Les Écrits

Quelques réflexions sur les articulations des OGM, des brevets, des réseaux sociétaux et des perceptions identitaires…

  Avec les OGM, les gènes de stérilité ou de fécondité conditionnelle, les additifs de luxe ou de fantaisie, mais aussi les brevets, notre regard et notre rapport à la nature changent profondément. Et déjà s’agissant de la nature proprement nourricière : la possibilité de cultiver et reproduire (et non plus seulement consommer) se lie peu à peu à un droit monnayable et il s’ensuit une profonde modification des archétypes sociaux et culturels. Modification du rapport au vivant. Modification des relations internationales (domination accrue eu égard aux pays démunis  –et démunis de biotechnologies et de brevets). Modification des écosystèmes et écrasement des populations sauvages au profit des espèces améliorées (plus fragiles cependant, et plus limitées dans leurs possibilités d’adaptation aux changements climatiques ou environnementaux). Modification des implantations végétales (manipulation des exigences spécifiques) et transfiguration des paysages. Et encore, bouleversement des rapports de classes et des modes productifs  -car ces cultures OGM et leurs traitements chimiques appellent et génèrent, et requièrent, de vastes entreprises agricoles disposant de gigantesques exploitations et usant de l’herbicide associé aux semences manipulées à cet effet. Sans omettre le réaménagement des solidarités et des liens au monde ou à la nature  -un monde pourtant commun, une nature originellement offerte[1]. Par suite, les bouleversements s’enchaînent : des fonds sociaux et des substrats familiaux autour desquels s’articulaient reconnaissances, apprentissages et relais transgénérationnels  -le prestige d’un savoir breveté banalise puis destitue celui des paysans agriculteurs (impuissants à soutenir encore une fonction référentielle). En conséquence, les soutènements structurels se fragilisent, les repères s’obscurcissent et la sagesse ancestrale est disqualifiée  –ouvrant la porte aux rejets des voies (et des voix) anciennes, en ce compris leurs messages culturels, éthiques ou symboliques. Ouvrant donc la porte aux pertes identitaires et à la violence y associée… En outre, les monopoles peuvent être des armes redoutables au service d’un colonialisme nouveau genre : insidieux, aux mains ‘propres’[2].

