Littérature et numérique

Fanfictions : une nouvelle passion littéraire

Les Livreurs proposent en exclusivité aux lecteurs de Viabooks leur réflexion sur la littérature à l’ère du numérique. Ce mois-ci, focus sur les fanfictions, une des formes les plus populaires de littérature diffusée sur Internet.

Tous les mois, Les Livreurs présentent en exclusivité pour Viabooks une réflexion sur la littérature à l’ère du numérique. Les littératures de l’Internet sont une voie d'entrée à de multiples univers de l’écrit, diffusés sur le web. Ce mois-ci, focus sur les fanfictions.
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A chaque époque, sa nouveauté culturelle

 À chaque époque son phénomène culturel : ainsi, le XIVème siècle voit croître un engouement européen pour l’amour courtois dans les œuvres du poète Guillaume de Machaut, le XVIIème siècle se pâme pour L’Astrée et le XIXème siècle assiste à la naissance en Angleterre de la passion préraphaélite. Néanmoins, à la fin du XXème siècle, apparaît un phénomène singulier : de véritables communautés se constituent afin d’échanger notamment autour des grandes œuvres littéraires ou cinématographiques. L’admirateur passionné sort alors de l’ombre et de la passivité : il devient un fan qui revendique le désir de participer, à son tour, à son univers de prédilection. L’expansion des technologies de l’information et de la communication a probablement favorisé l’établissement de ces communautés, formées de fans des quatre coins du globe.

Des fans aux fandoms

Les fandoms se développent ainsi petit à petit grâce à la contribution des fans qui, en se basant sur l’histoire officielle – le canon – en livrent leur version fantasmée – le fanon. Les premières fanfictions, écrites avant l’ère Internet, étaient publiées dans des fanzines, publications papiers qui exposaient les évolutions officieuses des intrigues de Star Trek, Star WarsAvec le web, les fanfictions traversent un âge d’or : elles n’ont jamais été aussi nombreuses et aussi variées et, même si des thèmes majeurs dominent la production – Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux, Twilight –, elles touchent également de nos jours des œuvres peu connues du grand public. Un large aperçu des fanfictions contemporaines est visible dans le temple de cette activité, j’ai nommé fanfiction.net, un site mondialisé multilingue – on y trouve même du latin - et concentrant une quantité ahurissante de fandoms vivants. Il représente à lui seul toutes les caractéristiques de cette nouvelle forme de littérature conditionnée par le web.

Les fandoms, de véritables communautés

De fait, l’aspect communautaire des cercles de fans s’est trouvé renforcé avec la diffusion des fanfictions sur internet. N’importe quelle fanfiction est ainsi susceptible de toucher l’ensemble des fans du dom concerné, où qu’ils résident. Les fanfictions sont ainsi abondamment et instantanément commentées par les autres fans, chose impossible du temps où le fanzine était leur unique médium de publication. Une communauté peut également se renforcer lorsqu’elle bénéficie du soutien de l’auteur de la version originale, ce qui lui donne un statut officiel et encourage les fans à partager leur vision de l’histoire avec un sentiment de légitimité et de connivence avec l’auteur. Ces fandoms deviennent alors parfois si puissants qu’ils influent directement sur les productions officielles, avec la prise en compte des désirs des fans par les scénaristes : l’exemple de Star Trek est probant, avec la mise en valeur dans la série de certains personnages, à l’origine destinés à demeurer secondaires mais qui se sont avérés être plébiscités dans les fandoms.


Une visibilité accrue pour les auteurs en herbe

Internet offre par ailleurs une excellente opportunité pour les fans d’exposer leurs productions sans subir les refus d’une rédaction ou d’une maison d’édition. Les fans de tous âges et de toutes catégories sociales deviennent aisément visibles par le biais de leurs écrits, qui acquièrent dès lors la dimension d’une critique de l’œuvre originelle : à travers ses fantasmes et ses désirs ainsi exposés, la communauté exprime ses frustrations et insatisfactions vis-à-vis de l’histoire de base, dont l’éventuelle monotonie est brassée par l’imagination de milliers de fans avides de conférer à tel personnage un peu trop consensuel un caractère érotique par exemple – on pense aux nombreuses fanfictions mettant en scène les personnages d’Harry Potter dans des situations piquantes, inconcevables sous la plume de l’auteur J.K. Rowling. Le fandom rend en outre possible une promiscuité sans précédent entre novices et experts en fanfictions, qui permet aux uns de bénéficier directement des conseils des autres. La gratuité rend d’autant plus accessible un univers constamment enrichi et renouvelé, pour des internautes désireux de poursuivre, à travers d’autres imaginaires, une histoire qu’ils croyaient terminée.

