"J'écris comme je vis"

Dany Laferrière, l'écriture sans frontières

Dany Laferrière, élu à l’Académie française en 2013, est l’auteur de vingt-six ouvrages traduits dans une quinzaine de langues. Dans le cadre d'une intervention à l’ESPE de Paris, il s'est exprimé sur sa conception de la littérature, qui rime avec transmission, partage et vitalité. Retour sur un écrivain qui manie les mots avec une gourmandise communicatrice.

Haïti, Montréal, Miami, Paris… Dany Laferrière, un écrivain sans frontières

Dany Laferrière naît à Port-au-Prince en 1953. Il passe une enfance heureuse à Petit-Goâve, avec sa grand-mère Da qui aura une grande influence sur son œuvre et son imaginaire. Sa mère l’y a envoyé à l’âge de quatre ans par crainte qu’il subisse des représailles de la part du parti de Duvalier, son père étant un activiste politique. Adulte, il aura à cœur de faire ressurgir dans ses œuvres les images de cette enfance idyllique et fondatrice.

Journaliste à Montréal

Il commence par exercer sa plume dans la presse, devenant chroniqueur culturel pour un hebdomadaire puis pour une radio nationale. Mais en 1976, un de ses amis journalistes est assassiné  par la milice de Duvalier. Cet évènement tragique l’engage à s’exiler à Montréal. Commence alors une vie d’inconfort où il se voit contraint de cumuler les petits emplois. Cependant, cette période est dense et riche pour le futur écrivain. Il lit énormément (Ducharme, Miller, Hemingway, Cendras, Borges…), achète une machine à écrire Remington et écrit son roman Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Paru en 1985, il connaît un grand succès. Il sera traduit en plusieurs langues et adapté au cinéma. Son titre, aussi long que surprenant, laisse entrevoir la figure d’un écrivain facétieux et provocateur.

De retour à Haïti

En 1986, la dictature de Duvalier est renversée, ce qui permet le retour de l’écrivain en Haïti. A partir de 1990, il s’installe avec sa famille à Miami. On peut parler de décennie de la maturité. Il devient écrivain à temps complet et écrit les romans du cycle haïtien (L’odeur du café, le goût des jeunes filles…) En 2009, il obtient le prix Médicis pour L’énigme du retour. Il est en Haïti lors du séisme de 2010. A partir de notes prises sur le vif, il écrit Tout bouge autour de moi. C’est avec une grande sobriété qu’il relate le drame humain qu’a connu son pays natal.

Le premier Haïtien à être élu à l'Académie

Le 12 décembre 2013, il est élu à l’Académie française et devient le premier auteur d'Haïti et du Québec à y siéger. Reçu le 28 mai 2015 par Amin Maalouf, il y prononce comme le veut la tradition son discours de réception, en hommage à son prédécesseur Hector Biancotti.

« Je suis un écrivain japonais » 

Quand on lui demande de s’exprimer sur son statut d’auteur francophone, créole ou encore antillais, Dany Laferrière répond de façon catégorique. Il refuse qu’on lui attribue de telles étiquettes. Nommer autrui est pour lui toujours une manière d’asseoir une domination. Ainsi, les anciens esclaves d’Amérique perdaient leur nom et une part de leur identité en devant accepter le nom que leur attribuait le maître blanc. Parler d’écrivains « créoles » ou « francophones » n’est pas une appellation neutre. Avec humour, l’écrivain insiste sur le fait que les écrivains africains ou antillais bénéficient d’une grande visibilité dans les pays occidentaux car l’étiquette qu’on leur donne fait naître toutes sortes de clichés dans l’imaginaire du lecteur. Ainsi, « créole » rimera souvent avec vaudou, sorcellerie, exotisme, « Afrique » avec dictature, guerres civiles… 

Rejeter les noms qui cloisonnent

Il s’agit donc de rejeter ces noms qui cloisonnent et qui font naître des stéréotypes réducteurs dans l’esprit des lecteurs. Pour Laferrière, il est nettement plus intéressant de se voir dans l’autre, de se définir à travers lui. C’est l’idée clé de son roman paru en 2008 : Je suis un écrivain japonais. Avec ce titre provocateur, il affirme n’être pas plus japonais qu’antillais, ou plutôt être autant l’un que l’autre car un auteur est avant tout du pays de celui qui le lit. 

« J’écris comme je vis » 

A une personnalité pleine d’humour et de piquant correspond un style vif et enlevé et une conception de l’écriture pleine de générosité et de vitalité.  Le Journal d’un écrivain en pyjama, paru en 2013, apparaît comme un réel art poétique. Le texte oscille entre journal, roman, essai, conseils au lecteur, récit allégorique… Impossible de lui donner une définition générique fixe. Là encore, Laferrière refuse la rigueur des catégories et la prison des dénominations.  

