Les Écrits

Identité, nationalité et intégrisme …

Pourquoi l’individu prétend-il s’affirmer en «différences» ? Pour quelles raisons la personne s'acharne-t-elle à se trouver en «reconnaissance» ? Ou encore, pourquoi l’être humain éprouve-t-il, dans l’enthousiasme, l’angoisse ou la hargne, le besoin de se poser comme différent de l’autre (que cependant il interpelle, sollicite ou rejette) ?

Sans doute, parce qu’il l’est…

Dans la nécessité individuelle d’une identité personnale – d’un centre intime et définitoire (source, moteur et récipiendaire du relationnel). Dans la nécessité originelle et vitale d’une réalité relationnelle – d’une soutenance en intersubjectivité.

Parce qu’il l’est donc, dans une solitude qui l’écrase ou le déshumanise – et le tuerait aux premiers matins de son existence !

Qu’il l’est sans l’être… Différent et semblable : semblable d’une espèce unique, d’un monde partagé et de spécificités humaines. Des spécificités qui sont propres à tenir lieu d’universaux : sensibilité physique au plaisir et à la douleur, sensibilité émotionnelle à la joie et à la souffrance. Mais aussi, faculté relationnelle et aptitude empathique : avec un souci de l’autre. Sans omettre une propension torrentueuse aux dé-engagements (hors contraintes), une volonté colossale de faire sens, un besoin de reconnaissance et une obstination à faire trace (dans la pierre, la chair ou l’histoire …).

A cet éclairage, les hommes sont semblables de leurs différences – par elles, par cette soutenance d’identité… Différents comme le sont les peuples et les groupes culturels, les hommes et les femmes, les frères et les sœurs - sans appréciation de valeur : ni inférieurs ni supérieurs, ni plus ou moins fous ni plus ou moins sages…

Conséquemment, les individus tentent d’imposer leurs différences (et de signifier à l’autre les siennes propres) parce qu’ils sont tels et le deviennent – sans cesse, en une construction personnelle inscrite dans l’interactivité et le relationnel.

De fait, en un double nœud, dans l’entre-deux d’une soutenance bipolaire, chaque sujet est sujet d’affirmations et d’intégrations (d’extractions et d’appartenances). Dès lors, quand cette intégration au cœur du substrat commun est impossible, quand cette différenciation est contredite, restent la solitude et la perte de soi : restent l’angoisse (de vanité) et la violence (de vacuité).

Au propre, l’homme a construit son humanité hors du magma primitif où se confondaient les êtres et les genres. A ce titre, spécificités et différentiations sont fondamentales : elles permettent l’individualité autorisant subséquemment le lien à autrui et l’insertion en une lignée tant anthropique que culturelle ou familiale. Semblable insertion protège tous et chacun des errances violentes : offrant la possibilité d’un projet d’avenir (commun) sur une terre nécessairement partagée et en un voyage évolutif unique. En ce sens, parmi d’autres données il est vrai, violences, terrorismes et guerres si peu légitimes témoignent de croyances sans ancrages : celles d’esseulés dépossédés d’un espoir partagé, d’une utopie commune, d’un projet collectif et d’un agir communautaire - croyances déracinées d’«exclus» angoissés allumant les bûchers de Dieu ou les brasiers des rues.

Dans «Osons» (l’imaginaire innovant ou l’utopie provocatrice), E. Plenel se confie au journal Le Soir et rêve de multiplicité et de diversité heureuses : «Si j’osais vraiment, j’imposerais la carte d’identités multiples…»1. Clin d’œil intelligent à l’encontre des risques réels (éclatement national ici, repli identitaire là). Cependant, pour s’ouvrir à d’autres champs sans risque d’éparpillements, une identité doit être bien assurée : investie en ipséité, reconnue par autrui et sécurisée en ses différents cercles concentriques. Où donc l’individu se vit et se trouve en membre d’une parentèle, maillon social, citoyen national et spécimen humain : intégré donc, en des réseaux multiples qui le particularisent et l’unissent aux membres de la communauté.

Face à cela, nous l’avons développé ailleurs2, se profilent pourtant l’identité monolithique, le nationalisme ressuscité et l’intégrisme tonitruant. Se croisent des consommateurs masquant leur insatisfaction existentielle d’acquisitions sérielles impuissantes à combler durablement le vide qui les dévore. Se heurtent des monades dépourvues de liances et errant de ruptures en affirmations violentes. S’affrontent des gangs trompant leur désespoir dans la mise en pièces des objets et symboles sociétaux qui se refusent à eux. Se dressent des organisations terroristes enivrées de leurs extrémismes hallucinés et se mènent des guerres justifiées de leurs légitimités autoproclamées. De fait, les individus sont malades des négations qui les dévorent : malades des trous identitaires, des mouvances relationnelles et des fugacités référentielles. A l’analyse, il semble alors qu’une identité proprement ouverte, fondamentalement plurielle, tende à la dispersion a-identitaire (perte du soi référentiel) : amnésie, schizophrénie ou fragmentations porteuses d’insécurités et vectrices de violences réactives. A l’opposite, une société «unifiée» en ses projets de collaboration solidaire, de mieux-être collectif et d’humanisme élargi est une société de personnes en accroche identitaire : à leur histoire généalogique et culturelle, à leurs projets et au devenir du groupe qui les accueille et que cependant elles forment.

Il en est déjà pour faire du patriotisme une quasi obligation – devoir dû à la patrie. C’est oublier cependant la réalité d’une «patrie» : ni lieu d’échanges marchands, ni système de sanctions, ni vade-mecum des devoirs. Mais bien un champ mi réel mi symbolique où se lient et interfèrent des individus. Un champ de valeurs et de projets, de constructions et d’avenir : offrant un lieu essentiel où s’ancre les existences et pour lequel tous combattraient.