Quid des droits d’auteur ?

Pour certains, la visite de fanfiction.net peut toutefois faire l’effet d’un gigantesque fatras de récits en tout genre : des tombereaux de fanfictions envahissent constamment le web et à chaque lecteur de départager les bonnes des mauvaises. On retrouve alors dans la production de fanfictions une particularité propre à l’ensemble d’Internet, celle de favoriser la quantité au détriment de la qualité. Et même si des systèmes de classement par degré de popularité existent sur la plupart des sites de fanfictions, que dire des centaines de milliers de nouvelles noyées dans la masse, victimes d’une « anonymisation » justifiée… ou non ?

Encore une autre question régulièrement soulevée par la publication d’une œuvre sur le net : quid des droits d’auteur, qu’ils concernent l’histoire originale ou le fanon ? Les sites hébergeurs proposent certes gratuitement les fanfictions que leurs auteurs publient eux-mêmes sans rien réclamer en échange ; mais cet univers du libre-service littéraire, qui permet au passage aux hébergeurs d’empocher des sommes considérables grâce aux revenus publicitaires, tend parfois à concurrencer les versions officielles. Les œuvres originales de Star Wars sont de fait si nombreuses que certains fans hésitent entre suivre l’histoire officielle et suivre les œuvres officieuses produites au sein du fandom. Nous avons cité tout à l’heure le cas des auteurs de canons qui apportent leur soutien aux fandoms ; ce soutien peut parfois être à l’origine d’effets pervers pour la liberté d’expression des fans. Ainsi de Lucasfilm, la société ayant produit les films de Star Wars, qui a certes autorisé et favorisé l’extension de l’univers original par les fanfictions mais qui a mené une guerre féroce contre les fanons à caractère érotique impliquant des personnages de la saga. Cette question de droits d’auteurs et d’image de marque est probablement à l’origine de la disparition soudaine de fanfictions des sites hébergeurs. L’une de ses plus célèbres victimes est la fanfiction écrite par Snowqueen's Icedragon, plus connue sous le nom d’E.L. James. Mais intéressons-nous de plus près à ce cas de fanfiction ayant atteint une renommée dépassant le cadre du fandom.


Cas d'école : Fifty Shades of Grey, de la fanfiction au best-seller

À l’origine, Master Of The Universe était une fanfiction centrée sur le roman Twilight, et mettant en scène les ébats de ses deux personnages principaux Edward et Bella. Son auteur la publie sur plusieurs sites de fanfictions sous le pseudonyme de Snowqueen's Icedragon ; mais, après que le caractère sexuel de sa nouvelle a été dénoncé, elle retire ses chapitres des plateformes pour les placer sur un site dédié. Forte du succès de son écrit, elle le remanie par la suite en tant qu’histoire à part entière : c’est la naissance de Fifty Shades of Grey, publié en version papier en 2012 sous le nom d’E.L. James, qui connaît aujourd’hui un succès mondial en tant que roman érotique et… qui fait l’objet à son tour de nombreuses fanfictions. Ce qui nous intéresse ici n’est, de fait, pas l’étiquette de mommyporn que l’on a collée à l’ouvrage et qui participe aujourd’hui à l’engouement. C’est plutôt la manière dont une œuvre née au sein d’un fandom est devenue à son tour le canon d’un nouveau fandom. C’est en quelque sorte un érotisme populaire qui a suscité la curiosité des médias et du lectorat, presque un érotisme de clichés qui n’est pas tellement celui des connaisseurs mais qui est né des fantasmes d’une fan livrés en toute simplicité au sein du fandom.

Fifty Shades of Grey aurait-il bénéficié de l’attention générale s’il n’avait pas d’abord connu le succès sur Internet ? C’est là toute l’ambiguïté de la toile, qui met en exergue les intérêts des foules, bruts, non filtrés par l’aval d’un quelconque éditeur. Cela ne signifie pas que ces révélations du web sont dépourvues de talent ; cela marque simplement l’avènement de la fanfiction comme exercice littéraire à part entière, tout autant lu que n’importe quel ouvrage que l’on trouve en librairie et même apte à les y rejoindre. E. R.

En savoir plus

>Pour en apprendre davantage sur les fanfictions >> aller sur le site sur les fanfictions, source intéressante et claire qui présente une étude sociologique du sujet.

>Pour en savoir plus sur la lecture sonore >>aller sur le site Les Livreurs.

4.5
 

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