Devenir un écrivain

Dans ce texte, l’écrivain donne des conseils au lecteur qui souhaiterait devenir lui-même écrivain.  Par exemple, il conseille de « de ne pas abuser des synonymes » ou encore de s’autoriser à « répéter un mot »... Il se réfère à sa propre expérience et se rappelle par exemple le moment où il a découvert le mot « ça » : « Ce petit mot qui semble si innocent a révolutionné ma manière d’écrire. Ca m’a permis d’adopter un style désinvolte plus proche de ma sensibilité ». Il n’y a ni didactisme ni prétention dans les conseils donnés par l’écrivain : on y lit au contraire altruisme et humilité.

Contre l'élitisme en littérature

Laferrière se lève contre une vision élitiste de la littérature dans laquelle l’écrivain serait un marginal enfermé dans sa tour d’ivoire, offrant sa prose aux lecteurs admirateurs. Dans le Journal, il s’adresse à ses lecteurs comme à des potentiels frères de plume, en cherchant à les aider à trouver leur voie. L’image de l’écrivain « en pyjama » est d’ailleurs une façon de tourner en dérision la figure, et la posture, de l'auteur.

Le style du Journal est léger, vif, désinvolte. Pour parler de son écriture, Laferrière évoque le style à « sauts et à gambades » de Montaigne ou encore « le gai savoir » de Nietzsche. La spontanéité, la vitalité et l’énergie de l’écriture peuvent trouver écho dans la célèbre formule de l’écrivain : « J’écris comme je vis ».

« Transmettre une énergie »

Pour Dany Laferrière, l’écriture est une transmission, la transmission d’une énergie. Chaque individu est riche de sa vision du monde et de son énergie, qu’il peut communiquer à autrui. Se forme alors une véritable chaîne d’auteurs et de lecteurs dans laquelle circule une fluide vital, une sève qui nourrit et inspire. Lui-même se sent intimement lié à tous les grands auteurs qu’il a lus et qu’il a admirés. La lecture et l’écriture apparaissent comme des moyens de communication parallèles, capables de faire surgir des voix authentiques et précieuses. Elles se dotent dès lors d’une force de contestation en permettant de révéler des regards particuliers dans des sociétés qui cherchent par tous les moyens à fondre le particulier dans le consensus.

La création avant la nourriture

Haïti est un pays qui vit et vibre de cette énergie créatrice. Dany Laferrière déplore le fait que son pays attire plaintes, lamentations, pitié, ce qui est totalement contraire à l’esprit des habitants.  Il raconte que bien souvent, des Européens ou des Américains viennent en Haïti pour aider les populations et pleurent en découvrant la difficulté de leurs conditions de vie. Ce sont les haïtiens qui se voit forcés de les consoler et de relativiser ! Pour Laferrière, le peuple haïtien a renversé l’ordre logique des besoins en plaçant l’écriture, la musique, l’art avant la nourriture ou le travail. Ainsi en témoigne l’incroyable production artistique de son pays natal. 

« La passion folle du mystère »

Quand on lui pose la question de l’engagement de l’écrivain, Dany Laferrière affirme que tout écrivain a une « responsabilité sociale » mais qu’il doit malgré tout conserver une part de « mystère ». Il se souvient qu’enfant, quand il voyait un magicien faire sortir un lapin de son chapeau, il n’était pas surpris par l’apparition du lapin mais plutôt par ce qu’était parvenu à cacher le magicien, par l’illusion qu’il avait réussi à créer. Cette énigme le passionnait et il ressent toujours aujourd’hui cette « folle passion du mystère ».

Lecture et magie

La lecture a un caractère magique et inexplicable. Quand on lit un livre, celui-ci nous pénètre, un fluide mystérieux passe en nous. Il explique qu’il trouverait très utile de réécrire à la main un livre qui nous a passionnés, pour tenter de comprendre ce qui fait son charme, son pouvoir. Les enfants sont pour lui les maîtres de la lecture : capables de relire des centaines de fois le même livre, ils en goûtent les mille nuances.

Cette magie de la lecture, l’écrivain la ressent et peut à son tour la faire vivre. Il est le passeur entre le visible et l’invisible, à l’image du dieu vaudou Legba. Pour Laferrière, le meilleur moment pour écrire est le moment du réveil, le « saut du lit », quand les rêves de la nuit ne se sont pas encore totalement dissipés et que l’écrivain peut encore avoir accès à l’Invisible.

Un Académicien si peu académique

 Que ce soit par son écriture ou sa personnalité, il est sûr que Dany Laferrière parvient à transmettre son énergie. Après un entretien avec lui  ou après la lecture d’un de ses ouvrages, on ressort vivifié, dynamisé. Avec son goût pour la dérision, la contestation ou  l’ironie, il est tentant de lui faire remarquer qu’il est un membre de l’Académie bien peu académique… A lui de répondre en souriant : « Peut-être, mais vous savez, ils vous diront tous ça ! ».

En savoir plus

>Lire un extrait du Journal d'un écrivain en pyjama

>Lire un extrait de Je suis un écrivain japonais
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