Mario Vargas Llosa : l'écriture lumineuse

Le pouvoir des livres 

Mario Vargas Llosa est né en 1936 à Arequipa au Pérou. Seul avec sa mère, on lui fera croire jusqu'à dix ans que son père est mort. Ce dernier revient pourtant habiter avec lui et sa mère ce qui forge au jeune garçon un caractère sans concession et une soif de convictions. Dès l'âge de cinq ans, à Cochabamba en Bolivie qu'il décrit comme son paradis de l'enfance, il commence à lire, soulignant: "Un événement majeur (...) la découverte de la lecture.(...) La lecture devint une expérience fascinante, obsédante. Avant chaque Noël, je me rappelle que je demandais toujours que le petit Jésus m'apporte des livres. Je me rappelle m'être réveillé un 25 Décembre, entouré de livres dans mon lit, une scène inoubliable."

Le romancier

Monstre d'écriture, l'auteur de La Tante Julia et le Scribouillard rejoint les deux autres grands écrivains sacrés de la littérature sud américaine Gabriel Garcia Marquez et Octavio Paz avec ce Prix Nobel.
Mario Vargas Llosa est un écrivain visionnaire qui de livre en livre insuffle les contradictions et les merveilles de l'Amérique latine. Immense travailleur, son texte est toujours en devenir. Titulaire de quarante doctorats, sa vie est recherche, son monde est pensée. Son oeuvre est marquée par une fascination pour la diversité du monde et ancrée dans une réalité très forte à laquelle il mêle les aspects d'un baroque saisissant. Avant tout Vargas Llosa est un raconteur d'histoires. Il aime créer des univers, animés par des convictions très fortes.
Avec la publication de La Ville et les Chiens en 1963, sa carrière littéraire s'envole. Ce tout premier roman obtient un fort succès, traduit très rapidement en une vingtaine de langues. Fantaisie et réalisme scandent les textes de Vargas Llosa qui est encore un grand amoureux des romans de chevalerie. Ses héros note Cueto, "sont d'une certaine façon des chevaliers errants qui défient les forces du mal incarnées dans la violence et le pouvoir."
 

L'espace

Inévitablement, la littérature latino-américaine doit parler selon Vargas Llosa de politique et du pouvoir. La question de la liberté est un sujet qui pose problème. Chroniqueur des luttes humaines, son oeuvre est  inspirée de la part fantastique d'une littérature particulière mais il la dépasse en ajoutant la réalité pure

L'espace dans les textes de Vargas Llosa est extrêmement travaillé. Pensons aux descriptions de Miraflores dans Tours et Détours de la Vilaine Fille. Tout s'exprime à travers la nature et ses fantaisies, la ville et ses paradoxes. Lorsqu'il parle de l'élaboration de ses textes, il dit tracer des itinéraires pour ses différents personnages. Ils doivent voyager et ce sont ces cheminements qui intéressent l'auteur. Le lecteur est convié à partager des détails précis, des odeurs, des saveurs, des images. L'oeuvre de Vargas Llosa est marquée par de grandes scènes dans des espaces extérieurs. Pensons aux forêts du haut Maranon dans La Maison Verte et ces atmosphères si particulières qui scandent les récits. Dans Lituma dans les Andes, il est une scène angoissante où Lituma pense qu'un tremblement de terre est sur le point d'arriver. La force de la nature est telle, l'individu si faible. Et, après cette épreuve l'immense bonheur de se sentir vivant et d'être accepté par les lieux. Marie-José Sirach dans l'Humanité note encore cette remarque très juste que l'auteur "poursuit en littérature comme on avance dans la forêt vierge, débroussaillant tous les sentiers possibles de la géographie mentale qui épouse la cartographie accidentée de son pays natal."
 

