Projecteur

Marguerite Yourcenar, l'oeuvre d'une femme libre

Marguerite Yourcenar est la première femme à entrer à l’Académie Française en 1980. Célèbre en particulier pour ses romans Mémoires d’Hadrien  et l'Oeuvre au noir, elle apparaît comme une figure majeure de la littérature du XXème siècle. On l’a dite érudite, savante, humaniste, classique… Autant de qualificatifs qui tentent de la définir, sans jamais y parvenir tout à fait. Et cela n’est pas  étonnant, pour une femme qui a toujours refusé d’entrer dans des cases, afin de mieux préserver sa liberté. Plusieurs événements remettent la grande écrivaine insoumise sous les feux des projecteurs. Une occasion de revenir sur son extraordinaire parcours.

Portrait de Marguerite Yourcenar extrait du documentaire "Marguerite Yourcenar, alchimie du paysage " Portrait de Marguerite Yourcenar extrait du documentaire "Marguerite Yourcenar, alchimie du paysage "

Une vie riche de livres et de voyages : la formation d’un esprit libre

Marguerite Yourcenar, de son vrai nom Marguerite de Crayencour, naît en 1903 à Bruxelles. Elle est élevée par sa grand-mère paternelle et  par son père, qui aura une très grande importance dans sa vie. C’est avec lui qu’elle choisit son pseudonyme « Yourcenar », anagramme à une lettre près de son nom de famille « Crayencour ». C’est avec lui qu’elle entreprend de nombreux voyages : Londres, le midi de la France, la Suisse, l’Italie. C’est encore avec lui qu’elle découvre à Tivoli la « Villa Hadriana », cette demeure construite par l’empereur Hadrien au IIème siècle, où se déroule la fin des Mémoires d’Hadrien.

Les voyages forment la jeunesse, et les livres aussi. Yourcenar est une grande lectrice et une grande lettrée. Durant sa jeunesse, elle se plonge dans les grands classiques de la littérature, apprend le grec, le latin, s’intéresse à l’histoire… Littérature et érudition iront de pair tout au long de sa vie et de son œuvre.


L'exil américain 

En 1939, elle quitte l’Europe pour rejoindre sa compagne Grace Frick aux Etats-Unis. Elle se fait naturalisée en 1947 en prenant officiellement le nom de « Yourcenar ». En 1950, elle s’installe sur une petite île de l’Etat du Maine, l’île des Monts Déserts. Elle y apprécie une vie simple, proche de la nature et des gens. Elle refuse la frénésie de la société de consommation. Dans Les Yeux Ouverts, l’ouvrage qui contient ses entretiens avec Matthieu Galey, elle avoue ne jamais rien acheter sans se demander  au préalable si elle ne pourrait pas s’en passer : « Pourquoi ajouter à l’encombrement du monde ? ». Yourcenar cherche à être un esprit libre, sans rien pour le limiter ou l’emprisonner.

Ses premières œuvres : richesse et diversité

Son premier texte est un poème dialogué, intitulé Le Jardin des Chimères et publié à compte d’auteur en 1921, alors qu’elle n’a dix-huit ans.

En 1929, elle publie son premier roman, Alexis ou le Traité du Vain Combat. Un homme, Alexis, écrit une longue lettre à sa femme pour lui révéler son homosexualité, cause de son départ.

Les Nouvelles Orientales, en 1938, se présentent comme un recueil de nouvelles inspirées de ses voyages et nourries de sa passion pour l’Orient. En effet, Yourcenar s’intéresse de près à la littérature et la culture orientales. Elle s’initiera d’ailleurs au bouddhisme. La sagesse orientale  se superpose à la philosophie antique. C’est cette matière, dense et multiple, qui nourrit ses textes et innerve sa vie.

