Les Écrits

Cadillac

Extrait chapitre 1

Le bonheur en kit.

L’obscurité pesante de la fin de l’été gagnait petit à petit le parc, et réduisait la vue depuis le banc de bois où ils étaient assis, se touchant l’un l’autre comme pour se réchauffer. Pourtant le paysage et les arbres restaient étrangement aux couleurs de la belle saison, comme si les dorures de l’automne tardaient à prendre le pouvoir pour les mois à venir.

Derrière eux la façade du bâtiment principal paraissait lisse, sans âme, créant comme une imposante frontière avec le monde du dehors, mais sans doute était-ce dût justement à cette alchimie un peu particulière, que leur offrait cette fin de journée. Ils étaient postés près du lampadaire qui éclairait une partie du plan d’eau juste devant eux. Il consulta sa montre et pensa que l’heure du dîner était proche. Il détestait l’automne et plus encore novembre. Il le lui avait dit des centaines de fois.

Il l’a regardé, silencieuse, à ses côtés depuis le début de la soirée. Elle lui plaisait toujours autant, avec ses boucles colorées d’un rouge bordeaux qui lui donnait un petit air taquin, les rondeurs étaient venues modifier un peu sa silhouette, malgré un combat permanent et qui durait depuis des années. Mais elle profitait de tout et s’excusait souvent en disant « rien qu’à regarder une pâtisserie je prends cent grammes ».

 Pour une fois, ils n’avaient pas parlé du passé, mais ils pensaient encore et toujours la même chose.

Que faisaient-ils là depuis près d’un an maintenant.

Un an qu’ils avaient décidé en commun de se mettre à l’abri de la vie et de ses soucis quotidiens, des charges de tous les jours, les courses, le ménage, la cuisine, et le reste toujours pareil, avec les mêmes questions et les mêmes réponses du levé au couché.

La promenade sur Internet les avait séduits, quand ils avaient parcouru les sites de résidences seniors. Les trois w s’accompagnaient des mêmes adjectifs. Bonheur, sérénité, repos, bien- être, balnéo … et autres slogans qui feront bientôt concurrence à ceux des vacances dans les îles paradisiaques, tant la communication se déchaîne pour attirer cette tranche d’âge, comme ils disent.

Alors ils ont cliqué sur un www.quelque chose, au hasard, qui répétait à l’envie, « formule tout inclus, animations, restaurant, distractions, parc et jardins », le dernier bonheur en kit quoi !

Ils avaient ri en visionnant le site, et l’avaient comparé à un camping, ce qu’ils avaient toujours détesté. Pour le nombre d’étoiles, on verrait plus tard.

Finalement, ils s’étaient inscrits au hasard sur la Résidence de la vallée à Chevreuse pas loin de Paris, pas loin des banlieues où lui, Pierre, vrai Parisien s’était quelques fois produit en animation dans les cafés concerts locaux. Il l’avait souvent accompagné dans la chorale qu’elle avait créée avec une demi-douzaine de copines, qui faute de budget cherchait sans les trouver des musiciens accompagnateurs. Ça finissait toujours comme ça et il les suivait, les accompagnait avec son inséparable guitare douze cordes, dans de la country music, genre Dolly Parton, ou Emmylou Harris.

Ils s’étaient rencontrés à Fontainebleau où il avait été sollicité pour accompagner un groupe qui se produisait dans une auberge de jeunesse. Un groupe, tu parles ! En fait c’était une chorale de nana qui interprétait du Rika Zarai et du Edith Piaf ! Ça l’avait gonflé toute la soirée, et il l’avait envoyé au diable après le concert quand elle l’avait remercié. Il n’avait même pas levé les yeux et continué à emballer sa guitare. Puis comme elle insistait il s’était fâché.

-J’ai fait deux cent cinquante bornes pour deux cent balles, et pour accompagner ça ! dit-il en désignant le groupe de nanas qui bavardait.

Il se souvient de la colère que reflétaient ces yeux quand elle lui a lancé.

-Tu crois que tu vaux mieux que nous avec tes airs de Dylan pas réveillé et ton déguisement de cow-boy de série B !

Pourtant, elle avait souri avec tendresse en le voyant débarquer au rendez-vous avec son chapeau de cow-boy (un Pendleton tout de même) et ses Santiags, le tout sur une veste à franges et un jean sans âge. Elle avait pensé, ce mec ressemble à hier. Elle le pensait toujours.

