Polémique

Marquis de Sade: de la fascination à la controverse

En cette année 2014 qui célèbre le bicentenaire de sa mort, il a beaucoup été question du "divin marquis". Encensé, exposé, décrié, que retient-on vraiment de Donatien Alphonse François de Sade? Les très prestigieuses éditions de La Pléiade l'acceptent dans leur panthéon, Michel Onfray déconstruit le mythe, et une exposition au Musée d'Orsay le célèbre: autant de signes qui témoignent de la fascination que cet étrange esprit suscite encore aujourd'hui.  

Le marquis de Sade ne cesse de faire parler de lui. Certes, le bicentenaire de sa mort a remis les projecteurs sur lui, mais cet auteur qui, selon Apollinaire pouvait "dominer le XXe siècle", semble bien parti pour laisser sa trace dans le XXIe.

Sade entre à La Pléiade

L'édition prestigieuse que la Pléiade a publié cet automne Justine et autres romans, l'occasion de revoir l'appareil critique accompagnant cet auteur publié pour la première fois en France plus de cent ans après sa mort.

Sade a les honneurs du Musée d'Orsay

Parallèlement, le musée d'Orsay présente l'exposition "Sade: attaquer le soleil", consacrée à l'influence de l'auteur dans la peinture et le dessin, jusqu'au cinéma. De Delacroix avec La mort de Sardanapale, à Pasolini (Salo, ou les 120 journées de Sodome), elle vise à montrer l'émancipation des artistes quant à la représentation du corps et de ses passions.Réhabilitant le corps bien avant Nietzsche, Sade "révèle que l'exercice de la pensée n'est pas une activité abstraite, mais qu'elle est déterminée par les mouvements des désirs et que sa source est avant tout pulsionnelle", rappelle Annie Le Brun, spécialiste de l'auteur et commissaire de l'exposition.

Michel Onfray dénonce un mythe infondé

Auparavant, les écrits du marquis de Sade, athées, porteurs d'une philosophie du corps et garnis de descriptions de perversions sexuelles, visaient à mettre au jour la violence des passions humaines face à une société bien-pensante. Ils ont été encensés par Apollinaire, puis par les surréalistes menés par André Breton, les psychanalystes, jusqu'à l'intelligentsia d'aujourd'hui. C'est ce que dénonce Michel Onfray, dans La passion de la méchanceté, dont le propos accusateur a tout de même profité commercialement de l'année anniversaire. Deuxième volume de sa nouvelle série, "Contre-histoire de la littérature", il fait suite à un premier volume publié en avril sur Don Quichotte, Le réel n'a pas eu lieu

Comportement amoral d'un philosophe

Le responsable du "mythe Sade" selon lui infondé ? Apollinaire et la préface qu'il signe d'une édition de textes prudents du marquis en 1909. Il fustige les suivants dont "la plupart reprennent les thèses d'Apollinaire (la légende d'un Sade révolutionnaire, anarchiste, féministe, libérateur du sexe) sans examiner si elles sont vraies ou fausses. Or elles sont fausses.", affirme Michel Onfray sans concession, dans une interview accordée au Figaro.fr.

Et de rappeler que les nombreux emprisonnements de Sade sont dus non à ses écrits mais à ses actes de viols et de maltraitances diverses. Accusant l'homme aux mœurs scandaleuses, il suppose que son œuvre se réduit à cette dimension pareillement infâme. La criminalité inhérente au désir qu'il voit dans les écrits du marquis est impardonnable, car sa posture de philosophe, "prescripteur du monde", implique une responsabilité. A ceux qui veulent séparer l'homme et l’œuvre, il répond avec provocation: "A quand les pamphlets antisémites de Céline en Pléiade?".

Un fervent révolutionnaire?

Et pourtant, personnage complexe et contradictoire, Sade ne se laisse peut-être pas analyser si facilement. La somme que représente le roman Juliette apparaît aussi (et notamment pour Apollinaire) comme la "femme nouvelle", moderne, qui explore ses désirs. En un sens, cette héroïne est le pendant des femmes maltraitées qui parsèment les autres romans de Sade, et qui lui ont valu le qualificatif de misogyne. Lorsqu'il s'oppose à Robespierre après avoir soutenu la Révolution, Onfray parle d'opportunisme. Alors que l'auteur fait prononcer à ses personnages de longs discours contre la peine de mort, Onfray argue qu'il ne peut pas y être opposé puisqu'il se réjouit de la mort de Louis XVI.

Resté un mystère, le marquis suscite aujourd'hui un engouement et une curiosité issue d'une certaine fascination pour le mal et la subversion. Un aveuglement, pour Onfray. Ce qui pourrait faire dire au marquis "Il est très doux de scandaliser: il existe un petit triomphe pour l'orgueil qui n'est nullement à dédaigner." (in La Philosophie dans le boudoir). 

En savoir plus

>>Marquis de Sade, "Justine et autres romans", La Pléiade
>>Michel Onfray, "La passion de la méchanceté", éditions Autrement
>>Exposition au Musée d'Orsay : "Sade. Attaquer le soleil", Jusqu'au 25 janvier. Plus d'informations sur le site du Musée
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