Passionné par l'utopie

La clé de son oeuvre serait-elle dans son ouvrage La Tentation de l'Impossible, où le texte et l'homme se confondent dans le même personnage. Dans un entretien accordé à L'Express il note "nous avons besoin d'utopie, besoin d'une réalité différente de celle dans laquelle nous vivons, c'est le plus humain des attributs. (...) dans les domaines individuel et artistique, l'utopie est parfaitement légitime et engendre des réalisations extraordinaires". Vargas Llosa, d'oeuvre en oeuvre qualifie l'utopie qui le caractérise où l'aventure est un des éléments moteurs.  L'auteur aime souligner qu'il a toujours pensé être devenu romancier à défaut d'avoir pu être aventurier. Enfin, comme le note encore Cueto "la tension des romans de Vargas Llosa est fondée sur l'alternance entre les effets destructeurs d'une réalité oppressive, d'une part, et la manifestation par des individus de leur idéal utopique, de l'autre."
 

L'engagement de la littérature

Vargas Llosa donne ainsi une mission à la littérature. Celle de "contester la réalité en en peignant d'autres". L'écrivain prend avec lui ce choix formidable de l'écriture pour prôner la liberté avant tout. Par la littérature, l'écrivain transgresse le pouvoir. Les rapports incessants des personnages de ses textes avec ce dernier se posent alors en miroirs avec en perspective la quête infinie de liberté.
 

Fascination pour Paris et la littérature française

Vargas Llosa dévore très jeune les auteurs français du XIXème siècle et n'a qu'une idée: découvrir Paris. Inscrit à la fin des années 1950 à un concours organisé par le Revue Française, il remporte un séjour d'un mois à Paris. Il restera sept ans: "Mes sept années parisiennes furent les plus décisives de ma vie. C'est là que je suis devenu écrivain. En effet, c'est là que j'ai découvert l'amour passion dont parlaient tant les surréalistes, là que j'ai été le plus heureux, ou moins malheureux que nulle part ailleurs." Sa rencontre avec Jean Paul Sartre va notamment avoir beaucoup d'influence. Rappelons aussi que comme l'écrivait Octavio Paz, Paris était alors capitale de la culture latino-américaine. Les écrivains et les artistes s'y fréquentaient alors que dans leur propre pays c'était impossible. Enfin, la France est encore la patrie de Flaubert dont l'écrivain affectionne tant l'oeuvre ainsi que celle de Victor Hugo; deux auteurs sur lesquels il a écrit des essais remarquables. Cette admiration s'explique encore à travers les personnages de Madame Bovary et Jean Valjean qui "appartiennent à la race des transgresseurs.". Or, lorsqu'il reçoit le Prix Romulo Gallegos, Vargas Llosa rappelle Alonso Cueto, "affirma que la littérature est feu" et "annonçait ainsi ses personnages transgresseurs mais aussi sa conception de la création comme acte de défi."

La dimension politique: Un homme libre

Si la révolution cubaine l'a séduit, si l'idéologie marxiste l'a profondément marqué, il peut néanmoins changer fondamentalement de voie jusqu'à fonder le mouvement de droite libérale Libertad et se présenter en 1990 comme candidat à l'élection présidentielle. Son engagement dans la politique, même si il fut finalement inutile a été pour lui très instructif. Pendant trois ans, il a beaucoup appris.Il a vécu cette entrée dans la politique davantage comme une expérience que comme une fin en soi. Il ne mâche pas ses mots lorsqu'il dit encore à Catherine Argand dans l'Express: "L'écrivain, et plus généralement l'artiste, ne se résigne pas à la médiocrité. Or, la démocratie s'apparente directement à la médiocrité (...) Et c'est ce rejet de la médiocrité, ce goût immodéré pour les extrêmes apocalyptiques, les révolutions à fleur et à fusil qui prétendent établir la perfection, matérialiser l'absolu, qui poussent les artistes dans les bras des monstres totalitaires." Si la politique est du côté de la raison, l'écriture, elle se place plutôt du côté de la passion. Or,toute l'ambiguïté et la force de l'écrivain sont recueillies dans ses choix -là.