Chronique

Mark Greene lit Christophe Donner

Dans ses chroniques, Mark Greene pose un regard d’écrivain sur la littérature d’aujourd’hui. Cette fois-ci, il se penche sur « Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive » de Christophe Donner(Grasset).

J’ai tapé « roman stupide » sur Google. Apparemment, il n’existe que trois romans contenant le mot stupide dans leur titre. Mon chien Stupide, de John FanteComment je suis devenu stupide, de Martin Page et celui-ci. C’est peu, donc c’est bien.

Stupide vient du latin stupidus : engourdi, paralysé. C’est assez décalé, car le personnage principal du livre, celui qui exerce le fameux « métier » -producteur de cinéma- est l’inverse d’un homme paralysé. C’est un type très intelligent et très mobile, très ardent et très impossible.

Il s’appelle Jean-Pierre Rassam. Il est né à Beyrouth en 1941, mort à Paris en 1985. Il a produit Pialat, Godard, Eustache, la Grande Bouffe. Il vivait au Plaza-Athénée. Il adorait le cinéma et, accessoirement, les prostituées, la dope et le haut-brion. Il ne s’excusait jamais. Le roman raconte son histoire.

Excès de vie

C’est une histoire à peine romancée, avec des personnages qui ont bien existé, qui ont fait les belles heures du cinéma français des années soixante-dix et qui sont presque tous morts aujourd’hui, tant mieux pour eux. Une histoire qui coupe et qui brûle, joyeuse et noire bien qu’elle se déroule dans les beaux quartiers, entre l’avenue Montaigne et l’Etoile. Quand les Champs-Elysées ressemblaient encore à ceux d’A bout de souffle… Une histoire de vie, donc, ou d’excès de vie, dans une ville qui n’était pas un parc à thème. Avant la mondialisation... Juste avant que ça bascule.

L’histoire, bien sûr, est celle d’une ascension et d’une chute (c’est tout ce qu’on aime, non ?). Ça commence par une partie de poker, pendant laquelle Rassam fait la connaissance de Claude Berri, acteur et réalisateur débutant. Ils deviennent inséparables, se lancent dans la production, rencontrent le succès, se disputent. Berri, plus raisonnable, produit les Charlots, pendant que Rassam veut faire sa révolution, se lance à l’assaut de la Gaumont, forteresse du cinéma hexagonal, dit du mal de tout le monde et se brûle les ailes...

Du style

Des fantômes traversent le roman : le producteur Raoul Lévy, suicidé devant la porte d’une starlette ; l’agent, producteur et éditeur situationniste Gérard Lebovici, autre figure incandescente de l’époque, assassiné dans un parking... 

Il faudrait, ici, évoquer plus longuement la figure du cosmopolite, l’opposer à celle du villageois global, dépourvu d’espace et de corps, incapable de se mettre en danger et, pour le coup, totalement paralysé.

Le livre a du style, comme le personnage. Enlevé, rapide, on ne s’ennuie jamais. Ça souffle fort, à chaque page : il y a de l’air, des coups de vent, des bourrasques.

J’avais un doute : les romans inspirés de faits réels, cela se fait beaucoup en ce moment. Facilité, manque d’imagination (des auteurs ou, plus grave, des lecteurs) ? Celui-ci m’a fait changer d’avis. Je retire ce que j’ai pensé.

Un regret

Mon seul regret : Christophe Donner. J’avais envie de faire sa connaissance. La photo du bandeau est très belle. Il y a dans cette tête, dans ces yeux, de la lame et du fouet. Mais la tornade Rassam emporte tout. Rassam ramasse, comme il aimait à dire… Il prend toute la place. Christophe Donner, j’ai l’impression de l’avoir croisé dans une porte tambour. Celle d’un grand hôtel, peut-être... On a échangé un regard, mais la porte a tourné trop vite. Tant pis. On se reverra.

>>Christophe Donner, Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, Grasset, 19 euros

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Mark Greene est né à Madrid, d’un père américain et d’une mère française. Il a publié, notamment, Les Maladroits (Fayard) et Le Ciel antérieur (Seuil), ainsi qu’un recueil de nouvelles, Les Plaisirs difficiles (Seuil).

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