"Plus doux que la solitude"

Les ombres chinoises de Yiyun Li

Yiyun Li poursuit avec Plus doux que la solitude son investigation de l'âme humaine. Par le prisme de destins ordinaires, l'écrivaine américaine d'origine chinoise incarne une écriture qui jongle avec les cultures et décrit au laser l'incommunicabilité entre les êtres et leurs émotions contenues. Rencontre avec une auteure qui a préféré quitter la recherche en immunologie pour se consacrer à la quête de l'indicible.

Yiyun Li, un destin entre la Chine et l'Amérique

Yiyun Li écrit en américain. Pourtant elle est née en Chine, à Pékin et n'est venue aux Etats-Unis qu'en 1996 pour suivre des études de médecine. Elle a ensuite tourné le dos à la Chine. Même si elle s'est mariée avec son ami de jeunesse, chinois lui aussi, qui est également venu sur le sol américain pour étudier, elle a délibérément interprété une autre version du "bond en avant", en voulant devenir une autre, une personne qui n'allait pas être déterminée par son pays d'origine, jusqu'à même changer totalement de voie. Ce sont les âmes dsormais qu'elle va passer au scalpel. Installée à Oakland, elle a écrit un premier roman, "Un beau jour de printemps" (2010- Belfond) qui a été tout de suite salué par la critique américaine et traduit dans de nombreux pays. Elle a ensuite publié "Un millier d'années de bonnes prières" (2011-Belfond), un recueil de nouvelles qui va la hisser dans le classement des meilleurs auteurs américains. Elle a déjà reçu le Frank O’Connor International Short Story Award, le Guardian First Book Award, le Hemingway Foundation/PEN Award et le Whiting Writer’s Award. Des "médailles" qui attestent un parcours sans faute, un brevet d'excellence  en quelque sorte. Nous rencontrons à Paris l'écrivaine sino-américaine à l'occasion de la sortie de son troisième livre, "Plus doux que la solitude" (Belfond), qui a aussi rencontré un grand succès aux Etats-Unis. Nous allons essayer de comprendre quelques uns des ressorts cachés de celle à qui tout réussit et qui révèle pourtant au fur et à mesure de ses livres une pensée aux contours nimbés d'une certaine mélancolie.

Devenir écrivain, choisir une langue d'exil pour mieux dire ses émotions

Pourquoi avoir voulu devenir écrivain après avoir suivi un parcours d'études long et brillant en immunologie ?"J’ai toujours été très curieuse et j’adore les ragots, c’est peut-être ce qui m’a poussé à raconter des histoires moi-même. Et comme je suis d’une nature très discrète, je satisfais plus facilement ma curiosité en inventant une histoire plutôt qu’en parlant aux gens pour découvrir leur histoire", nous explique en riant Yiyun Li. Une discrète qui observe et écoute. Et qui écrit. Pourquoi en américain?Pourquoi avoir abandonné la langue maternelle ?"Ecrire dans ma langue étrangère, celle qui est devenue mienne, m'est apparue comme une évidence. Je n'aurais pas pu écrire en chinois. Il me fallait cette distance."

