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Patrick Lapeyre couronné par le Prix Fémina

Le jury du prix Fémina vient de couronner Patrick Lapeyre, pour La Vie est brève et le désir sans fin.  Un livre sombre et puissant qui nous a particulièrement touchés, fresque douce amère, qui oscille entre drame et humour sur fond d'amour et de quête de soi ....

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D'abord un titre, un des plus beaux de la rentrée probablement: La Vie est brève et le désir sans fin que l'auteur Patrick Lapeyre emprunte au poète japonais Issa. Si le Japon est une des grandes passions de l'auteur, le lecteur de ce dernier ouvrage ne quittera pourtant pas les portes de l'Europe, évoluant entre la France, l'Angleterre et un peu l'Italie. Une femme réapparaît avec deux ans de retard tandis que deux hommes tentaient de l'oublier. Et juste à ce moment là, ils retombent, se rendent et replongent, émus comme des jeunes gens par le cinéma déployé par la manipulatrice.
La vie est brève et le désir sans fin ou l'histoire de deux hommes qui partagent une même femme, Nora Néville.
Le premier s'appelle Louis Blériot comme le fameux aviateur. C'est cet homme du début du texte qui passe sous les nuages dans une voiture et se laisse transporter dans une existence qu'il ne maîtrise pas. L'autre est Murphy. Il vit à Londres, travaille dans la finance. Entre les deux personnages, cette femme énigmatique et instable qui passe des bras de l'un à ceux de l'autre aussi facilement qu' elle traverse la Manche.

Blériot rencontre Nora chez les Bonnet-Smith, "des Verdurin au petit pied", écho à l'auteur de La Recherche du Temps Perdu qui a merveilleusement écrit sur les souffrances de l'amour. Nora Néville est fine, légère. Ses goûts subtils vont vers le théâtre de Tchechov et la peinture de Bonnard. Libérée et délurée, elle attire le désir. Blériot a la brutale certitude que Nora lui est destinée, que c'est inévitable. Si il semble ne jamais rien remarquer, cette fois pourtant, il note chez cette jeune femme croisée dans un jardin "ses lèvres desséchées", "ses joues pâles et soyeuses" et "son léger voile de taches de rousseur sous les yeux". Autant de détails libérant l'érotisme et tissant différents motifs tout au long du texte.


Faiblesses de l'homme contemporain.


Si Blériot est infiniment tourmenté, sa femme, elle, apparaît comme son contraire: "élégante, physiquement attrayante, intellectuellement stimulante. Visiblement elle savait ce qu'elle voulait". Lorsqu'il rencontre Sabine, il n'éprouve pas réellement de désir mais davantage "un sentiment bizarre de vertige et de soumission". Puis, la vie passe, "le jour ils s'évitent, et la nuit, ils reposent sur leur lit comme deux blocs de solitude séparés par une incompréhension sans fin." Blériot ne sait plus si c'est le fait de la quitter qui l'angoisse ou de vieillir à ses côtés. En cette époque contemporaine, la fluidité du monde est telle que l'on sort d'une vie comme on quitte une pièce. Blériot sait aussi bien être abattu qu'infiniment léger et se jouer de tout lorsqu'il est avec Nora.
Au fond, il est éternellement ce jeune innocent qui ne sait ni vieillir ni choisir. Les mensonges s'éliment "puisque l'amour est sans solution". Prisonniers de leurs désirs, ces hommes évoluent dans l'existence, en perpétuelle attente qu'il se passe quelque chose dans leur vie. Ils combattent le vide du monde et cette indécision qui les mine.
Murphy comme Blériot sont deux êtres infiniment seuls dans deux villes où l'anonymat et l'égoïsme sont rois. Difficile de ne pas trouver pathétique la scène où Murphy partage son sandwich avec ce chien efflanqué et borgne, ressemblant à la réunion de deux chiens en un, à qui il finit par parler. Dans le cas des deux personnages, se lit comme une irrépressible fuite en avant qui s'accélère au fil du livre. Pensons encore à Blériot qui devant le cinéma avec sa femme n'affronte pas la situation, "fait un pas en arrière, puis deux, puis trois". Il veut à tout pris s'effacer, disparaître et pourtant revient, abattu, sa femme ne sachant que dire, seulement sans même le regarder qu'il l'inquiète. Une profonde tristesse s'empare du texte, portée par ce doute permanent allié comme en un diptyque à une tonalité qui joue avec le fantastique. D'un épisode de Star Trek qui intervient tout à coup alors que Blériot est avec sa femme, cette réplique "Grâce à Spock, tout est bien qui finit bien" ou encore les éclats de rire de Nora, le texte sait aussi habilement jouer avec la dérision.

