"Article 353 du code pénal"

Tanguy Viel nous bouleverse avec une étude sociétale

Le nouveau roman de Tanguy Viel, Article 353 du Code pénal (Editions de Minuit)  raconte l'histoire d'un ancien ouvrier de l'arsenal de Brest, dépossédé par un promoteur immobilier. Le début d'un terrible engrenage. Ce roman bouleversant fait partie de ceux qui manient les mots avec brio, tout en réveillant l’humanité qui sommeille en nous. Très remarqué lors de sa asortie en  janvier 2017, le roman de Tanguy Viel est un de nos coups de cœur. 

Qui est Tanguy Viel ?

Tanguy Viel, né en 1973 à Brest est un romancier français. Il passe les douze premières années de sa vie en Bretagne, puis vit successivement à Bourges, Tours et Nantes avant de s’installer près d’Orléans. Il n'est âgé que de vingt-quatre ans lorsqu'il publie son premier roman, Le Black Note. Cette œuvre, au style si singulier sera notamment saluée par la critique. Suivront Cinéma en 1999, et L'Absolue perfection du crime en 2001, où il s'essaie à la forme littéraire du polar et pour lequel il reçoit le prix Fénéon ainsi que le prix de la Vocation. En 2003, il est lauréat de la Villa Médicis et passe un an à Rome. Parmi ses nombreux romans, les plus notables sont, Insoupçonnable, écrit en 2006, Paris-Brest écrit en 2009 et La disparition de Jim Sullivan en 2013. Dans ses récits, l’écrivain met régulièrement en scène des personnages réunis par une intrigue (hold-up, arnaque, drame familial) ou une obsession (la note pure du jazzman, des scènes de film). Souvent avec beaucoup d’humour et d’ironie Tanguy Viel décrit un monde de tricheurs, de rêveurs, de perdants troquant une réalité décevante contre le fantasme d’une vie meilleure.

Article 353 du code pénal, un roman réaliste et sociétal

Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d'être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l'ont mené là : son divorce, la garde de son fils Erwan, son licenciement et puis surtout, les miroitants projets de Lazenec. Il faut dire que la tentation est grande d'investir toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer. Encore faut-il qu'il soit construit.

Pourquoi ce livre nous boulverse? Ne vous fiez pas au titre, le dernier livre de Tanguy Viel est loin de ressembler à un traité. Paradoxalement, celui-ci parvient à poser la question de la légitimité de la violence face à celle, croissante, de la société dans un livre assez court et écrit très simplement. Ce roman bouleversant nous fait réfléchir sur le sens de la justice des hommes. La construction du récit est étonnante. Au fil des pages comme le juge, on suit la confession et les paroles de Martial Kermeur, qui se déversent comme un torrent dans de longues phrases. Ce style particulier donne un côté mystérieux aux interventions du narrateur et du juge, que l’on oublie presque. Les paysages de Bretagne sont quant à eux très présents, vents, marées, bateaux, et habitants discrets et fiers. À moins que vous soyez juge, vous ne saurez qu'à la fin du roman en quoi consiste l’article 353 du code pénal. En attendant, laissez-vous emporter dans ce formidable huis-clos entre le meurtrier et son juge.

Les autres livres incontournables de Tanguy Viel

L’absolue perfection du crime, 2001, (Editions de Minuit) : Marin, Andrei, Pierre, c'étaient tous des caïds. Et dans ce monde de traîtres, leur disait l'oncle, pour que " la famille " survive, il faut frapper toujours plus fort. Alors quand Marin est sorti de prison, lui, le neveu préféré, il a dit : «le hold-up du casino, ça nous remettrait à flot ». L’histoire de cette œuvre est assez banale, des caïds « border line » veulent monter un coup assez risqué. Cependant toute la puissance du livre se trouve dans la forme que lui donne Tanguy Viel. Un décor grisâtre, une atmosphère un peu lourde, la rade de Brest en arrière-plan, l’auteur reprend ici tous les clichés des vieux films policiers. Le cinéma a une influence très grande dans ce troisième roman, on retrouve de grandes références cinématographiques  comme des scènes cultes d'Hitchcock, de Brian de Palma ou de Godard. L’auteur crée une adaptation du genre cinématographique en littérature. La plume particulière de Tanguy Viel est également au rendez-vous puisque nous retrouvons des phrases longues, traitant de plusieurs thèmes à la fois mais qui  donnent un rythme et qui collent parfaitement aux personnages. L’absolue perfection du crime est un livre qui peut se lire en deux heures, comme on regarderait un bon film.