      Le génie génétique propose donc une notion nouvelle, celle de la brevetabilité du vivant : où la nature se chosifie, où la disponibilité comme la gratuité de la biomasse  (l’une et l’autre relatives, il est vrai) se rétractent pour laisser place au jeu de la concurrence ou de l’appropriation privée.  Dans la foulée, le corps se morcelle pour  s’insérer dans un processus économique  –devenant terra nova à explorer au regard d’une exploitation ultérieure. L’affaire Moore futt à ce titre édifiante : suite à la découverte d’anticorps précieux, ses cellules spléniques  furent cultivées, brevetées et ‘cédées’ à un laboratoire qui en élabora un médicament prometteur. Moore, qui réclama sa part du gâteau,  fut proprement débouté : son corps, comme tout autre, ne pouvait être, en tout ou en parties, en vrac ou en matériaux épurés, source de profit individuel  -le commerce intime privé  demeurant interdit lors même que la commercialisation par tiers (firmes pharmaceutiques) s’en trouve légitimée par l’irruption  d’une technique qui dé-personnalise, dé-privatise et dé-humaniser la matière concernée… Pourtant, le patrimoine bio-génétique est fonds universel : hors prix, sans prix. Infiniment privé, absolument public : individuel, collectif et spéciel. Propriété d’intimité de l’individu,  fonds de l’espèce et  réserve des générations futures. A ce titre, les gènes  appartiennent à tous quand ils explicitent la synthèse d’une protéine (à revers, le développement d’une pathologie)  -ils n’appartiennent à personne quand ils  sont objets exploitables. La problématique du brevetage rejoint conséquemment celle de la chosification progressive du corps humain. Pour rappel, extrait de l’animalité, repris à la Transcendance, arraché à l’esclavagisme, ce corps s’inscrivit progressivement dans l’inviolabilité  -soustrait (en principe) à la possession tierce.  Droit, savoir et éthique interdirent de concert l’instrumentalisation d’un sujet unique, unicitaire et irremplaçable  -par statut, principe et nature[3]. Par suite, l’inviolabilité (avec ses exceptions principielles ou circonstancielles, ses transgressions étatiques ou privées et ses dérogations ontologiques ou  méthodologiques[4]) forma le cercle de l’humain. En la ‘matière’, différemment motivées et par des voies distinctes ou autrement référées, religions et philosophies tentèrent de fonder un échappement à la choséité. Certes, buts, moyens et  effets différèrent : pour les uns, il s’agit en priorité de remettre l’homme à Dieu ; pour les autres de le rendre à lui-même. Et la religion fit appel à la ‘part divine’  -à soustraire donc au partage marchand. Et la philosophie  se rapporta à la Raison, à la liberté ou à la dignité  –restituant à la seule personne son propre substrat. Enfin, le droit inscrivit dans le texte  l’inaliénabilité d’un corps protégé en sa totalité cohérente: exclu du commerce, interdit à la vente et indissociable de la  personne  qu’il  présente ou représente, signifie et met en chair. Rapporté à ces jalons, du tout à ses constituants, de la personnalité émergente aux métabolismes la soutenant, de la forme visible aux séquences géniques invisibles, le fonds humain échappe, doit échapper, aux diverses appropriations tierces. Et si d’aucuns rétorquent par l’insertion initiale des plantes, animaux et  forces humaines dans le circuit marchand, ils confondent en cela  les genres. Mais aussi la substance et l’accident, le fait ontologique et la déclinaison pratique. Et encore, les spécimens (tel ou tel animal) et les espèces (l’ensemble patrimonial des individus). En ces retraits de l’interdit comme en ces confusions conceptuelles ou catégorielles, l’identité humaine se joue. En effet, dans la pratique comme dans l’ordre symbolique, dans le concept définitoire comme dans l’imaginaire,  le brevetage du vivant contribue à insignifier (avant de les abolir) les frontières distinguant l’inerte du végétal, le végétal de l’animal et l’homme des autres animaux. Cette rupture  (culturelle) qui extrait l’homme du règne animal, du substrat mondain et du devenir phénoménal conduit paradoxalement à une confusion. Ce matérialisme dépourvu d’adjonction humaniste aboutit à un dualisme négateur de la signifiance corporelle. Par ailleurs, dans un avenir indéfini, quel  serait l’impact de tels procédés sur  la conscience y confrontée : revendiquée comme invention ou propriété ? Qu’adviendrait-il de la liberté, du libre arbitre, du choix ? Ou encore, de la diversité et de l’évolution  -dans un monde décliné en procédés, propriétés et fantaisies délirantes ? Qu’adviendrait-il des solidarités, des Droits de l’Homme et des hommes,  face à une appropriation monopoliste des gènes, cellules, tissus, organes ou organismes ? Avec la possibilité subséquente d’un quasi-monopole des soins, mais aussi de la création d’un environnement spécifique, d’une position économique et décisionnelle dominante, d’une centralisation des savoirs  et d’une condensation des pouvoirs  –de vie et de mort.

[1] Les monopoles obtenus conduisent à la constitution de groupes policés assignés à la surveillance du respect des interdits de cession ou de reproduction libre des semences (destructions des cultures ‘illégales’, amendes, appels à la délation).

[2] Au début de l’année 2000, particuliers et firmes des nations industrialisées du Nord détenaient 70% des brevets d’Asie et 95% des brevets d’Afrique, cfr.  La biodiversité assimilée à une marchandise, J.P. Maréchal, Le Monde diplomatique mars-avril 2000.

[3]Si l’instrumentalisation est opérable (de fait,  par la force), l’appropriation plénière est au propre irréalisable - tel est l’homme (son humanité) : pour le soumettre en totalité force est de l’anéantir.

[4] Ontologiques : l’étranger au clan primitif n’est pas un homme, l’esclave est un sous-homme… //  Méthodologiques : «Force-les à entrer»…au Royaume des Cieux ou dans la sphère terrestre des droits, devoirs, services ou sacrifices communs – par la torture et / ou la mort

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