Désillusion de ces hommes perdus face à Nora mais aussi à un environnement de femmes redoutables. Pensez à l'impressionnante Melle Anderson, la supérieure hierarchique de Murphy, à Sabine, la femme de Blériot ou encore à Kate Meelow devant son bureau dès sept heures du matin et levée en pleine nuit pour voir l'ouverture des premiers marchés financiers asiatiques. Que les hommes semblent faibles par rapport à ces créatures féminines qui imposent leur liberté.

 

Murphy

Passant de Leibnitz à la Bible, l'univers de Murphy quant à lui est assez sérieux . Quitté par Nora sur un coup de tête, il reprend sa vie à la City dans un monde qui le tient en éveil. Lorsque la belle réapparaît, rien n'a changé dans le meilleur des mondes. Tout apparaît normal et peut recommencer . Nora a d'abord envie de prendre une douche et d'aller dîner dans le restaurant où ils avaient l'habitude d'aller. Et Murphy de répliquer: mais bien sur ma chérie comme tu voudras. L'ascendant de cette femme sur lui est tel qu'il la laisse totalement mener le cours des choses. Et lorsqu'il ose lui demander pourquoi elle est partie, elle répond négligemment, "Pour avoir le plaisir de revenir et de te retrouver." Puis quand arrive l'addition, "il paie pour qu'elle reste avec lui". Si de ces situations se déploie au fond une infinie tristesse, le lecteur ne peut toutefois s'empêcher de sourire. Lapeyre joue sur un texte en noir et blanc où l'insouciance de Nora passe comme un voile léger sur le temps, un souffle d'insouciance dans un quotidien si triste. Qu'importe d'attendre longtemps, pourvu qu'elle revienne. Elle rêve de devenir comédienne et fait de ses relations un véritable film où elle se joue de tout. Une ambivalence permanente tient le texte qui fluctue entre drame et comédie.  Il semble encore à chaque moment que quelqu'un est là qui guette, qui surveille l'interdit. Au bas de son immeuble lorsqu'il rentre chez lui, Blériot cache et range comme un malfaiteur les objets qui l'ont accompagné pendant ses retrouvailles avec Nora. Le texte ne laisse rien au hasard. Mieux, il appuie sur ce qui fait mal, sur le malaise ressenti par l'adultère. Ce motif aussi bien dévoilé est assez rare dans la littérature. Ainsi Blériot lorsqu'il rentre chez lui "a la gorge sèche et les tempes qui battent".


Elégance des détails


Lorsque Blériot quitte les Lilas après avoir revu Nora, il prend un taxi et le texte souligne comme une suite de touches que le chauffeur vietnamien porte des gants blancs. Subtil, élégant comme l'ensemble du texte de Patrick Lapeyre qui joue en permanence sur les atmosphères poétiques. La musique de Massenet accompagne la solitude de Blériot et hante les pages du roman comme l'expression de l'amour impossible. Lorsqu'il se trouve dans le train qui le mène chez ses parents, il pense encore que "tous les hommes ont la nostalgie de ce temps énorme où la vie avait encore l'élasticité du possible."

L'appel du fantastique


Enfin, dans les dernières pages du livre, Lapeyre s'amuse à retourner la situation. Il démontre alors le pouvoir de l'écriture. En deux pages comme un pied de nez magistral, il évoque la possibilité d'un autre monde où Nora a toujours été seule et a joué dans deux ou trois films. Le texte passe tout à coup à un mode quasi fantastique, ouvrant les possibilités d'un "monde superposé aux autres".

La vie est brève et le désir sans fin
nous offre une réflexion sur l'amour contemporain en ces temps de crise où l'homme recherche à tout prix son identité. Si le texte se termine comme une fantaisie, n'est-ce point pour rappeler qu'avec les mots, on peut indéfiniment modifier le puzzle de la vie?

En savoir plus

Patrick Lapeyre, La vie est brève et le désir sans fin, POL.

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