Regards sur les ombres de la Chine

Une nouvelle langue synonyme d'un nouveau destin comme Boyang, l'héroïne de son dernier livre "Plus doux que la solitude", qui après avoir étudié à Pékin émigre en Amérique, un personnage qui possède une force intérieure qui résonne particulièrement avec sa créatrice. Le livre s'attache à revenir sur le passé de cette énigmatique jeune femme qui cache un lourd secret de jeunesse. Un passé qui s'entremêle avec le contexte des révoltes étudiantes de la place Tian'anmen. En creux, une histoire sur l'impossibilité de la liberté en Chine ? " Chacun des protagonistes principaux du livre adopte une attitude différente face à ces révoltes. Le lecteur jugera. Parfois pour survivre dans un contexte contraignant, il n'y a pas d'autre issue que d'en faire abstraction. Le combattre frontalement requiert du courage, mais ne représente pas toujours la forme plus efficace d'action..." Par rapport à son propre destin ? L'héroïne principale a en elle la rage de la survie. Elle a perdu ses parents, a d'abord été élevée par des tantes bigotes, puis a retrouvé une famille à Pékin pour avancer dans ses études. Mais elle n'est jamais tout à fait à sa place. Et d'ailleurs qui est-elle vraiement ? A quoi aspire-t-elle? Ses vieilles tantes ont voulu faire d'elle une guerrière d'un dieu fantasque. Mais elle ne croit pas. En tout cas pas à cette religion fantasmée et irrationnelle. Alors quel est son dessein? Le livre va nous éclairer petit à petit sur la difficile évolution de cette petite fille qui tente d'avancer tant bien que mal. Une vision sans concesssion de la Chine. " J'écris sur mes personnages chinois, comme sur les américains. Je ne suis pas dans la complaisance en effet.  Je ne cherche pas à reconstituer de grandes histoires héroïques. Mes personnages pourraient être réels. Ils posssèdent les attributs de tout un chacun : leurs aspirations, leurs mesquineries, leur 'ordinaire' ."

L'amitié, ce lien qui unit par dessus tout ?

Dans son livre, Yiyun Li évoque l'amitié qui unit un trio, un garçon et deux filles. Une amitié qui semble presque le maximum d'émotions qui peut être porté par eux. L'amitié, comme un amour sans promesse, comme un lien plus fort que tout ? "L'amitié est un beau lien. Il s'agit aussi d'amitié entre des jeunes, à ce momen où les frontières amour-amitié sont floues. Et où chacun cherche peut-être en l'autre une réponse sur lui-même". Comme toujours Yiyun Li répond en esquive, "en biais" comme le disent les chinois. Pourtant que de noirceur dans ces destins parfois présentés sans voie de secours..." Noirceur? Vous trouvez? Je trouve qu'ils sont réalistes!" On l'aura compris, l'univers de Yiyun Li est assez loin de Disney World.

L'élégance du réalisme retenu

Et pourtant, les américains qui aiment les comédies à l'eau de rose plébiscitent ce nouveau talent littéraire, à la rugosité si élégante. Peut-être parce qu'à aucun moment, Yiyun Li ne se laissse envahir par l'émotion Parce qu'elle cherche un écrire vrai. Il y a comme une grâce dans la manière dont ses  personnages font face aux vicissitudes de la vie. "La souffrance vient parfois de rêves inatteignables. Accepter une part de ce contre quoi on ne peut rien permet de mieux le vivre. Certains trouvent ce constat abrupt. Pourtant il montre aussi le chemin d'une certaine sagesse". Acceptation et combativité. Car rien ne ressemble moins à la passivité que la posture de Boyang... D'autant que le livre laisse entrevoir une histoire qui s'ouvre sur un avenir. Une légère note d'espoir en ombre chinoise...

Le sourire du sage

Yiyun Li prépare-t-elle un nouveau projet littéraire ? " J'écris toujours environ trois livres en même temps. Cela m'aide à avancer. D'autres récits se préparent. Ils ne sont pas encore prêts." Yiyun Li sourit en pensant à ces multiples manuscrits en gestation qui nécessitent sa constante attention sans jamais savoir lequel arrivera à maturité. Elle sourit à cette vie incroyable qui s'offre à elle maintenant que les Etats-Unis lui accordent la gloire et le monde la renommée. Elle  sourit à ceux qui l'écoutent, car elle vit chaque rencontre comme un échange  enrichissant. Et pourtant, il reste cette légère distance, comme une ombre qui passe parfois sur ce visage énergique et volontaire. Yiyun Li sait que ses livres ne seront pas traduits. Qu'elle ne veut pas regarder en arrière. Et que la langue qui est la sienne est, elle aussi, en exil de sa propre existence.

>Yiyun Li, Plus doux que la solitude, Belfond

En savoir plus

>Lire un extrait de "Plus doux que la solitude":

 

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