne la rend que plus humaine. Portrait par Fabien Carlat.


   «Tu es la nouvelle Sagan», lui a dit une journaliste. Françoise Sagan était blonde, Brigitte Brami est brune, mais on retrouve effectivement des « faux airs » dans la diction et la gestuelle. Autre point commun? « Sagan, c'est sa vie qu'elle fiche en l'air et qui lui permet d'écrire ». Mais l'auteure de La Prison ruinée est plus habituée à être comparée à Jean Genet, l'écrivain dont, au minimum, elle « marche dans les pas ». Au détour d'une phrase, elle lâche vouloir « devenir Genet ». Elle découvre son œuvre à l'Université Paris III en 1995, dans des cours assurés par Marie Redonnet, « une vraie genétienne ». Le poète l'a profondément marquée. Brigitte Brami a ensuite entrepris une thèse sur Jean Genet à l'Université Paris IV, mais n'est pas allée jusqu'à la soutenance... « J'en étais arrivée à un point où cette thèse était un assassinat par rapport à Genet »... Elle se trouvait trop mielleuse envers l'écrivain adoré... Alors elle a essayé d'être « méchante », sans succès.

 

   Comme une « antithèse » magistrale, l'incarcération de Brigitte Brami lui a permis d'écrire un livre court et magnifique, La Prison ruinée (Indigène éditions). Une réflexion poétique sur son séjour de cinq mois à la maison d'arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis qui met l'accent sur la capacité des détenues à rêver, à fantasmer... Loin des clichés sur la prison, elle écrit que c'est aussi un lieu de désir et de solidarité. Elle renoue ainsi avec Jean Genet, qui a écrit en prison. Quand on lui demande si elle n'aurait pas délibérément agi dans le but d'être incarcérée comme son maître, elle répond franchement: « Je ne sais pas ».

 

  Pour autant, Brigitte Brami n'est ni masochiste ni dupe du système judiciaire et carcéral. Si elle veut « aimer la prison », ce n'est que pour mieux la « détruire ». Les discours traditionnels pour l'abolition des prisons donneraient trop de crédit à l'institution, selon elle. C'est aussi en réhabilitant de manière poétique les prisonnières, et notamment leur humour, leur tendresse entre elles... leur humanité, que l'on peut « ruiner » la prison, pour reprendre l'expression utilisée par Genet dans son Captif amoureux et qu'elle met en exergue de son propre livre.

Brigitte Brami a également d'autres recettes pour ruiner « la bouffonnerie » qu'est la justice. « Refuser de prendre un avocat, se défendre soi-même. » Les juges se retrouvent alors désemparés, mis à nu face à quelqu'un qui refuse les règles de leur jeu, explique-t-elle. Pour Brami, l'existence même du métier d'avocat est révélatrice de l'égoïsme de notre société: « Quelle société est égoïste au point que défendre les autres soit un métier? Il y a tellement peu d'empathie... On leur file une robe et ils sont chargés de cela... ». Sans pour autant nier les problèmes que connaît l'île, elle se réjouit qu'en Corse « on ne trouve pas de jurés » pour faire partie des cours de justice. Elle rêve que cette désertion se généralise pour bloquer le processus judiciaire. « Il n'y a pas de procès équitable en France », assène-t-elle. Après la détention, elle était tenue de se rendre régulièrement au Ministère de la Justice, pour un « suivi » judiciaire. Au premier rendez-vous, une juriste lui demande « Est-ce que vous avez vos photocopies? ». Elle retourne la question « Est-ce que vous avez lu mon dossier? ». Elle rit de sa réplique efficace et nous rions aussi. La fonctionnaire n'avait pas lu le dossier. Brigitte Brami ne se rendra pas aux rendez-vous suivants: « Si tout le monde désertait ces suivis, il n'y aurait pas assez de gendarmes pour aller nous chercher ».

 

   Mais qui est Brigitte Brami? Difficile de lui poser des questions personnelles. Dans ce café du cinquième arrondissement de Paris, devant un thé aromatisé, elle mène la conversation, la domine même. Pour se protéger contre les questions qu'elle ne voudrait pas entendre. Elle avoue « un refus névrotique » à parler d'elle-même. « Je n'y arrive pas », et même « ça me fait chier », lâche-t-elle. « C'est politique, je ne veux pas sombrer dans la petite histoire familiale, 'mon père ceci', 'ma mère cela', 'je viens d'une famille ouvrière', 'je viens d'une famille bourgeoise...' Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre?!... Cela me paraît inintéressant, très flic. Je ne conçois pas la biographie comme ça ». Elle ajoute: « Quand on me demande si j'ai des frères et sœurs, j'ai l'impression d'avoir six ans ». Selon elle, les réponses à ces questions, « n'expliqueront rien ». On risquerait de tomber dans « le roman familial freudien », et Brigitte Brami «déteste » Freud. « On te parle de tes origines, tout le temps... On te demande 'tu viens d'où?', moi quand je rencontre quelqu'un, j'aime mieux savoir où il va! », dit-elle en riant. « C'est pas plus important?»


   Il n'est guère plus facile de savoir où va Brigitte Brami... Une chose est sûre, ces derniers temps, elle prépare un nouveau livre, et va à de nombreuses manifestations féministes. Mais elle a l'impression de jouer avec « une allumette » en s'engageant de manière classique sur le terrain des revendications militantes. Alors quand on lui demande de quel bord elle est, elle préfère répondre: « Du bord de la poésie ».  

 

  Fabien Carlat.

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