Ainsi, comme une famille débordant son socle génétique, une nation recouvre un fonds commun de valeurs – s’ouvrant à l’adoption. Comme une famille tendue vers des buts communs et accueillant des desseins individuels, une nation trouve sa cohérence dans son horizon et ses combats. Comme une famille qui doit être laissée à l’intimité et à la discrétion du lieu privé, une nation doit se garder d’une ingression perturbatrice au cœur d’une lignée. Au vrai, une nation doit éviter l’institution d’un référent biologique ouvrant aux partitions sectaires – propre à faire éclater l’unité qu’il convenait de préserver….

A l’observation, comme l’identité familiale, l’identité nationale se construit d’un passé commun mis en mémoire et de souffrances et de joies mises en partages. Mais aussi, d’actions en cours, de constructions en œuvre, de projets généraux et d’entraides soutenues dans l’effort et contre l’adversité. A cette aune, comme en une famille, l’isolement social, la stigmatisation, le silence ou la peur attisée alimentent les réclusions, exclusions, incompréhensions et violences. (…) car l’identité se sent/ressent et construit – en ses attaches et projets partagés. Mais aussi, en ses actions communes - où l’acte impose ses propres nécessités, où le but focalise les regards lors même que la tâche produit une solidarité. Ainsi, je puis être, comme le dit E. Plenel, d’identités plurielles : à la condition de me percevoir en densité personnale (spécifiée de mes accroches, attaches et reliances). A la condition d’une reconnaissance par tiers et d’un investissement réel de différentes spécificités ou particularités. Sans cela, la pluralité est multiplicité sérielle : sans reliefs ni significations– où tout se perd en vanités et désespérances (propres à la déliance).

A cette mesure, proposons une identité sécure : où la différence est valorisée, où les différences sont respectées, où l’autre n’est pas renvoyé à l’une ou l’autre menace «potentielle»… Elaboration sociale et éthique où l’accueil d’autrui est vécu dans le souci (empathique) et l’espérance (des ses apports, d’un horizon élargi)… Elaboration personnale faite d’appartenances et de reliances… Elaboration familiale où le gène n’est pas tout…

Ni forclusion ni barricades, mais un lien spécifiant, arraisonnant et sécurisant (permettant, sans angoisse de dilution ou de déréliction, une ouverture à l’autre – selon et pour une coexistence enrichissante). Telle appartenance est, au sens large, situation, histoire, liens et liances, accueil et inscription. Il s’agit alors d’une appartenance au monde et à l’humanité : appartenance à une continuité et à une cohérence - à une histoire en construction, à un sens en création et à un projet humaniste en édification (projet d’humanité). Par suite, contre un Ministère de l’Identité Nationale naguère évoqué par N. Sarkozy, proposons un Ministère des Projets Anthropiques : ouvert au citoyens, en une voie participative proprement démocratique. Une démocratie participative si bien/si mal proposée voici quelques années par Ségolène Royal : «bien», parce qu’elle est essentielle aux refondations sociétales face à des individus se sentant dépossédés de leur présent et de leur avenir ; «mal», parce que son champ d’application (politico-économique) débordait le possible actuel et vidait le programme électoral d’un contenu réel. N’empêche, l’idée était belle : promettant le retour d’une utopie susceptible de mobiliser les forces, de nourrir les passions et de réunir les individus.

Dans un monde de courants d’air, quitte à soulever du vent autant qu’il nous emporte en de nouvelles aventures : osons donc un Ministère des Projets Utopiques et des Plans Idéalistes. Osons l’utopie d’un monde sauvegardé et habitable en ses environnements divers, ses espèces multiples et ses individus différents. Telle utopie est par ailleurs de réalisation nécessaire : nécessaire à la survie des enfants présents et futurs au nom desquels se font les guerres qui les tuent pour combler les vanités existentielles, les manques structurels, les indigences sociales, les gouffres économiques et les appétits despotiques. En cette problématique, l’urgence renvoie à leur puérilité les soubresauts des chants glorieux et/ou ensanglantés – d’ici ou d’ailleurs… Car nous vivons dans un monde partagé – soumis aux pressions multiples, aux risques technologiques, aux dérèglements climatiques, aux extinctions de masses et aux conflits divers : des régions toujours plus grandes seront bientôt inhabitables, des exils colossaux se déclencheront en nombre. En tel contexte, le repli frileux est intenable – les hommes chassés de leurs terres meurtrières devront trouver ailleurs un lieu d’existence. Face à ce risque extrême, les armes parleront – et feront taire la plupart des combattants… Contre cette apocalypse, seul l’accueil s’impose – non par phagocytose ou négation des différences mais en une coexistence solidaire tendue vers la construction d’un avenir (humain).

Alors, «osons» : osons laisser à la politique et à l’économie des problèmes socio-économiques qui leur appartiennent (en interférences et interdisciplinarité cependant) et rendons à l’intimité (et aux relations interindividuelles), à la sociétalité, à la philosophie, à l’anthropologie et aux constructions humanistes (comme choix d’humanicité spécifique) la problématique d’une identité qui s’y loge et s’y construit.

        Jacqueline Wautier

Le texte est protégé par les règles et droits de la propriété intellectuelle, toute citation devra comporter le titre et le nom de l'auteure

 

1 Le Soir, 14/09/07

2 Ce petit rien, ce petit lien ? / L’identité humaine face à l’opérativité techno-scientifique, Ed. Le Manuscrit, 2007.

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