On relit nos classiques

Raymond Radiguet: Le Diable à l'âme

Un écrivain, auteur de deux œuvres à la virtuosité reconnue, célébré comme un auteur classique à l’âge de 20 ans à peine ? Malgré la déferlante de parutions et de personnalités que la sphère littéraire nous fait connaître chaque année, les faits interpellent. Raymond Radiguet, jeune génie, parvient avec Le Diable au corps et Le Bal du comte d’Orgel, à se faire une place dans le Panthéon des écrivains français classiques. Et ceci en l’espace de quelques années : le jeune homme s’éteint à l’âge de 20 ans, en 1923. Retour sur une œuvre-comète : sa lumière éblouit encore.

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L’évènement fondateur : la femme

« Un romancier de dix-sept-ans », c’est ainsi que Bernard Grasset présentait Raymond Radiguet, à quelques jours de la parution du Diable au corps. Mais revenons au début du XXème siècle : Raymond Radiguet naît le 18 juin 1903, dans la banlieue Est de Paris. Son père est un caricaturiste de renom qui l’a fait ainé d’une famille de sept enfants. Le garçon a de bons résultats, puis, brusquement, délaisse ses études au lycée. A 14 ans, il préfère la lecture et l’écriture. Le jeune Radiguet est témoin de la Première Guerre mondiale depuis Saint-Maur, son village. En 1917, il va rencontrer cet élément déclencheur, cet événement dramatique : la femme. Il fait ainsi la connaissance d’Alice, une jeune femme récemment mariée à un soldat mobilisé. Ils nouent peu à peu une relation amoureuse, dans ce climat de transgression. Leur liaison, logiquement, cesse à la fin de la guerre. La rencontre est primordiale : elle lui inspirera Le Diable au corps, court roman flamboyant et virtuose, par un écrivain de 17 ans.

 

Aller plus vite et ne pas s’arrêter

En 19, grâce à ses chroniques dans différentes revues, il rencontre Jean Cocteau et entame avec lui une relation amoureuse fusionnelle. Cocteau l’initie au groupe qui constitue l’avant-garde artistique de l’époque, parmi lesquels Paul Morand ou Pablo Picasso. L’été 1921 est celui de l’écriture du Diable au corps. Isolé près d’Arcachon, Radiguet se livre tout entier à son roman. Nonchalamment, il publie Devoirs de vacances, un recueil de poésie. Bernard Grasset découvre alors Le Diable au corps : il le publie sans hésiter, misant surtout sur l’âge de son auteur. En avril 1923, un mois après la publication, le jeune homme a déjà vendu 50000 exemplaires de son premier roman. Désormais célèbre, l’adolescent se retire une nouvelle fois aux abords d’Arcachon, et rédige son deuxième roman, Le Bal du Comte d’Orgel. Quelques mois plus tard, en décembre 1923, Raymond Radiguet meurt de la typhoïde, laissant Jean Cocteau effondré.

 

Une autofiction avant l’heure ?

Le Diable au corps ne saurait se résumer à l’évènement biographique dont il est inspiré. François, le narrateur, est un adolescent âgé de 16 ans qui va rencontrer une jeune femme, Marthe, 18 ans. Ils entretiendront une relation amoureuse pendant plusieurs mois, malgré les promesses que Marthe a faites à un jeune soldat, Jacques. De ce triangle amoureux à la Jules et Jim, Radiguet n’en fait pas un vaudeville mais un grand roman classique. Roman classique, mais aussi roman tragique.

 

Le dilemme, centre du Diable au corps

La relation de Marthe et François est d’emblée contre-nature : elle se construit sur une absence, un vide qui menace sans cesse de se manifester. Le jeune soldat, Jacques, que peut-il faire contre cet adultère ? Il ne se manifestera jamais sous ses yeux. Voilà le grand dilemme de Marthe et François, bien plus que leur écart d’âge, c’est ce geste déloyal qui les tourmente. Il menace leur gloire, leur accès au Panthéon est compromis par ce péché. L’absence de Jacques est la même que celle de Thésée au début de Phèdre, la tragédie classique de Racine. L’absence, c’est la disparition des règles pour un laps de temps, le sursis des amoureux. Ce qui déclenche l’aveu de Phèdre à Hippolyte, ce qui déclenche la relation de Marthe avec François. Le mécanisme tragique de l’absence permet à Radiguet d’introduire le dilemme au centre du couple adultère. 

 

Le huis clos de l’amour tragique

Dès lors, les personnages seront tiraillés par ce dilemme. Pour renforcer cette sensation d’étouffement, d’incompréhension suscitée par les tourments, l’auteur enferme ses personnages dans une scène romanesque, et le narrateur effectue sans cesse le même trajet : de la maison de ses parents à l’appartement de Marthe. Le huis clos révèle alors toute sa puissance, en isolant les personnages, en les plaçant en quarantaine. La tension, au départ amoureuse, devient de plus en plus nerveuse : Marthe et François se torturent l’un l’autre. Comme dans la dramaturgie classique, les personnages sont cernés, sur un plan moral et physique, qu’il s’agisse d’une île, d’un palais ou d’un appartement. « Pourtant l’amour, qui est l’égoïsme à deux, sacrifie tout à soi, et vit de mensonges. » constate François, le narrateur. La tragédie, c’est la cohabitation de ces deux égoïsmes.

En savoir plus

Raymond Radiguet, Le Diable au corps, Le Livre de Poche

Raymond Radiguet, Le Bal du comte d'Orgel, Le Livre de Poche

Jean Racine, Phèdre, GF Flammarion

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