En 1939, Le Coup de Grâce retrace l’histoire et les souvenirs de guerre d’un officier prussien blessé pendant la guerre d’Espagne. Yourcenar signe un roman qui met la guerre au premier plan et se fait l’écho d’une situation internationale en crise. 

Mémoires d’Hadrien : le roman  de la maturité  

C’est en 1951 que parait le chef-œuvre de Yourcenar, les Mémoires d’Hadrien. Mais son histoire commence de nombreuses années en amont. L’idée de ce texte lui est venue lors de sa visite de la Villa Hadriana à l’âge de vingt ans. Ce lieu la touche profondément car elle y ressent la présence de l’empereur. Elle décide alors de se lancer dans des recherches approfondies sur sa vie. Elle découvre les nombreuses réformes entreprises par l’empereur, sa politique de grands travaux,  le long travail de pacification de l’Empire, son histoire d’amour passionnée et tumultueuse avec le jeune Antinoüs.... Yourcenar se passionne pour ce grand personnage et épuise toutes les sources biographiques à son sujet. Son but est de créer ce qu’elle appelle la « magie sympathique », cette capacité à « se transporter en pensée à l’intérieur de quelqu’un ».

Mais malgré son travail de recherches, elle ne parvient pas à écrire son roman. Elle l’envisage sous une forme dialoguée mais ne parvient pas à le mettre en forme. Elle abandonne donc son projet.

Puis, des années plus tard, une coïncidence a lieu, un véritable coup du sort.... Yourcenar retrouve chez elle une vieille malle oubliée. A l’intérieur, de nombreuses choses sans importance qu’elle s’apprête à brûler et… des pages du manuscrit d’Hadrien, entamé presque vingt ans plus tôt. Elle les relit et le déclic se produit.  Du temps s’est écoulé, beaucoup de choses sont arrivées dans le monde et dans sa vie… Yourcenar peut envisager ce roman avec un nouveau regard et une nouvelle maturité. La maturité, c’est ce qui lui manquait à vingt ans : « J’étais trop jeune. Il y a des livres qu’on ne doit pas oser avant d’avoir dépassé quarante ans ».

 Elle oublie son idée de forme dialoguée et opte pour une narration à la première personne. Par ce choix, elle cherche à s’effacer le plus possible en tant qu’écrivain pour laisser s’épanouir la voix d’Hadrien. Elle a trouvé le point de vue, et le point de départ, de son roman. Hadrien est proche de la mort.  Depuis sa villa, il décide d’écrire à Marc-Aurèle, destiné à lui succéder. Il lui livre son expérience et ses réflexions autour de sujets aussi divers que la politique, le pouvoir, l’amour, la vie, la mort.   

Le succès d’un chef-d’œuvre

Dès sa parution, le roman connait un succès retentissant. Critiques et lecteurs se mettent d’accord sur les nombreuses qualités des Mémoires.

  • L’érudition

Le roman est incroyablement précis et documenté. La vie de l’empereur est reconstituée avec une grande exactitude. Certes, l’exactitude ne peut être totale quand il s’agit d’un sujet historique aussi ancien. Yourcenar avoue avoir dû composer avec les lacunes de l’histoire et la pauvreté des sources. Mais grâce à la « magie sympathique », elle est parvenue à se mettre à la place de l’empereur et à combler les zones d’ombre par sa connaissance intime du personnage.

  • La portée morale et intellectuelle.

Mémoires d’Hadrien est à coup sûr un livre qui fait réfléchir. Ce qui intéresse Yourcenar en Hadrien, c’est certes l’empereur, mais aussi l’homme. Dans le roman, Yourcenar prête à son personnage une posture rétrospective : l’empereur voit approcher sa mort et peut jeter un regard d’ensemble sur sa vie. Il est ainsi capable de formuler de nombreuses réflexions d’ordre philosophiques et anthropologiques, nourries par son expérience et sa sagesse. Cette attention portée à l’Homme a valu à Yourcenar d’être considérée comme un auteur humaniste, un auteur qui place l’homme  au centre du système, qui l’aime et le respecte dans sa grandeur comme dans sa petitesse.