Insoupçonnable, 2006, (Editions de Minuit) : Sam est le frère de Lise. Du moins c'est ce que tout le monde croit quand Lise se marie avec Henri. Mais c'est surtout Henri qui doit le croire, pour que Sam et Lise puissent réussir leur mauvais coup. Seulement Henri aussi a un frère, un vrai cette fois, qui s'appelle Édouard. Or même vrai on peut être un faux frère. Trahisons, mensonges et manipulations sont les principes de base de ce récit à suspens. De prime abord le sujet semble plutôt convenu, cependant Tanguy Viel parvient à lui donner une intensité grâce à son talent narratif et au suspens qu’il suscite chez le lecteur. Sa langue originale tord la syntaxe par des phrases amples qui avivent la tension psychologique de ce roman noir. L’auteur joue beaucoup avec son lecteur, notamment grâce aux observations méfiantes, aux faux semblants mais aussi par l'analyse des rapports psychologiques où le non-dit est plus important que les dialogues insignifiants. Dans ce roman, rien n’est aussi simple qu'on veut bien le laisser paraître.

Paris Brest, 2009, (Edition de Minuit) : « Il est évident que la fortune pour le moins tardive de ma grand-mère a joué un rôle important dans cette histoire. Sans tout cet argent, mes parents ne seraient jamais revenus s'installer dans le Finistère. Et moi-même sans doute, je n'aurais jamais quitté Brest pour habiter Paris. Mais le vrai problème est encore ailleurs, quand il a fallu revenir des années plus tard et faire le trajet dans l'autre sens, de Paris vers Brest. » Et si Tanguy Viel était le Chabrol de la littérature ? Cette œuvre est en tout cas sur le bon chemin ; cynisme, la petite bourgeoisie étriquée, sournoise, lâche et calculatrice, un vrai roman noir. Les longues phrases de l’auteur sont une nouvelle fois au rendez-vous, celles qui disent sans trop en dire, celles qui dévoilent l'histoire au compte-goutte et qui crée un vrai style à l’auteur. L’écrivain mène également une réflexion sur la création littéraire et notamment sur le roman autobiographique. Qu'est-ce qui relève de l'invention, de la création ? Qu'est-ce qui relève de la vérité ? Comment écrire un roman autobiographique qui plait aux lecteurs ? Paris Brest est le genre de livre pour lequel on retarde le plus possible la fin

Extraits de Article 353 du code pénal

« Moi non plus je n’ai pas tourné la tête d’un centième vers lui quand dans le silence on partageait bien assez nos pensées, quand le langage lui-même est un luxe inutile, puisqu’il n’y avait rien de plus à dire, rien de plus à comprendre, du moins si comprendre c’est faire une phrase qui justement s’articule et s’éclaire avec des « donc » et des « alors », mais non, comprendre là-dedans, j’ai dit au juge, c’est plutôt ressentir profondément, là, oui, là, et alors j’ai mis le doigt, non pas sur le cœur, non pas sur le front, mais sur l’estomac, là, en dessous du plexus, oui, là, comprendre, ça fait une douleur que les hommes, je vous jure, connaissent depuis l’Antiquité, sans trop savoir jamais si ça brûle ou pique ou détruit. »

« Et quel cerveau......quel cerveau il nous faut, à nous autres les gens normaux, pour admettre qu’il existe sur terre une catégorie de personnes comme ça, dépourvues de cette chose que vous et moi, j’ai dit au juge, je suis sûr qu’on partage, quelque chose qui normalement nous empêche ou nous menace,quelque chose –une conscience peut-être, et qui naît assez vite pourvu qu’on ait dans la tête ce miroir mal fixé qui fait que même Adam s’est couvert d’une feuille de vigne, quelque chose qui nous entrave, oui, mais peut-être aussi, nous honore. Et le fait est que certains en sont dépourvus, de cette chose-là, comme d’autres naissent avec un bras en moins, certains naissent atrophiés de, je ne sais pas, de...

Et le juge a dit : D’humanité ?

Oui, peut-être au fond c’est ça, d’humanité. »

>Tanguy Viel, Article 353 du code pénal, Editions de Minuit

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