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Hédi Kaddour et Boualem Sansal lauréats ex-æquo du Grand Prix du roman de l'Académie Française

Alors que le grand prix du roman de l'Académie française fête cette année son centenaire,  Hédi Kaddour et Boualem Sansal sont les nouveaux lauréats ex-æquo de ce prix emblématique. Un choix  courageux et fort de la part de l'Académie en direction de la francophonie et des romans engagés.

Prix compte double pour le centenaire? Les Académiciens n'ont pas réussi à choisir un seul lauréat. Ce sont finalement Hédi Kaddour et Boualem Sansal qui reçoivent ce prix du centenaire en binôme. Hédi Kaddour et Boualem Sansal ont chacun obtenu 11 voix, au 4e tour de scrutin, contre 1 voix à Agnès Desarthe, la troisième auteure qui faisait partie de la dernière sélection avec Ce coeur changeant. Deux écrivains qui  honorent la langue française, la diversité et le courage de livres ambitieux.

Verbatim et atmosphère académicienne

Comme l'a déclaré Hélène Carrère d'Encausse la secrétaire perpétuelle "Ce prix honore le récit et le style. Et pour nos cent ans, nous pouvions récompenser deux auteurs ". A année exceptionnelle, palmarès d'exception, surtout si l'on considère que les deux lauréats sont l'un algérien, l'autre à moitié tunisien.

Frédéric Vitoux défendit avec verve  le tissi romanesque et flamboyant des Prépondérants pendant que Jean-Christophe Rufin salua la puissance visionnaire de 2084.

Comme nous l'a ensuite confié un rien malicieux Dany Laferrière, récemment élu à l'Académie : "Je me suis dit que ce palmarès a été fait pour moi, pour que je me sente moins isolé!" Celui-ci n'a pas caché que "c'est tout à l'honneur de l'Académie que de défendre la qualité de tous les auteurs qui écrivent en français, quelle que soit leur origine. Ce prix va sûrement encourager des talents en herbe et inciter les éditeurs à prendre plus de risques" Et celui-ci de préciser tout de même : "Cependant pas de démagogie : ces livres ont eu le prix parce ce qu'ils le méritaient. Pas pour les origines de leurs auteurs."

Jean-Noël Pancrazi qui a été lauréat dans le passé et qui est cett année président du jury du prix Renaudot a voulu rappeler que contrairement aux idées reçues, "le prix de l'Académie a souvent été audacieux, voire avant-gardiste. " C'est en effet aussi la fonction du Grand Prix du Roman que de dénicher de jeunes talents et de reconnaître des figures littéraires hors des sentiers familiers.

François Taillandier se souvenait de son prix qui lui avait apporté une belle reconnaissance. Tout comme Franz-Olivier Giesbert, arrivé sur le tard qui confiait : " Un prix comme celui-là cela change une vie; moi c'est ce qui m'a lancé". Dominique Bona, Angele Rinaldi, Jean-Marie Rouart arborraient le sourire des grands jours. Belle cérémonie, enthousiasme d'oser fêter ses cent ans en assumant un palmarès peu "académique". La prochaine fois, pensez aux femmes. L'Académie on le sait favorise souvet des choix masculins. Agnès Desarthe qui était présente avec beaucoup d'élégance aurait mérité aussi ce prix. Partie remise ? Revenons sur les deux lauréats.

