On en parle

Le journalisme lucide de Bob Woodward

Dans un essai publié par Denoël, le célèbre et réputé Bob Woodward - qui avait révélé en 1972 l'affaire du Watergate avec son collègue Carl Bernstein - fait le bilan des deux premières années du mandat de Barack Obama, alors que celui-ci vient d'annoncer sa candidature pour les prochaines élections. Les Guerres d'Obama dessine un portait honnête du 44ème Président des Etats-Unis, et engage à une réflexion sur l'interventionnisme américain, en perte de vitesse, mais dont les méthodes et les habitudes ont désormais tendance à s'exporter en Europe. 

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Du journalisme à l'essai

Bob Woodward, Robert Upshur Woodward de son vrai nom, est né le 26 mars 1943 dans l'Illinois. De son propre aveu, il n'a jamais pensé à se diriger vers le journalisme. Cependant, trente ans plus tard, il est rédacteur au sein du Washington Post, alors que Richard Nixon, républicain, est Président des Etats-Unis. Woodraw et son collègue Carl Bernstein mettent alors à jour un incroyable scandale d'Etat, surnommé Watergate, d'après le nom de l'immeuble, siège du Parti démocrate, où deux hommes sont retrouvés en train de poser du matériel d'écoute. Embarassé par cette affaire d'espionnage qui l'accable, Nixon démissionnera en 1974. Après un tel fait d'arme, il était évident que le nom de Bob Woodward allait rester lié à une certaine idée du journalisme comme combat pour la vérité. Après avoir rédigé des ouvrages sur la CIA et la présidence de Georges W. Bush, Woodward questionne désormais les deux premières années du mandat de Barack Obama, sans se départir de son obsession pour l'honnêteté et la transparence politique.

 

Assurer la survie d'un "contre-pouvoir"

 Si Bob Woodward a choisi d'écrire cet essai au mi-mandat de Barack Obama, c'est parce qu'il a toujours pensé que le pouvoir politique en activité devait être équilibré dans son action par la présence d'un contre-pouvoir efficace et réfléchi, qui devrait être présent dans toute démocratie digne de ce nom. "Le progrès est fragile et réversible" comme le déclare l'écrivain, et l'activité journalistique se doit de le renforcer. C'est aussi simple que cela: "le journalisme consiste avant tout à dire bêtement la vérité bête", disait Charles Péguy. Bob Woodward a d'ailleurs rencontré le Président pendant l'écriture du livre, afin de pouvoir rédiger un livre aussi précis et impartial que possible, et transmettre la vérité au lecteur. Le journalisme d'investigation apparaît dans le texte, qui est enrichi et étayé de déclarations, statistiques, anecdotes et références.

 

Portrait du Président face aux crises politiques

Il y a une facette du Président Obama qui fascine clairement Bob Woodward: ce dernier décrit le chef d'Etat comme un homme adepte du "Middle Way" (le compromis), qui ne veut perdre ni les électeurs démocrates, ni les électeurs républicains. Un terrain politique sur lequel cette caractéristique se fait clairement sentir: les Affaires Etrangères. Le grand défi d'Obama, dès l'investiture, fut de réduire au maximum les dégats de la guerre en Irak, tout en limitant les combats en Afghanistan, autre pays où les troupes américaines sont engagées. Obama n'aime pas la guerre: Woodward l'a bien compris au cours des entretiens avec lui. D'après le journaliste, Obama ne parvient pas à avoir une vision globale, planifiée, des enjeux internationaux. "C'est un avocat, qui développe une vision essentiellement pragmatique" assure Bob Woodward. L'analyse est pertinente: les révolutions arabes ont suscité peu de réactions de l'autre côté de l'Atlantique, puisqu'il était inconcevable pour Obama de faire intervenir les Etats-Unis sur un autre territoire étranger, après les traumatismes de l'Irak et de l'Afghanistan. Quelques semaines plus tard, Barack Obama annonce sa candidature pour les élections présidentielles de 2012... 

 

L'analyse macroscopique de la société

L'essai de Bob Woodward n'est pas une simple charge en règle contre Obama et son gouvernement: il souligne les gestes d'apaisement du début de l'investiture, et tente surtout de fournir une explication à l'extraordinaire entropie du pouvoir. Il raconte ainsi son entrevue avec Georges W. Bush, quelques mois après la fin de son mandat: fatigué, déconnecté, l'ex-président se réfugie au Texas pour rédiger ses Mémoires. Le véritable sujet de l'essai de Woodward semble alors être les structures du pouvoir, plutôt que l'incarnation du pouvoir elle-même. Cette indécision d'Obama pourrait alors être la conséquence indirecte de la rivalité entre le Pentagone, autorité militaire, et le Département d'Etat du Président.

 

Questionner l'interventionnisme américain

Force est de constater que les réserves récentes de l'Amérique face à l'intervention militaire constituent une première pour le pays que l'on avait surnommé le "gendarme du monde". Est-ce un changement proofond dans la politique étrangère du pays, ou simplement les effets de l'indécision d'Obama? Bob Woodward ne fournit pas de réponse à la question: "les faits sont indispensables". Dans le journalisme d'investigation, la vision prophétique n'a pas sa place, "Personne ne pouvait remplacer Bush au début de l'année 2001" rappelle l'auteur, et pourtant l'Amérique a élu Obama en 2008. La complexité et la disparité des enjeux politiques, internationaux et militaires ne permettent pas l'hypothèse bancale. Une réalité qui, à l'heure des paris du gouvernement français sur les guerres, mérite plus que jamais d'être rappelée.

 

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En savoir plus

Bob Woodward, Les Guerres d'Obama, Denoël, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Odile Demange, Camille Fort-Cantoni, Grégory Martin et Anatole Muchnik, Collection Impacts

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