In memoriam

«La grande santé»: Frédéric Badré ou l'infini du beau

Dans « La grande santé »(Seuil), Frédéric Bardé évoquait le mal dont il était atteint, la SLA. Un an après cette maladie l'a emporté. Nous remettons en avant l'article que nous avions consacré à ce livre magistral.Cee livre écrit avec une immense subtilité, n'est pas un livre sur la maladie. C'est un texte sur le bonheur de la littérature, de la musique, de la contemplation du beau. Sur la puissance de l'esprit de celui qui sait s'envoler et planer par-dessus les limites de son corps. Lire « La grande santé » conduit à prendre de la hauteur, à donner de l'amplitude à ses sens, accompagné par un auteur qui devient le plus sensible des guides sur le sentier de la vie.

Portrait de Frédéric Badré. Photo Astrid di Crollalanza. Collection personnelle de l'auteur. Portrait de Frédéric Badré. Photo Astrid di Crollalanza.Collection personnelle de l'auteur.

« Mon corps se suicide. J’ai beau me trouver en complet désaccord avec lui, je vois bien qu’il ne se range pas à mes raisons. Alors, j’affermis mon esprit pour combattre du mieux possible cette volonté de mourir.» Frédéric Bardé regarde la maladie dégénérative dont il souffre, la SLA, en face, sans illusion. Il conserve en même temps sa parfaite puissance mentale, et refuse de se soumettre au diktat de l’abandon. 

Le combat avec soi-même

C’est un combat au corps à corps avec lui-même que l’auteur décrit : il apprend à lutter contre la pulsion mortifère de son corps infidèle. Malgré « lui » il apprend à vivre « avec lui ». De ce combat est né un livre. Sensible, bouleversant. Non pas, parce que le récit évoque le contexte de la maladie. Mais parce qu’il parle de la force vitale qui s’éveille au fur et à mesure que celle-ci progresse.  D’où ce titre « La grande santé ». « Grande » parce que cette santé-là transporte haut et loin.

La maladie, comme un voyage…

S’évader à tout prix. Frédéric Badré ne sort pas les armes guerrières traditionnelles. Il se fabrique la plus forte des antidotes en convoquant l’art sous toutes ses formes. Quand on lui parle de déficience musculaire, il pense aux palais de Venise ; quand il doit patienter péniblement dans le tunnel d’un IRM, il imagine un stratagème pour résister à l’étouffement de l’enfermement : « La première fois, j'ai improvisé une méthode de méditation pour surmonter l’épreuve : je me récite un catalogue d’instants vécus comme ils se présentent à mon esprit ». Instants vécus, mais aussi «émotions » esthétiques qui transportent au bout du monde, si ce n’est au bout de soi. « Me voici à l’avant-garde de l’humanité. Un explorateur du monde qui se dessine, à mon corps défendant. » Et que d’explorations ! Frédéric Badré nous entraîne dans cette quête et nous le suivons, prêts à accoster avec lui en chaque lieu inconnu, guidés par son expérience, sa vision. D’abord la littérature. « La littérature, c’est d’abord une affaire de transmission ». La Métamorphose de Kafka, mais aussi Philip Roth, Francis Ponge, Eugène Ionesco, Dominique Rolin surgissent au fur et à mesure … Se mêlent souvenirs réels et lectures, les frontières se floutent : ces rencontres n’étaient-elles pas surnaturelles ? Ces récits n’ont-ils pas pris corps en celui qui les a découverts ? Puis, il y a le dessin et la peinture.  L’autre grande « histoire » de l’auteur. De Raphaël à Francis Bacon, l’art du portrait, la grâce du signe. Et puis encore et toujours, il est question de Venise, d’un Don Giovanni écouté émerveillé grâce à une grand-mère mélomane, belle intronisation à la musique…

 La grande beauté

Au fil des pages, la maladie est là comme une ombre qui envahit la toile, mais qui ne peut ternir l’intensité de sa lumière. Frédéric Bardé dessine l’image d’une piéta, silencieuse dans sa contemplation, immobile. Le monde infini de ce voyage intérieur auquel nous convie l'auteur est comme une initiation. La subtilité des évocations compose une ligne de crête pendant que les observations concernant la maladie se suivent, implacables. On trouve ici, la formidable force de l’esprit et l’humilité de celui qui sait que le combat qu’il mène n’est  pas loyal. La SLA n’accepte pas la reddition, elle prend beaucoup et donne peu. Alors peut-être la plus grande des élégances est-elle de partager avec le reste du monde une partie du trésor ? « Mes neurones sont activés par des phases musicales. Je tire de ma bibliothèque la force de vivre ». Force de vivre qui nous livre un magnifique témoignage en faveur de l’exaltation des sens et de l’esprit : le monde est infini à celui qui sait regarder, entendre, penser. La vie est sans limite pour celui qui sait voyager avec lui-même. « Artiste je suis né, artiste je mourrai » écrit Frédéric Badré. « La grande santé » n’est pas un testament. C’est un plaidoyer pour la grande, l’infinie beauté de l’art et de la littérature, l’inaltérable force du créateur, à qui rien, ni personne, ne peut confisquer cette part d’éternité qu’il a su faire sienne. Et même si la mort a fini par emporter Frédéric Badré, son texte reste un un grand voyage.

>Frédéric Badré, La grande santé, Le Seuil

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>Lire un extrait de "La grande santé"

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