Les Prépondérants  d'Hédi Kaddour : une reconstitution du Maroc des années 20

Hédi Kaddour qui vient de recevoir le prix Jean Freustié, faisait figure de favori. Son livre avait tout pour plaire à l'Académie. Cet agrégé de lettres aime le style ciselé, incarne la diversité et l'excellence républicaine. Professeur reconnu dans des écoles prestigieuses comme Sciences Po, il fait aujourd'hui partie des incontournables. Et puis ses "Prépondérants" évoquent les années 20 au Maroc, les chocs de culture entre les colons, les Marocains et l'arrivée des Américains qui bouleversent les repères. Un récit qui fait revivre une page d'Histoire, érudit et bien enlevé ne pouvait que rallier à son propos la majorité. Hédi Kaddour très ému a déclaré :"recevoir une récompense comme celle-ci est un encouragement pour nous qui nous qui travaillons dans l'ombre". De l'ombre à la lumière de la grande salle des débats qui crépitait sous les flash des photographes.
Résumé du livre : Au printemps 1922, des Américains d’Hollywood viennent tourner un film à Nahbès, une petite ville du Maghreb. Ce choc de modernité avive les conflits entre notables traditionnels, colons français et jeunes nationalistes épris d’indépendance. 
Raouf, Rania, Kathryn, Neil, Gabrielle, David, Ganthier et d’autres se trouvent alors pris dans les tourbillons d’un univers à plusieurs langues, plusieurs cultures, plusieurs pouvoirs. Certains d’entre eux font aussi le voyage vers Paris et Berlin, vers de vieux pays qui recommencent à se déchirer sous leurs yeux. Ils tentent tous d’inventer leur vie, s’adaptent ou se révoltent. Il leur arrive de s’aimer.
De la Californie à l’Europe en passant par l’Afrique du Nord, Les Prépondérants nous entraînent dans la grande agitation des années 1920. Les mondes entrent en collision, les êtres s’affrontent, se désirent, se pourchassent, changent. L’écriture alerte et précise d’Hédi Kaddour serre au plus près ces vies et ces destins.

2084, la fin du monde de Boualem Sansal : le Meilleur des mondes en burka

Boualem Sansal n'a pas caché sa joie. Lui qui paye bien cher le courage d'oser dénoncer les ravages d'un totalitatrisme religieux a enfoncé le clou. A Jean-Christophe Rufin qui lui disait que son livre était "un récit de science fiction dont il espérait qu'il ne deviendrait jamais réel", celui-ci  répondit : " C'est déjà une réalité dans des pays comme la Syrie. L'islamisme met en place un totalitarisme généralisé. Ce n'est pas de la science fiction."  Malgré ses accents orwelliens et son récit qui utilise des références imaginaires  2084,  qui a été adoubé par Michel Houellebecq résonne tristement avec l'actualité. Boualem Sansal a été visionnaire. Et peut-être un peu dérangeant, lorsqu'il affirme que cette fin du monde n'est pas loin de nous? L'écrivain algérien aurait pu sembler un peu trop radical pour l'univers feutré de l'Institut : sa fable sur le totalitarisme religieux fait froid dans le dos. Boualem Sansal qui, malgré les menaces vit encore en Algérie, est un exemple de courage. Son livre est très fort. Ecrit avec brio. Les Académiciens ne se sont pas laissé démonter. Ils ont eu le courage, eux-aussi, de s'engager en faveur d'un écrivain-guerrier qui œuvre à construire une littérature qui "hyperboloïse le présent ", selon la formule de Jean-Christophe Rufin.
Résumé du livre : L’Abistan, immense empire, tire son nom du prophète Abi, «délégué» de Yölah sur terre. Son système est fondé sur l’amnésie et la soumission au dieu unique. Toute pensée personnelle est bannie, un système de surveillance omniprésent permet de connaître les idées et les actes déviants. Officiellement, le peuple unanime vit dans le bonheur de la foi sans questions. 
Le personnage central, Ati, met en doute les certitudes imposées. Il se lance dans une enquête sur l’existence d’un peuple de renégats, qui vit dans des ghettos, sans le recours de la religion… 
Boualem Sansal s’est imposé comme une des voix majeures de la littérature contemporaine. Au fil d’un récit débridé, plein d’innocence goguenarde, d’inventions cocasses ou inquiétantes, il s’inscrit dans la filiation d’Orwell pour brocarder les dérives et l’hypocrisie du radicalisme religieux qui menace les démocraties.

A cent ans , le grand prix du roman montre qu'il possède encore une vivacité pleine d'alan et que la vieille dame couvée par les Immortels sait oser "le changement". 

Un centenaire, plusieurs hommages

Pour ceux qui souhaiteraient se documenter sur l'histoire de ce prix, signalons que la Bibliothèque de l'Institut de France organise une exposition-hommage (jusqu'en décembre) et qu'un beau livre qui retrace l'histoire du Grand Prix du roman de l'Académie française sera bientôt publié par les Éditions des Cendres. Idéal à offrir à Noël prochain avec les livres des lauréats de cette année.

>Lire nos critiques consacrées aux livres d'Hedi Kaddour et de Boualem Sansal
>aller sur le site de l'Académie

 

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