Mystère

La vie d’Agatha Christie revisitée

Le plus grand mystère de la vie d’Agatha Christie se déroule du 3 au 14 décembre 1926, onze jours durant lesquels l’auteure a disparu. Que s’est-il passé dans la vie et dans la tête d’Agatha Christie ? Nul ne le sait. L’occasion pour Frédérique Deghelt de combler ce silence en répondant à cette interrogation. De nombreux écrivains, passionnés par la reine du crime, ont tenté des explications pour éclaircir cette zone d’ombre. Cependant au vue du nombre insignifiant d’indices factuels, la liberté d’imagination de ces écrivains est grande. C’est aujourd’hui au tour de Frédérique Deghelt de nous proposer la sienne.

Agatha vu par Frédérique Deghelt

« Mon roman revisite à la 1re personne, dans un soliloque, cet épisode douloureux de la vie d’Agatha Christie. Perturbée par la perte de sa mère qu’elle adorait et par la trahison de son mari qui était l’homme de sa vie, Agatha ne peut plus écrire. Que se passe-t-il quand un auteur est dans ce moment pathologique, incapable d’aligner deux lignes et qu’il transforme sa vie en fiction ? L’intérêt de cette « fugue » est la façon dont l’auteur a conçu le mystère de sa disparition. Que se passa-t-il dans son esprit ? Où est la frontière entre vie et fiction ? Comment a-t-elle vécu ces jours loin de sa famille, dans une totale angoisse de voir s’étaler dans les journaux cette intrigue personnelle dont elle n’avait probablement pas mesuré la portée médiatique ? Il était essentiel dans l’histoire que je souhaitais raconter d’être très ancrée dans les lieux où vivait Agatha Christie, où elle a élaboré une partie de ses romans et dans lesquels se sont déroulés les neuf jours de sa disparition. J’ai donc refait tout le trajet d’Agatha, de son domicile à Londres, jusqu’à Harrogate, passant le même nombre de jours dans cette ville de cure et tentant de mettre mes pas, presque cent ans après, dans ses journées d’attente et d’incertitude. Dans ces moments où elle n’écrivait plus, le ton du livre est devenu la pensée, une certaine forme de folie liée à la perturbation émotionnelle intense qu’elle venait de subir. Cela m’a permis de rentrer dans le processus fragile d’une romancière bien plus romantique, comme le prouvent les livres qu’elle publia après cette aventure sous le pseudo de Marie Westmascott, que celle de ses histoires policières. » Frédérique Deghelt

Un épisode flou

En publiant cette dernière œuvre Frédérique Deghelt se concentre sur un des épisodes les plus mystérieux de la vie d’Agatha Christie. Du 3 au 14 décembre 1926 l’écrivaine disparait. A cette époque Agatha Christie vit une période très difficile. Profondément touchée par la mort de sa mère, qui avait une grande importance dans sa vie, elle perd ensuite son mari qui décide de la quitter pour une autre femme. Les deux piliers affectifs de sa vie s’effondrent. Le syndrome de la page blanche ne l’épargne pas. Elle ne parvient plus à écrire et passe son temps à ruminer voyant le foyer qu'elle a construit s'effondrer sans qu’elle ne puisse agir. Ayant l’impression que tout s’écroule autour d’elle, elle décide alors de disparaitre. Agatha Christie abandonne sa voiture sur un chemin de campagne avec à l'arrière quelques effets personnels. Cette route se situe non loin du cottage où son époux passe le week-end avec sa maîtresse. Toute l'Angleterre part alors à sa recherche. Son mari est même soupçonné de meurtre. On la retrouvera dix jours plus tard dans un hôtel du Yorkshire. De ces neuf jours, personne ne sut la vérité. Elle ne s’exprimera jamais sur cet évènement, pas même dans sa biographie. Les médias s’emparent très vite de l’affaire et soulèvent de nombreuses hypothèses. Folie passagère ? Amnésie post-traumatique ? Acte désespéré ? Opération médiatique ? Suicide ? Meurtre ? Personne ne le saura jamais. En attendant Frédérique Deghelt nous propose avec Agatha, sa version des faits.