Plus tard, c’est elle qui lui avait coupé les cheveux pour le sortir de son univers des sixties à l’Anglo-Saxon, et des bâtons gras qui lui donnaient un faux air de Neil Young qu’il cultivait.

 Il l’avait planté là, avec un geste genre, va t’faire foutre, mais sans le dire vraiment.

Plus tard il vit une annonce annonçant la chorale au petit théâtre de chartres en première partie de Dave.

Tout pour l’ennuyer, mais il lui fallait boucler son mois. Il lança sa candidature et fut intégré à la troupe pour les accompagner. Même répertoire, et donc même punition se rappelle-t-il.

C’est là après le spectacle et une demi-douzaine de bières chacun qu’ils décidèrent de faire route ensemble pour le retour.

Deux heures pendant lesquels elle l’avait assommé d’un discours réac sur les politiques bons à rien, les fachos, les bourges, les intellos, les vieux et autres personnages à brûler vif.

Il ne savait pas que Juliette était une gauchiste, un peu révolutionnaire, contre tout, tout le temps, qui parlait de Fidel Castro et du Che comme lui de Dylan et Lennon.

Ils ont vécu de leur passion, lui la musique, les studios mal payés, elle le théâtre amateur et la chorale, où dieu soit loué son répertoire avait évolué vers la country, un moindre mal pour lui, recherchant chacun de leur côté les cachetons et faisant parfois deux à trois cents kilomètres, pour cent à cent cinquante euros, et pour faire le joint les allocs d’intermittent. Juliette s’était mise à la voyance et après chaque représentation elle proposait de tirer les cartes aux spectateurs tardifs. Ce qui ne manquait pas d’alimenter la conversation sur ce que Pierre considérait comme une fumisterie. Mais faute d’aventure restait le tarot pour faire rêver ou cauchemarder le bon peuple, et puis si ça faisait un billet de 50 balles….

Et au fil du temps ils devinrent inséparables, se soudant dans les difficultés, et claquant avec les copains leur petit revenu, après les représentations, vivant comme on dit à la petite semaine.

C’est un petit héritage de Juliette qui leur permit d’accéder à la Résidence des Blés Dorés où ils avaient emménagé avec leurs souvenirs et les quelques biens auxquels ils tenaient. Juliette rejetant tout matérialisme serait bien partie avec uniquement son sac à dos. Le choix de ce qu’il voulait conserver avait donné lieu à des palabres interminables.

Pourtant, il n’y avait que quelques meubles, mais aussi la chaîne Hi-Fi et la platine démodée, reliée à des énormes haut-parleurs par des kilomètres de filerie. Ne parlons pas des disques vinyles, par centaines qui aujourd’hui prenaient le tiers de la place dans leur petit deux- pièces.

C’était encore un an après, l’objet de moquerie de Juliette, le renvoyant à l’ère du tout numérique qu’elle avait fini par intégrer, et même à en faire une addiction, consultant toutes les deux minutes un portable pourtant aujourd’hui muet comme une tombe.

Pierre, ce n’était pas son truc de s’attacher à tout cela, ce qui comptait et compte toujours, c’est sa musique. Sa timidité avait sûrement bloqué toutes ambitions, mais il s’en foutait, c’était bien comme ça même s’il aurait bien aimé faire partie de ce monde de la lumière que vivent les pros de la pop. Mais la lumière lui faisait peur et quand il sentait qu’il intéressait trop, il mettait ses Ray Ban. Après tout Dutronc en avait bien.

- Il est temps d’aller donner la soupe à Clapton lui dit Pierre en posant affectueusement sa main sur le bras de Juliette.

Ils se levèrent et se dirigèrent vers leur appartement, où Clapton le petit chat gris les attendait.

Extrait chapitre 5

 

San Francisco. Californie neuf heure a.m

Dans le bureau du San Francisco Police  Department

Sur Market Street

 

 

A plus de neuf mille kilomètres de là et neuf heures de décalages horaires, le capitaine James Hay du bureau des enquêtes de la San Francisco Police Department (SFPD) ne cesse d’arpenter son bureau, en s’arrêtant parfois brusquement pour regarder au loin vers le quai trente-neuf où se bousculent touristes et promeneurs locaux le long des trottoirs chargés de restaurants, d’étals vendant les sandwichs au crabe de la baie, avec attractions et boutiques de toutes sortes.

Les locaux de la SFPD sont situés à l’est de Market Street, une avenue particulièrement longue et large donnant ainsi plus de facilité de sortie aux nombreux véhicules de la brigade, dont les sirènes résonnent et hurlent à longueur de journée dans les rues de San Francisco.

