Autoportrait

Le «selfie» de Nicolas Idier

A l’occasion de la parution de son roman « La musique des pierres » (Gallimard), Nicolas Idier, écrivain et attaché d'ambassade à Pékin, joue le jeu du « selfie » pour Viabooks. Un autoportrait au service de la littérature.

Réalisation Annick Geille

1-Je suis où, là?

A quelques mètres de la maison, avec une voisine et son bébé de huit mois, en plein Pékin. C’est là je vis depuis trois ans. Mon dernier livre parle des pierres, mais aussi et surtout de la vie – cette photo est là pour témoigner de la vie heureuse que l’on peut mener en Chine – scandale évident que personne en France ou ailleurs n’est près d’accepter. On préfère généralement parler de Mao, du Tibet et, très à la mode, de la pollution. Or, si l’on regarde de près la photo, on voit du linge étendu, une pile de briques et l’enseigne en caractères chinois d’un réparateur de vélos. Mais regardez surtout le regard de ce bébé. Vous y apercevrez un certain nombre de choses. 

 

2-Je suis écrivain, depuis quand et pourquoi ? 

Jamais facile de se qualifier d’auteur. Je me méfie de ceux qui ont recours à ce mot. Auteur, hauteur. Mieux vaut écrire, dans les profondeurs. J’aime écrire à partir du double registre de mes émotions intimes et de mes découvertes intellectuelles. La Chine est un pays qui m’a poussé dans cette voie : ne jamais sous-estimer son émotion, ni mépriser le savoir. Un peu comme les Lettrés chinois d’autrefois, qui passaient leurs journées dans l’administration impériale à rédiger patiemment édits et autres dissertations, puis, quand l’émotion s’imposait, d’un même pinceau, calligraphiaient poèmes et peintures, parmi lesquels poèmes et peintures certains ont fait vaciller et d’autres encore renversé le pouvoir en place.

 

3-Ce que j'ai fait de plus fou par amour de la littérature (la mienne et /ou celle des autres )...

Avoir appelé mon fils du nom d’un de mes écrivains préférés, Henry Miller. Il est né ici même, à Pékin ; Miller, lui, a toujours rêvé de la Chine, mais n’y est jamais venu. J’ai résolu la question, par un procédé classique de transmutation des âmes ! 

 

4- Mon premier livre, déjà ? 

 Mon premier livre est d’emblée collectif, puisqu’il est une revue. J’ai rejoint la revue Nunc (éditions de Corlevour) en 2002, mon premier texte est paru peu après, consacré à Nagasaki. Je revenais d’un voyage au Japon. Je connaissais déjà la Chine, et les trajets au long cours, mais Nagasaki, meurtrie par la bombe atomique, m’a marqué. Je me rappelle de cette famille, qui nous avait pris en autostop. Aussi bien la mère, le père que le fils souffrait de malformation aux doigts. Ces doigts trop courts et tordus restent des blessures à vif dans ma mémoire ; et ce sont les blessures qui conduisent à l’écriture. 
Mon premier livre, en tant que tel, est plus récent, et il m’a beaucoup amusé : il s’agit de la traduction des notes du secrétaire personnel de Salvator Dali, le Capitaine Moore (Grasset, 2009). J’ai vécu quelques semaines dans l’intimité parfaite d’un des artistes les plus drôles et facétieux du XXe siècle. C’est un souvenir agréable. 

 

 5- Et «La musique des pierres», pourquoi ai-je écrit ce texte ? 

 Comme la biographie réelle de l’homme le plus libre de Chine donc, du monde. Pour vivre heureux, soyez chinois. Essayez. 

6- La première phrase

« La petite pierre ocre, au grain épais et doux, roule entre mes doigts. »

 

7- La dernière phrase

« Comme la manifestation indestructible du bonheur de cet instant, précis, et que rien ni personne ne pourra nous enlever. » (Dernière phrase suivie du double-trait du Yijing, le «Classique des Mutations », qui signifie que la mouvement est en cours – véritable dernière phrase du livre, visible de tous et pourtant cachée). 

 

8- « La musique des pierres »  et « Shanghai » dans mon œuvre ?

Après deux romans, La Ville noire et La musique des pierres, une encyclopédie collective et vivante consacrée à Shanghai (collection « Bouquins », Robert Laffont), et quelques autres contributions ponctuelles, je réalise que l’écriture me reste fidèle. Le restera-t-elle encore longtemps ? Je ne sais pas. Il me semble en effet que chaque livre est une lutte, tant la vie s’organise pour nous éloigner de l’écriture. Rien n’est gagné dans l’itinéraire d’un écrivain, et son premier défi est de continuer à écrire. C’était le thème de La Ville noire, qui met en scène un homme à la fois sauvé et condamné par l’écriture ; c’est également celui de La musique des pierres, où l’écriture joue un rôle central, puisque le personnage principal doit écrire la biographie du peintre Liu Dan. Liu Dan, justement, montre que concentration et constance sont nécessaires pour avancer. Toute sa vie se déploie autour de son pinceau, gravite autour de son pinceau. L’écriture contre le temps qui passe, et la mort. La mort était très présente dans La Ville noire, elle l’est encore dans La musique des pierres. Shanghai est différent, puisque ce n’est pas une œuvre de fiction. Cependant, il est certain qu’en soi, Shanghai est sûrement la ville la plus romanesque du monde. Ecrire le « Bouquins » sur Shanghai préparait La musique des pierres, laquelle en est une sorte de conclusion ouverte. 

 

9-Le numérique et l’écriture ?

Si l’on regarde la calligraphie chinoise et l’éventail infini des émotions qui se déploie grâce au simple pinceau gorgé d’encre noire glissant sur la feuille de papier – sismographe des émotions tectoniques –, on ne peut que soupçonner le numérique de nous priver de manière définitive de ce rapport physique, voire géologique, à l’écriture. Dommage. 

 

10- Etat  présent de mon esprit   

Souriant, comme il faut l’être dans les périodes de troubles. 
(Propos recueillis par A.G.)

Le "selfie" de Viabooks. A l'initiative d'Olivia Phélip, directrice de Viabooks, la romancière, critique et journaliste Annick Geille propose l'exercice de l’autoportrait par le texte et l’image. Un passionnant jeu de miroirs entre l'auteur et lui-même. L'ensemble des autoportraits réalisés par Annick Geille compose en quelque sorte le premier cercle littéraire virtuel des écrivains d'aujourd'hui.(Photo: Maurice Rougemont-Opale/Fayard).

 

 

>>Découvrir aussi les "selfies" :
>de Charles Dantzig
>de Colette Fellous
>d'Olivier Lebé
>ainsi que l'interview de José Frêches à propos de son "Dictionnaire amoureux de la Chine"

 

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