«Post-Digital Print»

Imprimé et numérique: vers une alliance des frères ennemis?

Dans Post-Digital Print, sous-titré La mutation de l'édition depuis 1894, Alessandro Ludovico annonce « l'ère du post numérique » avec l'hybridation de l'imprimé et des écrans. Un peu osé comme hypothèse, alors qu'imprimé et digital apparaissent traditionnellement comme opposés. Lorenzo Soccavo, spécialiste de la prospective du livre, s'est intéressé à cette thèse audacieuse. Il y voit même les prémisses d'une convergence inédite entre les deux frères ennemis.

L'incipit du livre est percutant : « Nous le savons tous : le texte imprimé est mort. ». Et le reste des 208 pages prouve le contraire. Leur auteur, Alessandro Ludovico, est rédacteur en chef de la revue (imprimée) Neural, traitant esthétiquement depuis 1993 des rapports entre l'art et les nouveaux médias. Il connaît parfaitement la fine fleur internationale des revues d'art issues de la mouvance des fanzines et autres publications interlopes de la culture underground. Et s'il en retrace ici l'histoire en filigrane, c'est pour mieux inscrire les actuelles mutations dans son prolongement.

Quand le téléphone devait tuer le papier...

Mais d'abord, pourquoi ce sous-titre : La mutation de l'édition depuis 1894 ? Parce que cette année-là dans la collection Contes pour bibliophiles, deux littérateurs en quête d'audience, Octave Uzanne et Albert Robida annoncèrent La fin des livres, qui allaient inévitablement disparaître avec… le téléphone.

La littérature audio connaît certes en cette année 2016 un intéressant regain de développement et d'intérêt, mais nous n'en sommes cependant toujours pas au point qu'elle supplante l'imprimé. Ni plus ni moins cependant, c'est à noter, que l'édition numérique.

Le téléphone n'a pas tué le papier, donc, et la radio n'a pas fait disparaître les journaux. Certes ! Mais de telles constations peuvent-elles vraiment nous permettre d'anticiper aujourd'hui, au 21e siècle, ce que nous constatons cependant jour après jour depuis quelques années déjà, à savoir ce que, bien plus précisément que le numérique, ce que la connexion permanente et la saturation de notre attention font à… la lecture en général ? Ne s'agit-il pas là de vains mantras, une manière comme une autre de nous dire : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien ?

Prospérité du Coup de dé de Mallarmé

Une vision transhistorique, qui dépasse le cadre strict de l'histoire d'un domaine précis, pour s'intéresser aux météores culturels, c'est-à-dire aux phénomènes sociaux, aux mouvements artistiques et idéologiques, nous donne très vite un autre regard.

Par exemple, en 1897 le poète symboliste Mallarmé avec son Un coup de dés jamais n'abolira le hasard donne un coup de pied dans la fourmilière typographique. L'exemple est aujourd'hui banal, mais sa signification n'en est pas pour autant à négliger.

Depuis l'invention des écritures les hommes ont sans cesse cherché à dépasser les limites des supports et des dispositifs de lecture, et à développer les possibilités de reproduction et de diffusion.

C'est à cette source immémoriale que puise Alessandro Ludovico dans cet essai abondamment illustré de petites vignettes noir et blanc. C'est sur ce chemin qu'il promène son miroir pour nous inciter à réfléchir à la suite de cette histoire, celle de notre civilisation de l'écrit.

Le papier : de l'encre à l'ancre 

Le raisonnement est subtil, il se tient sur la corde raide d'un paradoxe : s'il s'agit tout au long d'un habile plaidoyer pour le papier, le fond de son argumentation n'en repose pas moins en permanence sur la mise en lumière des nombreuses initiatives par lesquelles, depuis des siècles, de petites élites artistiques et idéologiques ont sans cesse œuvré à en dépasser les limites.

Aujourd'hui, les recherches les plus avancées, notamment celles sur les encres électro-conductrices et l’électronique imprimée, s'inscrivent à leur tour dans ce mouvement de l'histoire des techniques. Alessandro Ludovico ne va pas aussi loin dans la prospective qui n'est pas son terrain, mais le titre même de son essai : Post-Digital Print, désigne clairement cet horizon d'une sublimation de l'imprimé plutôt que d'une bête disparition.

L'essentiel, en effet, n'est pas tant le support papier, tel que nous le connaissons et qui a évolué au fil des siècles, que les nouvelles possibilités techniques d'impression et de reproduction.

Il n'est pas impossible que des communautés utilisent toujours, aujourd'hui comme demain, l'imprimé comme véritable réseau social pour se reconnaître autour d'une passion militante, artistique ou autre. Peut-être finalement passerons-nous dans une ère nouvelle, mais où pour certains insoumis le papier ne sera pas remplacé par des gadgets informatiques connectés, profilant et géolocalisant leurs utilisateurs, et au cours de laquelle, comme par le passé, des auteurs et des lecteurs développeront des stratégies de contournement des voies balisées pour la circulation contrôlée des contenus.

>Alessandro Ludovico, Post-digital Print, La mutation de l'édition depuis 1984, Editions B42

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Lorenzo Soccavo est chercheur associé à l'Institut Charles Cros, rattaché au séminaire Ethiques et Mythes de la Création, conférencier et prospectiviste du livre et de la lecture à Paris.
>Suivre les travaux de Lorenzo Soccavo sur son blog : Prospective du livre

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