Que reste-t-il de Jean-Paul Sartre ?

Sartre: Les livres et les mots

Le texte Les Mots publié en 1964 est composée de deux parties: Lire et Ecrire. L'oeuvre de Sartre n'aura de cesse d'être un questionnement sur l'écriture. Celui qui dès le plus jeune âge était le nez dans les livres alors que les grandes personnes le laissaient de côté, fut d'abord un amoureux des livres. Puis, vint l'écriture: "A peine eus-je commencé d' écrire, je posai ma plume pour jubiler. L'imposture était la même mais j'ai dit que je tenais les mots pour la quintessence des choses. Rien ne me troublait plus que de voir mes pattes de mouche échanger peu à peu leur luisance de feux follets contre la terne consistance de la matière: c'était la réalisation de l'imaginaire". Dans ces lignes issues des Mots, s'exprime la vraie nature de l'écrivain, amoureux des mots.

L'écriture de soi

Ecrivain de soi dans ses textes littéraires, il considère avant toute chose ne pas être son propre destinataire. Ainsi, note Jean- François Louette,"se brise le miroir ou se distend le cercle de Narcisse". La première lectrice est Simone de Beauvoir. Le Journal de guerre de Sartre est dédié au Castor. Destinataire, dédicataire, Beauvoir est aussi celle qui "forme la condition même de l'écriture des Carnets". Dans Carnet I, Sartre note: "Tout ce qui m'arrive, tout ce que je pense, j'envisage à l'instant d'en faire part au Castor."

Des Carnets de la Drôle de Guerre aux Mots

Les Carnets de La Drôle de Guerre sont écrits par Sartre, simple soldat en seconde ligne, météorologue peu débordé, pouvant profiter du temps libre. Louette va jusqu'à parler d'une frénésie de l'écriture. Il rappelle qu'un de ses compagnons d'armes l'a décrit comme "profiteur de la guerre".

Ces carnets note Sartre, tout en pouvant "contenir des passages emmerdants" pour l'homme lettré, "seront tout un petit traité de philosophie. Plus encore, les Carnets seront souligne Louette "le moteur longtemps caché de toute l'oeuvre de Sartre (...). Ils sont le laboratoire et le réservoir de l'oeuvre à venir: sa cellule de compression et de propulsion".

L'éveil de la conscience politique de Sartre s'est fait avec la guerre. Et, Les Carnets ont été en quelque sorte la phase préparatoire des Mots. Si l'oeuvre des Carnets peut être définie comme un autoportrait, le texte Les Mots est plus proche de l'autobiographie.

Du philosophe à l'écrivain

Avant d'écrire Les Carnets, Sartre a axé son oeuvre d'un point de vue essentiellement philosophique. En 1943, il écrit L'Etre et le Néant et en 1945, L'Existentialisme est un humanisme. La pensée sartrienne s'est opposée aux deux grands courants traditionnels: le matérialisme et l'idéalisme. Utilisant la phénoménologie d'Husserl et la pensée d'Heidegger, "il épuisait et transformait les modernités" note le philosophe François Noudelmann. 

En 1947, Sartre écrit Qu'est ce que la Littérature publié en plusieurs fois dans la revue Les Temps Modernes, fondée par Sartre lui-même en 1945. Dans cet essai, Sartre répond aux questions: Qu'est ce qu'écrire? Pourquoi écrire? Pour qui écrit-on? En 1964, Sartre donne alors avec Les Mots, souligne Jean-François Louette le chef d'oeuvre de l'autobiographie en France et Claude Burgelin définit  Sartre comme l'auteur de l'oeuvre autobiographique la plus importante peut être de la littérature française.

La figure de l'intellectuel engagé

Manifeste de la littérature engagée, Qu'est ce que la littérature? révèle la quête d'un penseur passionné par l'époque dans laquelle il vit. Sartre indique alors dans cet essai la route à suivre pour tout écrivain de son temps.

Après Les Temps Modernes, c'est avec Serge July, Philippe Gravi, Bernard Lallement et Jean-Claude Vernier que Sartre lance le quotidien Libération au Printemps 1973. Il restera jusqu'à aujourd'hui pour certains journalistes "l'ami, le fidèle, le protecteur, le parrain attentif" moins que le fondateur. Sartre a laissé pour Libération des traces profondes.  Sartre sera aussi "l'intellectuel pratique, engagé concrètement et physiquement dans son domaine de compétence". Malgré les contraintes du déterminisme, l'homme reste avant tout, libre.

Etudier Sartre aux Etats Unis à l'ère Obama

C'est aux Etats Unis que "paradoxalement (si l'on songe à la doxa qui tend à présenter Sartre comme l'archétype de l'intellectuel anti-américain), l'oeuvre sartrienne vit ses années les plus fécondes" souligne Annie Cohen-Solal. C'est à Memphis au Tennessee en novembre 2009, pendant la réunion annuelle de la North American Sartre Society, que Cohen-Solal se rend compte "qu'à la lumière de l'ère Obama, la voix de Sartre était plus présente que jamais outre Atlantique".

Intéressant de constater que l'oeuvre du penseur français résonne en Amérique. Annie Cohen- Solal va jusqu'à entendre des échos sartriens dans les discours et les textes du président Barack Obama. L'autobiographie de ce dernier Dreams from My Father où il écrit: "Il y a longtemps que j'ai appris à me méfier de mon enfance et de toutes les histoires qui l'ont façonnée" fait en effet écho aux textes de Sartre et notamment aux Mots.

Pour un retour à Sartre?

Dans une France de tradition symbolique, Sartre apparaît comme un personnage suspect. Ses engagements politiques manquèrent singulièrement les rendez-vous de l'histoire et certains lui reprochent d'avoir beaucoup emprunté à Heidegger et de ne pas avoir été le grand inventeur d'une pensée nouvelle. Pourtant aujourd'hui,  la question du retour à la pensée de Sartre se pose. "Sartre a été ce génial expérimentateur qui voulait changer le monde à mesure qu'il en découvrait les situations, les sens et les langages". Changer le monde et son langage, approcher la liberté de l'homme... cet existentialisme place le genre humain en son centre. Il n'est pas inutile de s'en souvenir. La postérité ne retiendra pas peut-être le philosophe, mais redécouvrira l'écrivain...