Entre réel et fiction

Avec Agatha, Frédérique Deghelt se glisse dans la peau de la reine du crime et nous livre son interprétation au sujet de sa disparition. L’écriture de l’œuvre à la première personne permet aux lecteurs de se retrouver en tête à tête avec Agatha Christie. Elle parle du silence, de ses pensées obsessionnelles, des onze jours de disparition et de sa rupture passagère et douloureuse avec sa famille. Le lecteur découvre une femme déchirée par la douleur qui ne parvient plus à écrire. Un des motifs essentiels du roman se trouve dans la limite entre réalité et fiction. Frédérique Deghelt suggère dans son œuvre que la vie de l’écrivaine flirte délibérément avec la fiction. Elle devient son personnage. La narratrice se divise entre, Agatha Christie l’auteure, et un protagoniste fictif, qui porte le même nom que la maitresse de son époux, Teresa Neele. L’auteure, Frédérique Deghelt, ajoute à cette folie fictive des éléments du futur d'Agatha Christie ; ses envies de voyage en Egypte, son souhait d'écrire des romans d'amour sous un pseudonyme (ce qu'elle fera sous le nom de Mary Westmacott). On y retrouve aussi certains de ses personnages emblématiques (tel que Miss Marple). Réel et fiction s’entremêlent et s’affrontent comme si la fiction pouvait sauver les écrivains même dans leurs plus grandes douleurs.

Notre avis ?

La vie d’Agatha Christie comporte tellement de zones d’ombres que les romanciers s’en donnent à cœur joie pour exposer leur interprétation. Il y a peu Brigitte Kernel publiait son roman, Agatha Christie, le chapitre disparu, qui s’intéressait également à cette période étrange de la vie de la reine du crime. La peur d’un doublon un an plus tard avec Frédérique Deghelt était forcément présente. Cependant l’auteure a su rester originale en proposant un contenu totalement différent. Si Brigitte Kernel avait choisi l’angle du thriller psychologique, Frédérique Deghelt s’est davantage attardée sur les sentiments d’Agatha Christie en proposant une fiction romantique. Si les éléments factuels restent les mêmes, les deux femmes ont un point de vue et une interprétation bien différents. On remercie d’ailleurs Frédérique Deghelt d’avoir choisi ce côté sentimental puisque sa plume sensible et délicate convient parfaitement pour décrire et analyser les sentiments. L’écriture très fluide permet aux lecteurs d’être au plus près des émotions du personnage et de s’imaginer discutant avec Agatha Christie de ce passage douloureux de sa vie. Frédérique Deghelt se glisse avec brio dans le cerveau de l’auteure et témoigne de son affection et de l’intérêt qu’elle porte à la célèbre écrivaine.

Extraits

« C'est quand on ne reconnait plus rien qu'on est vraiment en voyage. Le temps se dissout. Tout ce qui avait de l'importance dans notre quotidien a disparu et le quotidien lui-même s'est fait la malle. A sentir, à goûter, à voir, à entendre et à ressentir différemment, on finit par soi-même s'extraire de cette peau embarrassante formée de notre origine, de notre culture, de notre pensée, de notre religion, de nos valeurs et de notre éducation. Et si ce n'est pas pour les abandonner, car on n'évalue les choses et les êtres qu'avec ce qu'on est, tout au moins le voyage ouvre les portes de l'esprit ; il rend souple, curieux et plus confiant. »

« Pas plus que je ne savais pourquoi ça avait surgi, je vois disparaître tout ce que j'étais à l'intérieur de moi. Je n'ai plus l'énergie, l'envie. Je suis sèche, vide, les histoires qui m'envahissaient ne me font plus rire, pleure, n'occupent plus mes journées, mes pensées, mes rêves. Suis-je condamnée à voir mourir l'écrivain que je croyais être enfin ? »

Qui est Frédérique Deghelt ?

Née à Bordeaux, Frédérique Deghelt a été journaliste et réalisatrice de télévision jusqu’en 2009, et consacre désormais tout son temps à l’écriture. Elle est l’auteur de 9 romans, dont la plupart sont parus chez Actes Sud, de courtes histoires pour les adolescents chez Actes Sud Junior et de deux recueils de poésie sur la naissance. En 1995, elle publie un premier roman aux éditions Sauret, Mistinguett, La valse renversante. S'en suivent : Je porte un enfant et dans mes yeux l'étreinte sublime qui l'a conçu (2007), La vie d'une autre (2007), La grand-mère de Jade (2009), Le cordon de soie (2011), La Nonne et le Brigand (2011) et Les Brumes de l'apparence (2014). L’histoire de La vie d'une autre est portée au cinéma par Sylvie Testud, en 2012, avec Juliette Binoche et Mathieu Kassovitz. Dans cette œuvre on y découvre Marie, 40 ans, qui se réveille en pensant qu’elle en a 25. Elle a oublié 15 ans de sa vie. Elle se réveille au début d’une histoire d’amour qui en fait se termine. Elle se réveille et elle a quatre jours pour reconquérir l’homme de sa vie. En 2016, son roman, "Libertango", obtient le Grand prix de la ville de Vannes.

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