Il peut par temps clair apercevoir le pénitencier d’Alcatraz fermé depuis cinquante ans, et laissé depuis plusieurs années à la disposition des touristes avides de sensations et d’émotions.

Pour le capitaine Hay, ça reste surtout un regret car l’espace carcéral que représente Alcatraz permettrait sans doute d’alléger les prisons surchargées de l’état de Californie.

Il sourit à cette pensée la jugeant stupide et hors du temps.

Cela faisait maintenant quarante jours que Marlène Cleveland dix-huit ans, la fille d’un richissime business man de la Silicon Valley, leader mondial dans la fabrication de logiciel et d’anti-virus, avait disparu, enlevée par des malfrats qui n’avaient pas mis plus de trente heures pour réclamer trois millions de dollars, accompagné des menaces d’usages que James Hay connaissait par cœur pour les avoirs eu si souvent à gérer dans des cas semblables.

Extrait chapitre 8

A l’ombre de San Francisco trop chère, vit ou plutôt végète Oakland entre pauvreté et embourgeoisement récent.

Misère, violence, gangs, anarchistes, réac de tous poils, y séjourne et ce côté de la merveilleuse baie souffre d’une réputation désastreuse.

Mais progressivement dopée par les habitants de San Francisco chassés par les salaires démentiels de la Silicon Valley, Oakland se remplit d’une nouvelle population qui la rend un peu plus présentable.

Les jeunes branchés et friqués en profitent et y viennent pour dealer, s’alcooliser, se doper, considérant qu’ils sont plus à l’abri qu’à San Francisco des autorités et de leurs parents. On les retrouve dormant par terre ou dans des lieux de concerts improvisés où se produisent des groupes de hip-hop, de rap ou de folk nostalgique, dont la réputation ne dépasse pas trois blocs d’immeubles.

Les Foots Trucks envahissent Telegraph Avenue et remplacent l’odeur de bord de mer par l’odeur de friture plus tournée vers l’huile de moteur que l’huile de cuisine, ou la graisse de porc à la Bruxelloise.

Les biens nés qui culpabilisent ou les révoltés et altermondialistes de tous bords et de toutes nationalités y élisent domicile, enfin si l’on peut parler de domicile quand il s’agit des squattes crasseux de Berkeley où mecs et nana se mélangent, se dopent et baisent dans tous les sens sans hygiène ni valeurs d’aucune sorte, lesquelles valeurs restent de toute façon à bannir dans la société qui est la leur. 

Extrait chapitre. Mourir ailleurs

Ils se retrouvèrent, heureux et détendus autour d’une bière, quelques jours plus tard dans les environs de Rambouillet, dans un resto bar qui possédait une jolie salle voutée en sous-sol ou les orchestres de jazz se succédaient au fil de la soirée.

Leur impression mutuelle était de ne pas s’être quittée, et ils en furent plutôt ravis. Un petit frisson de gêne avait saisie Lucie à l’approche de cette soirée et elle s’en était ouverte à Jérôme.

- Et si on ne trouvait plus rien à se dire, dans ce nouveau contexte ?

- Rigole, y’a pas de danger, suffit de brancher Pierre sur la musique et les années 70 et on fait la soirée. T’auras qu’à parler des signes du Zodiaque avec Juliette, j’ai entendu à Bruxelles qu’elle te proposait de te tirer les cartes !

Le trajet en voiture les avait emmenés sans encombre au rendez-vous, un peu en retard car ils avaient souhaité déposer leur valise à l’hôtel et se rafraîchir avant de les retrouver. Ce retard bien que de près d’une heure, n’avait pas semblé alarmer leurs amis qui n’avaient même pas pris la peine de les appeler pour se rassurer.

 Ils ne sont vraiment pas sur la même diagonale que nous pensa Lucie en souriant de les voir assis à table en train de discuter tranquillement.

- Joe Cocker tu connais ? Lui demanda d’emblée Pierre à peine après lui avoir serré la main.

- Mm..ouai. Un peu, s’étonna Jérôme qui pensa, il ne débranche jamais lui !

- Bah il est mort, putain quelle hécatombe, y va rester que des branques.

- Bon mais ils ont tous bien chargé la mule dit Juliette, faut pas trop s’étonner que ça casse avant la finale !

Voyant Pierre se crisper personne ne pensa à en rajouter, mais plutôt à calmer le jeu.