  • Le style 

Le style de Yourcenar apparaît comme une exception dans le champ littéraire de l’époque. On peut le qualifier d’épuré, de savant, voire d’alambiqué. Certains ont  même parlé de « classicisme » pour définir son écriture. En effet, on sent dans les Mémoires d’Hadrien un grand amour des mots et de la formule, au sens quasi rhétorique du terme. Le vocabulaire est recherché, les phrases longues et complexes, les références innombrables... De cette écriture volontairement dense ressort parfois une impression de pesanteur.  On peut en effet trouver dans la prose de Yourcenar une trop grande rigueur, un manque de « lâcher prise ». Tout semble devoir rester sous contrôle. Ce style, s’il ne peut être du goût de tous, est en tout cas la touche de Yourcenar, en parfaite adéquation avec sa grande érudition mise au service de la littérature. 

Hadrien, Zénon, Nathanaël : l’importance de garder « les yeux ouverts »  

Après les Mémoires d’Hadrien, d’autres grands romans vont  venir s’inscrire dans la même lignée. Yourcenar semble continuer une même et unique réflexion, en faisant varier les lieux et les époques.

En 1968 paraît l’Œuvre au noir. L’intrigue se déroule pendant la Renaissance. Zénon est un clerc, un médecin, un philosophe et un alchimiste. Avant tout, il est un humaniste en quête de liberté confronté à l’obscurantisme de son époque.

Dans un Homme obscur (1981), Yourcenar nous transporte cette fois-ci au XVIIème siècle, en Hollande, aux côtés de Nathanaël, un homme simple et sans culture. Pour l’auteur, ce roman raconte  l’histoire d’un « homme à peu près inculte, formulant silencieusement sa pensée sur le monde qui l’entoure (…) levant sur le monde un regard d’autant plus clair qu’il est dépourvu d’orgueil. »

Hadrien, Zénon, Nathanaël sont trois hommes en quête de liberté et de lucidité. La lucidité, voilà peut-être le maître mot de l’œuvre et de la vie de Yourcenar. Il s’agit pour elle comme pour ses héros de vivre et de mourir  « les yeux ouverts », sans être piégés par les illusions ou les préjugés. L’expression « les yeux ouverts » est d’ailleurs la formule finale des Mémoires d’Hadrien, preuve de son sens symbolique.

Replonger dans l’œuvre de Yourcenar

Marguerite Yourcenar continue de faire parler d’elle et se trouve au centre de nombreux évènements de l’actualité littéraire.  

Le prix Marguerite Yourcenar a vu le jour en 2015. C’est l’écrivain Pierre Michon qui a eu l’honneur de le recevoir pour la première édition.  

Deux expositions lui sont consacrées en ce début d’année, dans le Nord : « Marguerite Yourcenar aux Archives du Nord. Trésors du fond Bernier / Yourcenar ». Jusqu’au 21 février 2016, il est possible de découvrir une riche collection de documents sur l’auteur (manuscrits, correspondances, éditions originales, œuvres graphiques d’artistes contemporains, caricatures…).

« Marguerite Yourcenar et l’empereur Hadrien, une réécriture de l’Antiquité », du 3 février au 31 août 2016, au forum antique de Bavay. Cette exposition se présente comme « un jeu de miroirs entre littérature et archéologie », cherchant à donner des informations sur l’empereur Hadrien et son époque ainsi que sur le travail de Yourcenar, permettant ainsi une réelle plongée dans son univers et son intimité. Un parcours à suivre et de nombreux livres à revisiter.

>L'oeuvre de Marguerite Yourcenar est éditée chez Gallimard. Les éditions de poche sont chez Folio.

En savoir plus

>Marguerite Yourcenar parle du métier d'écrivain et présente Mémoires d'Hadrien

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