Tribune de Lorenzo Soccavo

Publier son livre à l'heure numérique : un pari d'avenir ?

Le livre "Publier son livre à l'ère numérique", par Marie-Laure Cahier et Elizabeth Sutton (Eyrolles) tient autant du guide pratique que du constat de situation. Il  relance selon Lorenzo Soccavo le débat autour de l'autoédition : si ce phénomène s'accroît, annonce-t-il une mutation profonde du paysage de l'édition en général, ou ne compose-t-il qu'un espace parallèle duquel sortiront peu d'élus ? 
>Lire aussi l'interview d'Elisabeth Sutton et Marie-Laure-Cahier

En 2004 dans J'ose éditer mon livre, publié à l'époque par une agence de communication (Entrecom), j'écrivais : « L'auto-édition émerge au moment où les nouvelles technologies de l'information et de la communication se développent. Les deux phénomènes sont liés. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, en pouvant se saisir des outils de production et de diffusion, les auteurs acquièrent une indépendance qui renforce leur liberté d'expression. ». Aujourd'hui la publication par Marie-Laure Cahier et Elizabeth Sutton de Publier son livre à l'ère numérique révèle au fond combien lente est ce que pourtant nous ne cessons d'appeler une révolution.

L'autoédition va-t-elle contribuer à révéler de nouveaux auteurs ?

Douze ans après, ce nouveau livre reprend le chantier et il est impossible, selon moi, de présager s'il facilitera ou bien, au contraire, freinera les passages à l'acte. Combien suscitera-t-il de vocations, et combien de renoncements ? Ce qui est certain c'est qu'il déniaisera un grand nombre d'auteurs putatifs, et qu'il sera éclairant pour les étudiant(e)s des filières du livre. Davantage manuel que guide pratique, ce sera là, en résumé, un bon viatique pour accompagner les téméraires. Rien que pour cela, parce qu'il transgresse les limites d'un simple guide pour délivrer entre les lignes un tableau de l'édition contemporaine, il devrait être disponible en version imprimée sur les étagères de toutes les bibliothèques publiques, pour informer leurs usagers dont beaucoup probablement se rêvent en auteurs édités et reconnus, notamment reconnus par la bibliothécaire.

Un livre lucide sur les difficultés de "visibilité" sans le soutien d'un éditeur

Ce livre est donc honnête. L'auto-édition est avant tout un marché de dupes, et les auteures ne le cachent pas. Nonobstant il participe de l'illusion contemporaine d'une ère numérique, comme son titre même l'indique, alors que nous devrions plutôt, sur ce sujet, ne penser plus modestement qu'en termes d'aire, d'espace et de zones d'influence. La période que nous traversons pourrait certes s'apparenter par analogie à celle dite des incunables, celle des tout premiers livres imprimés de 1450 à 1501, alors que dans les ateliers de copistes soufflait ce vent froid qui aujourd'hui en fait frissonner plus d'un à Saint-Germain-des-Prés. Nous pourrions donc bien, sur un certain plan, nous considérer aujourd'hui à une époque des "e-incunables". C'est ce que font d'ailleurs un peu ici Marie-Laure Cahier et Elizabeth Sutton. Mais, sur un autre plan, peut-être devrions-nous sortir des sillons qui nous sont tracés par l'histoire du livre et de son commerce, pour trouver en nous la force d'imaginer et de nous préparer à construire un avenir de l'Homme qui intégrera sa dimension de lecteur, lecteur de lui-même, puis des autres et de l'univers.

Et si le lecteur était le sujet ?

Ne voyez pas là une simple envolée lyrique. Ce que je veux dire c'est que l'angle mort de Publier son livre à l'ère numérique est précisément le lecteur. Non pas en tant qu'acheteur, mais en tant que sujet lisant. Vu l'intérêt réel de l'ouvrage, cela ne serait rien si malheureusement je n'observais pas partout au quotidien ce curieux escamotage. La lecture apparaît être le point aveugle des mutations du 21e siècle. N'est-ce pas étrange ?

Une liberté d'écrire et de lire qui ne demande qu'à croître

Je pense que pour beaucoup le désir irrépressible d'être édité n'est que rarement la conséquence d'un ego boursouflé. Le plus souvent il est plutôt l'expression du profond besoin de fiction qui nous habite tous. Nous sommes ainsi faits : notre cerveau doit pouvoir éprouver l'irréel pour être en mesure d'indiquer à notre conscience perceptive les moments où nous sommes bel et bien éveillés et bel et bien face au réel. Or, dans un contexte où les œuvres de fiction tendent de plus en plus à devenir des mondes habitables et où le monde réel nous apparaît lui de plus en plus fictionnalisé, il est bien des points de vue qui devraient je pense s'ouvrir davantage à la futurologie. L.S. 

Référence : Elizabeth Sutton et Marie-Laure Cahier, Publier son livre à l’ère numérique : autoédition, maisons d’édition, solutions hybrides (Eyrolles)

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Lorenzo Soccavo est chercheur en prospective du livre. Son blog très prisé des spécialistes rend compte de toutes les évolutions qui concernent les mutations du livre et de l'édition.

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