- Sinon le voyage vers la civilisation, se radoucit Pierre ça vous a fait quel effet ?

- Arrête de nous prendre pour des demeurés Pierre rétorqua Jérôme, en riant un peu pincé tout de même.

Ils discutèrent politique, musique, vieillesse, gastronomie, tout y passa jusqu’aux nouvelles technologies ou Juliette la plus à l’aise donna quelques conseils d’utilisation des portables et autres appareils connectés.

Pierre du reconnaître qu’il n’était pas très à l’aise, et disait jurer constamment sur le manque de notices de tous ces matériels, laissant l’utilisateur dans de profondes déprimes face aux bugs, ou aux applications de plus en plus perverses.

- C’est infernal dit-il à nouveau, quand tu te plantes, t’es tout seul comme un con devant ton matos, et tu ne sais pas quoi faire.

- C’est facile minauda Jérôme tu clic sur aide !

- Aide ok et puis après ?

- Bah comme Darty y’a un mec qu’arrive…

Les trois autres crurent s’étouffer avec le dessert, un pain perdu caramel, déjà difficile à faire passer

- 15/15 murmura Pierre, à moi de faire !  

Jérôme devint d’un coup silencieux et son attitude tendue interpella ses compagnons de table, qui le voyaient remuer les mains et les épaules, genre j’ai un truc à dire mais je ne sais pas comment, ni par quel bout commencer.

- Dis-moi Juliette c’est sérieux tes envies de… comment dire, d’évasion ?

Juliette le regarda en souriant, et hocha la tête.

- J’en connais un qui ne sait pas tenir sa langue, mais oui c’est sérieux. Comme tous les rêves rajouta-t-elle aussitôt.

Jérôme eu l’air déçu et semblait se trouver à court de conversation. Ce fut Pierre qui relança.

- T’as une idée derrière la tête, raconte j’ai l’impression que tu traînes un truc depuis la balade Flamande, j’ai en mémoire ton petit mot à la sortie du car, je me suis demandé de quel tuyau tu avais besoin, et je doute que ce soit purement sur ma culture musicale, parce que là c’est pas d’un tuyau dont tu as besoin mais d’un pipeline.

Jérôme fit celui qui n’avait pas entendu et repris le fil de ses idées.

- Ecoutez, ça me pourri le cerveau, je ne t’en ai pas parlé Lucie, mais je me suis dit, enfin ça serait bien qu’on fasse un truc ensemble.

- Un truc, quoi un truc, tu veux créer une chorale, un groupe de rock vintage, se moqua Pierre, j’ai peut-être encore les coordonnées de la RATP.

- Je veux que la fin de la route soit le concentré de ce que nous n’avons jamais eu ni fait moi et Lucie. Je veux m’éclater, je veux partir, voir du monde, je veux vivre mes derniers kilomètres autrement que derrière des grilles avec des gens que je n’ai pas choisis, avec qui je suis obligé de partager des repas de cantoche, des conversations de salon à la con. Je veux exister, je veux plus subir mes journées, me réveiller tous les matins avec la même déprime, je veux être amoureux comme avant, merde je veux mourir ailleurs.

Son discours avait quelque chose de désespéré, de profondément sincère.

 Il s’arrêta brutalement et éclata en sanglots devant les autres, figés et stupéfait de cette explosion de mots, dit avec une telle violence que chacun en fut profondément bouleversé.

Calmer Jérôme fut compliqué et prit un peu de temps, chacun tentant de trouver le bon mot, la parole qui redonnerait un peu de calme et de goût à finir cette petite soirée. Le concert de jazz avait débuté et permettait de combler les silences qui pesaient sur eux quatre. Jérôme était plus calme, il repoussa son assiette et avec un petit sourire, se surpris à parler à nouveau.

- Je suis désolé, je ne sais pas ce qui m’a pris, du coup j’ai un peu gâché la fête, en plus tout le monde a mangé froid, j’suis vraiment très con rajouta-t-il.

Lucie s’était tendrement appuyée sur son épaule pendant qu’il parlait. Le silence embarrassant créait une impression d’oppression et faisait résonner les cuillères qui tournaient dans les tasses à café, puis l’ambiance devint petit à petit plus chaleureuse, on le sentait à travers les sourires, qui semblaient dire ne t’inquiètes pas ça va aller.

C’est à ce moment pendant la pose des jazzistes que l’on entendit Pierre dire doucement, en se penchant vers Jérôme.

- T’as un plan mon ch’ti ? 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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